Pizza, pilule bleue ou rouge, cœur violet… Le sens "caché" de ces émojis que vous utilisez souvent sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, certains émojis ont un sens caché. Ils sont détournés pour permettre aux internautes de communiquer en restant sous les radars des infractions pénales et présentent un véritable danger pour les adolescents.

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Nous utilisons tous des émojis sur les réseaux sociaux et sur nos smartphones mais parfois sans savoir ce qu'ils signifient. (TATIANA LAVROVA / MOMENT RF VIA GETTY)
Nous utilisons tous des émojis sur les réseaux sociaux et sur nos smartphones mais parfois sans savoir ce qu'ils signifient. (TATIANA LAVROVA / MOMENT RF VIA GETTY)

Pilule bleue, pilule rouge, cœur jaune... Sur les réseaux sociaux, le sens caché des émojis est un véritable mode de communication. C'est notamment le sujet qu'aborde la série Adolescence sur Netflix. La mouvance masculiniste a ainsi établi tout un lexique permettant aux adeptes de passer sous les radars des infractions pénales.

Parmi les grandes références de ce lexique : l'opposition entre la pilule rouge et la pilule bleue. Il s'agit du détournement d'une théorie développée dans la saga Matrix lorsque Morpheus propose deux pilules à Néo. La pilule bleue met fin à l'histoire et rend impossible l'accès à la vérité. La pilule rouge, au contraire, permet d'accéder à la réalité en quittant la matrice.

Emoji dynamite, chiffre 100 et coeurs de couleur

Sur les réseaux sociaux, la sphère complotiste et l'extrême droite y attribuent un tout autre sens, allant jusqu'à créer un mouvement "Red Pill". Ils utilisent l'image de la pilule rouge pour inviter leurs membres à sortir de leur ignorance au sujet d'un prétendu "mensonge" féministe. D'après eux, les inégalités entre les femmes et les hommes n'existent pas, la société favoriserait même les femmes en oppressant les hommes. Aux Etats-Unis, sur des plateformes telles que 4chan ou Reddit, l'image de la pilule rouge sert de référence pour permettre aux masculinistes de se repérer et de revendiquer leur mouvance.

Dans la continuité de cette théorie, l'émoji dynamite fait référence à une pilule rouge qui explose, ce qui indique qu'un homme est un incel (unvoluntary celibate, un célibataire involontaire). Cette communauté fait la promotion de la violence contre les femmes, de la misogynie et de la suprématie masculine. Entre 2014 et 2020, une douzaine de meurtres ont été commis par des hommes se déclarant "incels" ou marqués par cette idéologie.

L'émoji 100 matérialise, lui, la règle du 80/20. Une théorie selon laquelle 80% des femmes sont attirées par 20% des hommes, encourageant ainsi les hommes à piéger les femmes parce qu'ils ne les intéresseront jamais d'une autre manière. Enfin, tout un tas de significations sont attribuées aux couleurs du cœur : violet pour une attirance sexuelle, rose pour une relation sans rapports physiques, orange pour indiquer à la personne qu'elle est en sécurité, etc.

Certains symboles sont aussi utilisés pour parler de drogue : la feuille d'érable pour le cannabis, le flocon de neige pour la cocaïne, le ballon pour le gaz hilarant et le cheval pour la kétamine. Plus connus du grand public, d'autres émojis font référence à la sexualité et aux parties intimes : l'aubergine (pour le pénis) et la pêche (pour les fesses) sont les plus communs.

L'émoji pizza utilisé par des pédocriminels

Mardi, la police nationale a alerté sur un tout autre émoji qui paraît absolument anodin : l'émoji pizza sert d'indicateur aux prédateurs sexuels pour détecter les contenus pédopornographiques. En anglais, pour "cheesy pizza", les initiales sont CP, les mêmes que "child porn", pédopornographie en français.

La tendance est importée des Etats-Unis mais se répand en France. Si TikTok pratique la modération des contenus, l'émoji "pizza" peut permettre à des prédateurs sexuels de repérer les comptes qui renvoient vers d'autres réseaux sociaux plus négligents comme Telegram, "où des contenus pédocriminels sont monnayés", indique la police nationale.

Les autorités rappellent qu'acheter, partager ou posséder des images à caractère pédopornographique est une infraction pénale grave. "Si vous croisez ces comptes ne les ignorez pas, signalez-les", ajoute la vidéo. Il est enfin demandé aux internautes témoins de ce genre de profils de les signaler sur la plateforme Pharos. En janvier dernier, un individu a ainsi été interpellé pour la vente de ces images et 77 acheteurs ont été identifiés et poursuivis.

"Garder un état de vigilance, être en veille"

Derrière ces langages codés, il y a un véritable danger pour les internautes et particulièrement les plus jeunes. Samuel Comblez, directeur général adjoint de l'association e-Enfance et directeur du 3018, numéro national pour les victimes de violences numériques et de harcèlement : "On a malheureusement des situations de harcèlement et de cyberharcèlement avec tout un alphabet d'émoticones qui permettent de transmettre des messages."

"Enormément de jeunes tombent dans ces pièges qui sont très facilement tissés : très efficaces, très discrets et qui échappent à la surveillance des adultes et des forces de l'ordre."

Samuel Comblez, directeur général adjoint de e-Enfance

à franceinfo

Les associations s'adaptent continuellement pour identifier ces nouveaux langages : "La, on parle des pizzas mais on sait très bien que ces mouvements pédocriminels vont évoluer. À partir du moment où ils ont été repérés, ils vont inventer d'autres systèmes de communication. Charge à nous de garder un état de vigilance, d'être en veille sur ces évolutions parce que quand on va identifier un risque, on va pouvoir le transformer en message de prévention et alerter les forces de l'ordre et les différents ministères avec lesquels on travaille, pour que l'information puisse passer." L'association e-Enfance va, toutes les semaines, à la rencontre d'enfants et d'adolescents, dans toute la France, pour faire de la prévention et échanger sur leurs habitudes.

Samuel Comblez partage aussi des conseils pour les parents : "La première chose qu'il y a à faire c'est d'essayer de comprendre ce qu'il y a derrière. Est-ce que c'est un émoticone utilisé à des fins de communication primaire ? Est-ce que l'émoticone singe veut véritablement évoquer un singe ? Ou est-ce qu'il peut y avoir un sous-entendu et un double sens ? Il faut essayer de dialoguer avec l'enfant, lui permettre de donner du sens à ce qu'il fait pour lui faire comprendre le risque qu'il a pris ou qu'il fait prendre à quelqu'un d'autre." Chaque année, le numéro national contre les violences numériques, le 3018, reçoit 160 000 appels.

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