"L'agriculture est en pleine mutation" : un projet contesté d'un élevage XXL de 2 100 bovins va voir le jour près de Limoges
La préfecture de la Haute Vienne a validé le projet porté par un grand groupe de l'agroalimentaire, pour transformer une exploitation près de Limoges en un énorme centre d'engraissage. Une "transition" nécessaire de l’agriculture pour certains, un "virage" inquiétant pour d'autres.
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C'est un symbole du virage que prend l'agriculture française. Alors que le Sommet de l'élevage s'ouvre à Cournon, près de Clermont-Ferrand, mercredi 7 octobre, un projet de ferme d'élevage XXL est en passe de voir le jour près de Limoges. Malgré l'opposition de riverains et d'associations, la préfecture de Haute-Vienne a donné le feu vert, en mai, à un projet, porté par Carnivor, un grand groupe de l'agroalimentaire, pour transformer une exploitation en centre d'engraissage de 2 100 bovins.
À l'écart du village de Peyrilhac, à 20 kilomètres au nord de Limoges, sur le lieu-dit Chavaignac, se trouve l'imposante ferme d'Emmanuel Thomas. Quatre bâtiments à l'entrée, six à l'arrière, au milieu de 600 hectares de terres. Cette exploitation est déjà consacrée à l'élevage pour la viande bovine, certains animaux ne sortent pas. "Aujourd'hui, il y a 800 bêtes en stabulation (séjour du bétail en étable), explique l'éleveur, et il y a 800 bêtes à l'extérieur, en pâture, mais celles-ci ne sortent pas".
Avec la crise des vocations, "il n'y a pas de repreneurs"
Le chef d'exploitation de 62 ans veut prendre du recul avec son métier et vendre son entreprise estimée à trois millions d'euros. Mais dans le contexte de la crise des vocations, il assure n'avoir trouvé personne. "Il n'y a pas de repreneurs, affirme-t-il. D'ici 2030, 50% des actifs vont partir à la retraite. Le foncier augmente, les animaux augmentent, tout augmente. Ça va être très difficile de pouvoir installer des jeunes.
"Avec la taille de la structure, qui va racheter ça, à part un groupe comme T'Rhéa ?"
Emmanuel Thomas, éleveur à Chavaignacsur franceinfo
T'Rhéa est une filiale du groupe d'agroalimentaire Carnivor. Elle porte ce projet qui a obtenu le feu vert du préfet de Haute-Vienne pour doubler le nombre d'animaux à l'engraissement.
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À terme, il y aura dans ce bâtiment plus de 2 000 vaches. "T'Rhéa va préparer ces animaux ici, dans le Limousin, explique Emmanuel Thomas. Ils seront abattus dans le Limousin pour le marché de la viande sur notre territoire français. Ça me semble la chose la plus 'réglo' qu'on peut avoir au niveau de l'environnement." Cette évolution permettra aussi, ajoute l'éleveur, de maintenir les neuf emplois sur le site.
Vers un modèle d'exploitations toujours plus grandes ?
Pour l'industriel à l'origine du projet, de plus en plus d'installations de ce genre verront le jour en France. T'Rhea existe depuis cinq ans et le groupe Carnivor, entreprise de boucherie-charcuterie-fromagerie créée près de Toulon dans les années 90, est aujourd'hui cotée en bourse avec comme objectif est de maîtriser toute la chaîne : l''élevage, l'abattage et la boucherie.
En 2024, cette société déclarait sur son site avoir commercialisé 115 000 tonnes de viande, dont une partie élevée à Saint-Martial-le-Vieux, dans la Creuse au sud de Guéret.
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C'est dans ce site d'engraissement déjà en service, un hangar rempli de bovins, parqués dans des enclos, que Pascal Nowak, chargé de mission chez T'Rhéa, accueille franceinfo. La filiale a racheté cette exploitation en 2021, connue sous le nom de ferme des "Mille veaux". "Ce nom a été bien pensé par les agriculteurs, parce qu'on est sur le plateau de Millevaches, explique-t-il, mais il y a eu un amalgame dans la tête des opposants, en considérant que cette ferme des "Mille veaux" était un camp de concentration. Ce n'est pas du tout le cas".
Pascal Nowak veut donc répéter et étendre le modèle en investissant sept millions d'euros à Peyrilhac, dans le département voisin, parce que c'est la seule façon, selon lui, de répondre à la demande dans un contexte de baisse du nombre d'exploitants. "L'agriculture est en pleine mutation", selon Pascal Nowak.
"L'agriculture est en pleine mutation. On est en train de préparer la transition des modèles. Des modèles de taille modeste vers des modèles plus conséquents."
Pascal Nowak, chargé de mission chez T'Rhéasur franceinfo
"Dès lors que vous êtes dans un schéma où vous êtes employeur de main-d’œuvre, il y a une notion irréfutable qui est la valorisation économique de la main-d’œuvre employée", assure le chargé de mission chez T'Rhéa.
La France a perdu trois millions de bovins depuis 2017, alors que la consommation de viande se maintient, selon Pascal Nowak. "Malgré tout ce qu'on peut entendre sur la pression des vegans, la consommation ne baisse pas, dit-il. Dans une configuration où la production va baisser, mais pas la consommation - ou si la consommation baisse moins vite que la production - la question de la souveraineté alimentaire se pose de manière récurrente". Revoir les seuils pour favoriser les gros élevages face aux règles environnementales représentait d'ailleurs l'une des mesures de la loi Duplomb adoptée cet été pour lever les contraintes des agriculteurs.
"C'est vraiment nocif et c'est un virage"
Ce projet suscite néanmoins le rejet d'une partie de la population de Peyrilhac. Un collectif d'habitants fait pression depuis des mois et la société T'Rhéa a dû revoir son projet à la baisse. Il est passé de 3 000 à 2 000 vaches. Une évolution loin de suffire pour rassurer les riverains, comme Jean-Baptiste Gros. Cet agriculteur à la retraite habite à trois kilomètres de la future "ferme-usine", comme il dit. Il dénonce les méthodes de son voisin, à qui il loue une partie de ses champs. Un bail qu'il ne peut pas remettre en cause malgré la vente au groupe agroalimentaire. "Prendre des terres des autres sans leur avis, ça me gêne, tout comme la question du bien-être animal, dit-il.
"Ce sont des bêtes très malheureuses pour moi. C'est pour ça que je ne veux pas être lié avec une société pareille."
Jean-Baptiste Gros, agriculteur bailleurà franceinfo
Pour contrer la décision du préfet, Jean-Baptiste Gros et les opposants ont décidé de saisir le tribunal administratif. Ils ont le soutien de l'association Terre de liens, qui rachète des terres agricoles pour aider les petits agriculteurs à s'installer. Le risque est bien la disparition du modèle des exploitations familiales en France, selon Vincent Laroche, porte-parole en Limousin. "C'est vraiment nocif et c'est un virage, alerte-t-il. On va avoir de moins en moins d'agriculteurs. On ne fait rien pour garder ceux qui sont déjà en place, ni même pour installer des paysans dont on aura besoin pour nous nourrir à horizon 2050. On est dans un contexte de réchauffement climatique, de perte de biodiversité. On va avoir une raréfaction d'accès aux ressources énergétiques. On a besoin de résilience et d'autonomie alimentaire".
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Vincent Laroche cite notamment un rapport de son association, qui affirme que 14% des terres agricoles françaises sont détenues par des sociétés financières. C'est deux fois plus qu'il y a 20 ans.
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