Reportage
"C’est le narratif de Moscou" : en République tchèque, le spectre de la désinformation prorusse plane sur les élections

Les électeurs tchèques ont commencé à voter vendredi pour élire leurs députés. Comme dans d'autres pays européens, les autorités peinent à contrer l'influence de sites et réseaux prorusses qui diffusent des contenus mensongers à grande échelle.

Article rédigé par Sébastien Baer
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des électeurs tchèques dans un bureau de vote installé dans une école primaire, dans le centre-ville de Prague, le 3 octobre 2025 (SEBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)
Des électeurs tchèques dans un bureau de vote installé dans une école primaire, dans le centre-ville de Prague, le 3 octobre 2025 (SEBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)

Montée du populisme, ingérence russe, désinformation… La République tchèque, qui vote encore dans la matinée du samedi 4 octobre pour les élections législatives, n'échappe pas aux menaces qui planent sur les élections en Europe. Ces derniers jours, le pays est inondé par une campagne de propagande. Un exemple parmi des tas d'autres, le site tchèque CZ24, consulté chaque mois par cinq millions de visiteurs. Sa devise est "Pour ceux qui veulent connaître la vraie vérité".

Vojtech Bohac, qui dirige le média d'investigation Voxpot, considère le site comme l'un des plus influents : "On a un article qui explique que le Premier ministre ment sur l'aide financière versée à l'Ukraine et qu'il verse plus d'argent qu'il ne le dit avec nos impôts. On peut même écouter l'article avec l'intelligence artificielle, indique le journaliste. Un autre article dit que les instituts de sondage sous-estiment volontairement les scores des partis antisystèmes."

"Quand les gens lisent ça, ils pensent que les élections sont truquées. Cela renforce le sentiment de méfiance envers le système."

Vojtech Bohac, média d’investigation Voxpot

à franceinfo

Le site est officiellement administré par une jeune femme qui tient une boutique de vêtements à Kladno, dans la banlieue de Prague. Elle affirme agir seule mais c'est impossible en réalité car une centaine de nouveaux articles sont publiés chaque jour. Pour Vojtech Bohac, cela ne fait pas de doute : le Kremlin est à la manœuvre. "C'est le narratif de la Russie avec des traductions de médias russes, des articles qui défendent la politique de Moscou : une Russie forte, une Ukraine faible et fasciste, l'effondrement de l'Union européenne, le complotisme, etc… On retrouve aussi ces récits sur les réseaux sociaux avec des vidéos qui les relaient, sur TikTok ou Instagram."

Une désinformation qui exploite les sujets de préoccupation

Les enquêteurs de Voxpot estiment que les 16 plus grands sites de désinformation prorusses, dont CZ24, produisent autant de contenus qu'un média tchèque traditionnel. Il s'agit des schémas identiques à ceux observés en Moldavie et auparavant en Pologne, en Roumanie et en Allemagne. Les campagnes de désinformation exploitent les sujets de préoccupation de la population. En République tchèque, l'inflation, le montant des retraites ou encore l'accueil des réfugiés ukrainiens. "Il y a un discours qui a commencé à se répandre et qui dit que les travailleurs ukrainiens coûtent cher à la République tchèque, explique Frantisek Jochman, président d'une chambre de commerce régionale. Car nous subvenons à leurs besoins, ce qui prive d'argent les retraités. C'est tout le contraire : sans les travailleurs étrangers et notamment ukrainiens, beaucoup de nos entreprises feraient faillite. On ne pourrait même pas construire une clôture autour d'une maison."

Les experts appellent cela la guerre hybride. La semaine dernière, 300 comptes TikTok qui relaient l'argumentaire prorusse, ont aussi été identifiés. Les autorités de régulation tchèques ont ouvert une enquête.

"Il s'agit de soutenir les partis antisystèmes"

L'ampleur de l'influence et les conséquences de cette propagande sur l'issue du scrutin, qui se tient jusqu'à 14 heures samedi, sont impossibles à prédire. Mais dans un pays où les prix du logement et de l'énergie s'envolent, certains peuvent y être sensibles. En République tchèque, deux millions de personnes utilisent TikTok.

Pavec Havlicek à Prague le 3 octobre 2025 (SEBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)
Pavec Havlicek à Prague le 3 octobre 2025 (SEBASTIEN BAER / RADIO FRANCE)

Pour Pavel Havlicek, chercheur à l'Association des relations internationales, cette propagande peut jouer un rôle : "Il s'agit de soutenir les partis antisystèmes, ceux qui se battent pour dépasser les 5% et entrer au Parlement. Ce sont des partis qui veulent tout détruire, qui remettent en question l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne et veulent changer complètement le système politique."

"Même si l'impact n'est que de 0,1% des voix, cela peut suffire à envoyer par exemple la coalition d'extrême gauche au Parlement. Dans ce cas, le mal sera fait."

Pavel Havlicek, chercheur à l'Association des relations internationales

à franceinfo

Face à cette ingérence, les autorités peinent à lutter contre la désinformation. Le gouvernement manque souvent d'éléments pour fermer les sites incriminés. Certains ne veulent pas donner l'impression de censurer les voix dissidentes. Pour Filip, un Pragois de 21 ans, les autorités devraient davantage se préoccuper de la situation : "Le gouvernement devrait s'attaquer à ce problème pour bloquer tous les sites qui font de la désinformation et il faudrait aussi lancer un site éducatif. Si on n'éduque pas suffisamment les gens, bientôt on ne sera plus capables de faire la différence entre les fake news et les vraies informations. C'est l'une des choses les plus importantes à faire à l'heure actuelle."

Pour les observateurs, la lutte contre la désinformation devient de plus en plus un enjeu. Dans un récent sondage, quatre Tchèques sur dix s'inquiétaient de l'influence russe sur les élections législatives.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.