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Reportage
"Là où deux misères se rencontrent" : dépassée par la crise migratoire, la Tunisie en proie à des tensions
Sur la côte est de la Tunisie, la ville de Sfax est un point de passage stratégique pour les migrants subsahariens qui cherchent à gagner les côtes italiennes. La deuxième ville de Tunisie est en proie à des tensions sur l'accueil réservé à ces hommes qui n'ont plus rien.
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Ces derniers jours, l'île de Lampedusa, en Italie, est confrontée à un nombre record d’arrivées de migrants. À 150 kilomètres de là, les côtes tunisiennes sont devenues le principal point de départ des exilés qui cherchent à gagner l'Europe en traversant la Méditerranée. Face à cette situation, les responsables européens demandent à la Tunisie de mieux contrôler les départs. Mais sur place, les tensions sont fortes et les autorités semblent dépassées.
Des migrants chassés de la ville de Sfax
Sur la côte est du pays se trouve Sfax, la deuxième ville de Tunisie est devenue le point de passage obligé des candidats africains à l’immigration illégale. C'est à partir de cet endroit que le trajet en bateau est le plus court pour rejoindre Lampedusa. Il y a encore une semaine, des centaines de migrants subsahariens dormaient dehors, en plein centre, sur des places publiques ou des ronds-points.
Mais dimanche 17 septembre, à l’aide de blindés, les autorités ont chassé au moins 500 migrants, les ont fait monter dans des bus en donnant aux habitants de Sfax l’illusion que la crise était réglée.
En réalité, les bus ne sont pas allés très loin : à une trentaine de kilomètres au nord de la ville, près de plusieurs gros villages. Là, les migrants ont été laissés au milieu de champs d'oliviers, où étaient déjà présents depuis des semaines plusieurs milliers d’autres Subsahariens.
"L'objectif, c'est d'aller en Europe, dans n'importe quel pays"
Sur place, l'image est frappante quand on roule près du village d’El Amra. Les hommes, nombreux, marchent le long de la route. Comme Ayo, un Ivoirien de 32 ans, qui a accepté de se confier : "Je suis là depuis près de huit mois maintenant, un mois ici (dans ce village)". "L'objectif c'est d'aller en Europe, dans n'importe quel pays, atteindre l'autre côté. L'Italie dans un premier temps, ensuite on verra", ajoute Ayo. Avant de pouvoir traverser, il fait des petits boulots pour réunir l'argent et traverser. Il lui faut entre "2 500 à 3 000 dinars", donc entre 750 et 900 euros, en ce moment, pour pouvoir monter sur ces bateaux.
"C’est aussi pousser ces migrants loin des yeux de la société civile ou des médias pour faire des expulsions."
Romdhane Ben Amor, porte-parole d'une ONG localeà franceinfo
Des embarcations qui se trouvent d'ailleurs encore plus près que depuis la ville de Sfax. Avec cette opération d'évacuation, les autorités ont donc rapproché de la côte des centaines d'hommes prêts à partir, dénonce Romdhane Ben Amor, le porte-parole de l’une des rares ONG locales acceptant de s’exprimer, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux : "C’est une manière indirecte de repousser les migrants pour aller prendre les bateaux, au profit des réseaux de passeurs, très actifs dans ces localité. C’est aussi pousser ces migrants loin des yeux de la société civile ou des médias pour faire des expulsions vers les frontières algériennes ou bien libyennes."
Cet été, plusieurs dizaines de migrants ont été retrouvés abandonnés dans le désert, certains sont morts. D’autres, à Sfax, ont été violemment agressés par des Tunisiens.
"La présence de tant de migrants nous dépasse !"
Ces agressions de migrants subsahariens par des Tunisiens à Sfax n'ont pas calmé les tensions, mais les ont déplacées dans des villages sans infrastructure pour accueillir tant d'étrangers. Des hommes venus de Guinée, de Sierra Leone, de Gambie ou encore du Sénégal dorment dehors. Dans la rue principale d'El Amra, une personne sur deux est un noir africain. "Au village d’El Amra, nous sommes très pauvres et nous sommes fatigués, épuisés. La présence de tant de migrants nous dépasse !", confie une grand-mère tunisienne. Elle est interrompue par un autre habitant du village qui n'admet pas que cette femme critique librement la Tunisie, puis ajoute : "Nous sommes un pays faible, je ne raconte pas de mensonge. Les noirs qui sont venus, on ne peut pas les prendre en charge. Aucun responsable politique ne s'est déplacé ici pour comprendre la situation."
Les tensions à Sfax sont "deux misères qui se rencontrent, analyse Franck Yotedje, le président de l'association d'aide aux exilés Afrique intelligence. La misère des migrants qui tentent désespérément de rejoindre l'Europe et la misère d'une population. Parce qu'il faut bien comprendre le contexte tunisien, le contexte économique où l'on peine même à trouver des produits de première nécessité. Donc une population qui se sent submergée, envahie et laissée abandonnée à elle-même."
La Tunisie traverse en effet une crise profonde avec un tour de vis du président Kaïs Saïed, à la tête d'un État sécuritaire qui empêche les médias, même tunisiens, de travailler. Il a fallu jouer au chat et à la souris avec la police pour réaliser ce reportage : la Tunisie n'autorise pas actuellement les journalistes à couvrir ces questions migratoires.
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