Agnès Gruda : "L'enfant que j'ai eu l'impression de laisser derrière moi existe-t-il encore quelque part ?"

À l'occasion du prix Bayeux des reporters de guerre, l'invité culture est Agnès Gruda, grand reporter au Canada (elle a arpenté de nombreux terrains de conflit). Elle publie son premier roman : "Ça finit quand, toujours ?"

Article rédigé par Frédéric Carbonne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Le livre d'Agnès Gruda, chez son éditeur français. (EDITIONS DES EQUATEURS)
Le livre d'Agnès Gruda, chez son éditeur français. (EDITIONS DES EQUATEURS)

Ce roman est une fresque familiale et historique, dans lequel la question de l'exil est centrale. L'auteure raconte à quel point elle porte ce livre en elle depuis longtemps.

"Que serais-je devenue si j'étais restée, ou serais-je revenue si on était ailleurs, ou le petit enfant que j'ai laissé derrière moi existe-t-il encore quelque part ?" Toutes ces questions, Agnès Gruda se les pose depuis 1968, année où sa famille a quitté la Pologne d'un régime communiste dont l'antisémitisme devenait de plus en plus pesant. "Je me rappelle très précisément du jour où ma maman m'a dit 'on part pour toujours' et je me souviens de la texture de ce mot 'toujours' qui est absolument effrayant".

D'où le titre du roman, qui raconte le destin de 4 familles sur 3 continents. L'une choisit de rester, les autres s'installent au Canada, aux États-Unis et en Israël, en gardant malgré la distance un lien profond, renforcé par la douleur de l'exil. Une autre question traverse ce livre : "C'est où chez moi ?"

Juifs chassés de Pologne devenus goys en Israël

Lors du premier retour en Pologne, les deux sœurs qui ont émigré au Canada "ressentent quelque chose de très profond qui les fait se sentir vraiment chez elle". Agnès Gruda, pour l'avoir vécu personnellement, décrit tout ce qui fait ressentir les limites de l'intégration. C'est aussi vrai  pour la famille qui s'installe en Israël. "Les gens qui arrivaient de Pologne étaient perçus comme des goys, surtout s'ils n'étaient pas circoncis (ce qui était le cas de la plupart des garçons). On peut devenir goy en Israël après avoir été chassé de Pologne en tant que Juif."

Israël et les Territoires palestiniens, Agnès Gruda y est allé souvent comme reporter pour son journal au Canada. Et elle dit sa souffrance, son incompréhension devant les bombardements qui ont suivi le massacre du 7 octobre. "Si j'avais commencé à écrire mon livre au moment où la guerre a eu lieu, je ne sais pas si j'aurais été capable de l'achever dans la sérénité ou si cela n'aurait pas filtré d'une façon quelconque dans mon récit. Cette guerre va nous marquer pour des décennies."

Un exil universel

Ce roman, à la fois ample et intime, a obtenu le Prix du premier roman au festival du livre de Nancy. Il est sélectionné pour d'autres prix et Agnès Gruda se dit particulièrement touchée par la réaction de certains lecteurs : "Ceux qui ont émigré, comme moi, se sont reconnus dans ce livre, ils ont reconnu leurs parents. Cela me conforte dans mon ambition de parler de l'exil de manière universelle."

Ça finit quand, toujours ? d'Agnès Gruda (Éditions des équateurs).

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