Effectuer des livraisons en "cotransportage" pour rentabiliser ses trajets : système vertueux ou capitalisme sauvage ?
Pour arrondir leurs fins de mois, ils sont des dizaines de milliers en France à utiliser des applications fournissant des petits travaux - qui se développent de plus en plus - en échange non pas d'une rémunération mais d'un "pourboire".
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Des particuliers qui s'improvisent livreurs au pied levé : c'est cela, le cotransportage. Plusieurs applications proposent de profiter d'un trajet que vous faites habituellement pour aller livrer des courses à un tiers. Franceinfo a pu échanger avec une infirmière et un boucher qui font ça de temps en temps, mais certains y consacrent plusieurs heures par jour.
C'est le cas de Ludovic, un Strasbourgeois de 26 ans. "Là, on arrive au drive. J'ouvre l'application", montre-t-il. Il trouve alors toutes les informations utiles pour les livraisons en attente, les plages horaires, les volumes, et même l'étage. Il scanne un QR code, récupère les courses et va ensuite livrer dans différents quartiers de la ville.
"Un très bon complément de revenus"
"Leclerc, Auchan, Intermarché, toutes les enseignes les plus connues utilisent le cotransportage", explique Ludovic, qui dit gagner en moyenne 5,50 euros par course. "C'est du pourboire, mais malgré tout on a quand même un rôle de livreur, il y a de la manutention derrière surtout quand c'est des grosses courses, reconnaît-il. Ça reste pour moi un très bon complément de revenus, surtout que je travaille à mon compte. Ça me paye mon loyer et mes courses."
Et en plus, il se sent utile, confie-t-il. Il livre beaucoup de personnes âgées ou handicapées comme Danielle, qui ne peut plus se déplacer ni rien porter depuis une opération. "C'est vrai que c'est vital à notre époque", dit-elle.
"Qui est-ce qui rend encore des services aujourd'hui pour pratiquement rien ?"
Danielle, utilisatriceà franceinfo
Ludovic peut ainsi gagner jusqu'à 800 euros en un mois, ce à quoi il faut déduire les frais d'essence.
Et il n'est pas le seul dans ce cas. Dans un drive, Mourad, qui a des enfants en bas âge, a recours à ces applications depuis près d'un an, parce que sa femme ne travaille pas et qu'il est lui-même en "inaptitude de travail". Après une mésaventure où il a été accusé à tort de vol, il a été banni de l'application Shopopop, il utilise désormais le compte de sa femme. Pour lui, c'est ce travail qui assure la survie du foyer, affirme-t-il.
Pas de statut juridique, pas de cotisation retraite...
Cependant il y a aucun cadre juridique pour ces livreurs. Ou du moins c'est très flou, très ambigu. La justice s'est d'ailleurs penchée sur cette question il y a six mois. Le conseil des prud'hommes d'Evry a condamné l'une de ces entreprises, Shopopop, pour travail dissimulé. Shopopop a été condamnée à requalifier l'activité d'une utilisatrice en CDI.
Emmanuel Ludot est l'avocat d'une autre personne, bannie elle aussi de l'application : "Parler de 'bannissement', vous vous rendez compte du terme qui a été choisi ? Il n'a pas été choisi par hasard par ces gens-là, fustige-t-il. On est dans un capitalisme sauvage qui se déguise en paternalisme. Donc devant le conseil de prud'hommes d'Evry, je peux vous dire que ce n'est pas passé." Plus généralement, pour cet avocat, ces sociétés "exploitent des personnes en grande précarité" : "On a gravi un échelon supplémentaire, si je puis dire, dans le profit", dénonce-t-il.
"On est dans un système d'exploitation, quasiment d'esclavage déguisé."
Emmanuel Ludot, avocatà franceinfo
"Ils ont bien compris que 'le système Uber' avait été repéré par la justice, détaille encore l'avocat. Ils s'adressent à des catégories de Français qui sont dans la grande précarité, qui n'ont généralement aucune activité. En fait, ce qu'ils veulent, c'est faire coup triple : gagner de l'argent tout en faisant passer pour des bénévoles, employer du personnel sans payer les charges sociales ni les salaires, et échapper à toute fiscalité. Donc c'est quand même d'un cynisme hors pair, on n'avait jamais vu ça jusqu'à ce jour."
Une intention tout autre à l'origine
La société conteste cependant ce discours et a fait appel de cette décision de justice. Et elle n'est pas la seule à défendre son modèle. Trois de ces entreprises sont implantées en France : Shopopop, Tut Tut et Yper. Elles expliquent et répètent que cette activité n'est pas un métier, que leur but est bien de rentabiliser les trajets au quotidien de ses utilisateurs, tout en rendant service.
Johan Ricaut est l'un des fondateurs de Shopopop et s'offusque du détournement d'une idée très différente au départ : "Qu'on vienne me dire ou qu'on vienne nous remettre en question sur des fondamentaux tels qu'on les a construits et tels qu'on les défend, j'ai un petit peu de mal à l'entendre. Aujourd'hui, on a mis des garde-fous qui permettent de ne pas entrer dans une forme de travail ou de modèle professionnalisant."
"Il y a des limites qui sont fixées annuellement en termes de gains, donc on ne peut pas dépasser 3 000 euros par an aujourd'hui."
Johan Ricaut, cofondateur de Shopopopà franceinfo
"Et la réalité, au sein même de Shopopop, ajoute l'entrepreneur, c'est que 95% de nos utilisateurs vont percevoir moins de 1 000 euros, avec une moyenne qui oscille entre 400 et 500 euros à l'échelle d'une année."
Pour le directeur général de cette entreprise de co-transportage, ce système améliore le pouvoir d'achat des Français, réduit les émissions de CO2 et permet de lutter contre l'isolement. L'an dernier, un peu plus de 110 000 personnes ont réalisé au moins une livraison avec cette seule application.
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