Les bébés reconnaissent les nombres

Les bébés ont un sens abstrait des nombres. Ils les perçoivent comme on voit une couleur ou que l’on ressent une température. Explications avec Hervé Poirier, rédacteur en chef au magazine Epsiloon. 

franceinfo : Comment peut-on être sûr que les nourrissons reconnaissent les nombres ?

Hervé Poirier : L’expérience qui a été menée au Centre NeuroSpin de l’Université Paris- Saclay est impressionnante. Les chercheurs ont posé sur le crâne de 26 nouveau-nés de 3 mois 256 capteurs d’ondes cérébrales. Ils les ont laissés s’endormir, et, pendant leur sommeil, leur ont fait écouter des séquences de 4 sons et des séquences de 12 sons. En démêlant le tracé des capteurs, ils ont réussi à déceler le signal encodant ce nombre de sons : un signal neurologique spécifique pour le nombre 4, et un autre pour le 12. Ce qui est impressionnant, c’est que ce signal restait le même lorsqu’ils faisaient varier la note du son, sa durée, son tempo, ou l’instrument de musique. Et ce qui est encore plus impressionnant, c’est qu’au réveil, ce signal était encore décelable quand les bébés regardaient des images de 4 objets variés ou des images de 12.

Quelles conclusions en tirer ?

Que ce signal n’est donc pas lié au sens auditif ou visuel, ni aux choses qu’il s’agit de dénombrer, ni à l’état d’éveil ou de sommeil, ni au fait de percevoir des éléments en séquence ou de façon simultanée. Il transcende tout cela en se focalisant sur une donnée beaucoup plus abstraite : c’est le signal du nombre 4 en tant que tel, le signal du 12. Cela démontre que, même quand il n’y prête pas attention, le nombre est une propriété de base extraite automatiquement de l'environnement par le cerveau du nourrisson.

Cela veut-il dire que les bébés savent naturellement compter ?

Voilà un vieux débat ! Avec d’un côté, Platon et les nativistes, qui pensent que les humains ont des capacités mathématiques innées, et un sens du nombre pré-installé ; et de l’autre, John Locke et les empiristes, qui insistent sur le fait que presque toutes les connaissances sont acquises au fil du temps. Dans les 25 dernières années, des expériences comportementales ont été menées sur des bébés qui n’ont pas eu d’apprentissages arithmétiques, sur des peuples qui n’ont pas de mots précis pour désigner les nombres au-dessus de 5, et même sur des animaux, des loups, des rats, des canards.

Quel en fut le résultat ?

Toutes les expériences ont fait nettement pencher la balance du côté de Platon. Et cette dernière, neurologique, fournit la preuve la plus solide à ce jour que nous avons bien un code neuronal des nombres. De la même façon qu’il est câblé pour voir les couleurs ou ressentir la chaleur, le cerveau des humains, mais aussi celui des animaux, est câblé pour percevoir cette chose très abstraite qu’est le nombre. Nous sommes tous des arithméticiens nés.

Pour lire l'étude (en anglais) : https://doi.org/10.1016/j.cub.2023.03.062