Reportage
"C'est comme si on leur avait donné une âme" : en Chine, l’intelligence artificielle s'infiltre dans les sextoys et les poupées pour adultes

En Chine, l'intelligence artificielle révolutionne le marché du sextoy en apportant des expressions faciales et des moyens de communication aux poupées pour adultes.

Article rédigé par Sébastien Berriot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans cette usine en Chine, les jouets pour adultes parlent et peuvent faire des grimaces. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Dans cette usine en Chine, les jouets pour adultes parlent et peuvent faire des grimaces. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

L'intelligence artificielle révolutionne le marché du sextoy en Chine. Le pays était déjà depuis longtemps le premier producteur au monde de ce secteur qui génère 25 milliards d’euros de revenus chaque année. Mais avec l’évolution des technologies, les produits sont de plus en plus élaborés et la Chine espère vendre encore plus de jouets pour adultes. C'est le cas dans l’une des plus grosses usines chinoises du secteur WT Doll qui fabrique près de 30 000 poupées pour adultes par an, à Zhongshan dans le sud du pays.

Entourée de plusieurs centaines de squelettes en plastique destinés à être des objets sexuels, Congyan, ouvrière, décrit son quotidien. "Lorsque j'ai commencé il y a quatre ans, explique-t-elle, je trouvais ça bizarre comme métier, mais maintenant, je suis habituée à travailler sur les poupées et je n’ai plus ce sentiment. Je n'avais jamais vu un tel produit auparavant. Aujourd’hui, je trouve ça assez normal… Là, vous voyez, j'embellis le corps, en enlevant l'excès de matière pour que la peau soit plus lisse."

Une employée dans une usine de fabrication de poupées pour adultes dans la ville de Zhongshan, en Chine. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Une employée dans une usine de fabrication de poupées pour adultes dans la ville de Zhongshan, en Chine. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Pour concevoir de nouvelles poupées intelligentes, l’usine a conclu un partenariat avec l’université Jiao Tong de Shanghai. Cinquante chercheurs spécialisés dans l’IA travaillent au quotidien pour offrir aux clients de l’entreprise des poupées capable de parler, échanger et ressembler le plus possible à un partenaire sexuel.

"Auparavant, ces poupées étaient plutôt des décorations, mais maintenant que nous avons commencé à ajouter de l'Intelligence artificielle, ce n’est plus du tout pareil explique le responsable marketing de l’usine, Chen Xuanyu.C’est comme si on leur avait donné une âme. Elles peuvent sourire, faire des grimaces en fonction de la situation." Les poupées parlent huit langues dont le français, l'anglais, l'arabe ou encore le chinois. Chen Xuanyu explique cependant qu'à l'exception de la Chine, la loi interdit les contenus sensibles et érotiques de leurs expressions. Mais "elles ont vraiment l’attitude d’une personne qui est en train de flirter. Leur température corporelle est la même que celle du corps humain. Elles peuvent aussi imiter la respiration", précise le responsable marketing de l'usine.

"À l'avenir, nous souhaitons installer davantage de capteurs de haute précision. Par exemple, la poupée pourra reconnaître l'humidité de son partenaire et la force du toucher. Combiné à la technologie de l'intelligence artificielle, cela lui permettra de réagir en conséquence. Elle sera capable de percevoir les émotions de son partenaire."

Chen Xuanyu, responsable marketing de l'usine

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Un marché qui rapporte gros : il en coûte 1 500 euros pour se procurer une poupée et il faudra le double pour avoir accès aux services de l'IA.

L’usine se porte donc très bien. Même avec les droits de douane imposés par Donald Trump ces dernières semaines, les ventes ont continué de progresser. Une fierté pour la patronne et fondatrice de l’entreprise, Liu Jiangxia : "Notre entreprise fabrique des poupées pour adultes depuis 15 ans, explique-t-elle, c’est un marché en pleine croissance. Pendant le Covid, on était à +30 % de ventes chaque année. Aujourd’hui, on est redescendu, mais l’activité progresse tout de même de 10 % par an. Les poupées ne répondent pas seulement à des besoins physiques des clients, mais aussi émotionnels. Et avec le tournant de l’intelligence artificielle, ce ne sont plus des objets froids. Nous mettons beaucoup d’argent sur ça. Un tiers des bénéfices de l'entreprise est réinvesti dans la recherche et le développement."

Dasn l'usine de Zhongshan, les poupées pour adultes tentent d'être reproduites fidèlement à un humain. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Dasn l'usine de Zhongshan, les poupées pour adultes tentent d'être reproduites fidèlement à un humain. (SEBASTIEN BERRIOT / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Les Américains, les Allemands et les Français parmi les plus gros clients

Le client type est un homme américain de 50 ans, puis les Allemands et les Français qui représentent 10 % des ventes. Une petite partie des poupées est également vendue en Chine. Un des clients de l'usine est à la tête d’une sorte de salon de prostitution avec des poupées. Il est venu faire ses achats ici. "Le marché est en pleine expansion, de nombreuses nouvelles salles d’essai comme la mienne ouvrent chaque mois, dit-il. Car c'est un fait, en Chine, un homme ne peut pas se marier sans dépenser des centaines de milliers de yuans pour avoir une femme. Et le taux de divorce est encore plus élevé que le taux de mariage. Alors ces poupées ont du succès chez les hommes."

Il décrit également le bouleversement du marché depuis l'arrivée de l'IA, même si, selon lui, il faut améliorer la technologie. "Pour le moment, elles ne communiquent pas encore assez comme des humains, elles ne peuvent pas percevoir la pensée humaine. J'aimerais voir davantage d'expressions faciales et des réactions physiques plus réelles pour ne pas avoir l’impression qu’on a face à nous un robot, même si évidemment les poupées ne remplaceront jamais les êtres humains."

Avec l’intelligence artificielle, il y a le risque de voir les conversations entre clients et poupées conservées dans des centres de données. La directrice de l'usine veut rassurer sur le respect de la vie privée et assure que toutes ces données ne sont pas stockées en Chine, mais dans des data centers aux Etats-Unis ou en Europe.

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