Réformes des retraites : "Le vrai débat, il faut le ramener sur les annuités, les petites retraites et la pénibilité", insiste l'économiste Jean-Hervé Lorenzi

"Il est tout à fait possible de trouver un accord sur ces termes-là", estime, mercredi sur franceinfo, Jean-Hervé Lorenzi, économiste, fondateur du Cercle des économistes.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Jean-Hervé Lorenzi, économiste, fondateur du Cercle des économistes, le 15 janvier 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Jean-Hervé Lorenzi, économiste, fondateur du Cercle des économistes, le 15 janvier 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Le Premier ministre a annoncé, lors de sa déclaration de politique générale, qu'il choisissait de remettre la réforme des retraites "en chantier avec les partenaires sociaux". "Le vrai débat, il faut le ramener sur les annuités, les petites retraites et la pénibilité. Donc, je dis qu'il est tout à fait possible de trouver un accord sur ces termes-là", insiste, mercredi 15 janvier, Jean-Hervé Lorenzi, économiste, fondateur du Cercle des économistes.

Ni abrogation, ni suspension, mais une négociation remise entre les mains du patronat et des syndicats qui ont trois mois pour s'accorder. "Une bonne méthode", selon Jean-Hervé Lorenzi. Si les partenaires sociaux parviennent à trouver un accord, il sera repris par le Parlement lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, cet automne. Si les négociations échouent, le texte actuel continuera à s'appliquer. Et le Premier ministre ouvre une troisième voie et promet de soumettre un nouveau projet de loi en cas de "progrès" entre les partenaires sociaux, même "sans accord général".

franceinfo : Les pensions de retraite coûtent chaque année 340 milliards d'euros, soit 14% du PIB. D'abord, sur la méthode employée, François Bayrou a-t-il raison de vouloir au préalable objectiver les chiffres, à commencer par ceux du déficit, une mission qu'il va confier à la Cour des comptes ? Est-ce un préalable, selon vous, à toute discussion ?

Ce n'est pas un préalable, c'est juste une mesure qui est intelligente. Avoir les gardiens des comptes de notre pays qui s'expriment sur les comptes de notre pays, ce n'est pas absurde.

Il y a des débats sur les chiffres : le Premier ministre parle de 55 milliards de dette, le Conseil d'orientation des retraites (COR) l'estime plutôt à 15 milliards en 2030.

À la chaire que j'ai l'honneur d'animer, on a fait les calculs, on arrive, si on ne bouge rien, dans le système actuel, on arrive à une vingtaine de milliards d'euros de déficits de plus en 2030. Évidemment qu'il faut bouger.

Peut-on sincèrement se dire qu'il est possible de financer notre système de retraite par répartition sans creuser le déficit et en renonçant à la retraite à 64 ans ? C'est l'enjeu de la négociation qui va s'ouvrir pour trois mois avec les partenaires sociaux.

D'abord, je trouve que la méthode est bonne. Entre nous, qui mieux que les partenaires sociaux connaît le sujet ? Avec l'argument qui consiste à dire "ils ne se mettront jamais d'accord", la France serait paralysée. C'est La France insoumise qui dit ça. Mais à ce moment-là, c'est un argument d'autorité : ce n'est pas possible, plus personne ne peut discuter. C'est une bonne méthode, c'est rapide, ça ne change pas la face du monde et je trouve que c'est assez malin par rapport même à la suspension. Elle était difficile à avaler pour une partie de la majorité, c'est une situation politique compliquée. Et c'est assez habile puisqu’en réalité, il n'y aura pas des centaines de milliers de personnes qui vont être touchées par ces évolutions de retraites pendant ces trois mois.

"Au fond, c'était la bonne astuce à la fois la Cour des comptes et à la fois les partenaires sociaux."

Jean-Hervé Lorenzi

sur franceinfo

Pensez-vous qu'il est possible de trouver un accord sans creuser le système de retraites actuel et en renonçant à la mesure d'âge, qui est quand même la mesure phare de la réforme de 2023 d'Élisabeth Borne ?

Il y a quelque chose qui a disparu dans la discussion, c'est ce qu'on appelle les annuités. Vous savez que nos retraites sont liées à deux chiffres : l'âge, sur lequel on est complètement concentré, et les annuités. Les annuités, c'est la dernière réforme qui a eu lieu, qui a été faite par les socialistes. La réforme Touraine qui amène à 43 années en 2027. Je rappelle juste que 43 annuités, si vous démarrez votre travail à 21 ans, ça fait 64 ans. Donc, c'est en réalité beaucoup plus important et surtout beaucoup plus juste. Tout simplement parce qu'il y a des jeunes qui commencent à travailler à 15 ou 16 ans et il y en a qui commencent à travailler à 25 ans et on considère que la mesure d'âge est commune à tout le monde. Non, ça, ce n'est pas juste. Vous me dites est-ce qu'on peut en sortir ? Bien sûr que oui.

Ce n'est pas si simple, énormément de gens disent que c'est très compliqué de ne pas creuser le déficit en s'arrêtant, comme aujourd'hui, à 62 ans et six mois.

Je ne suis pas d'accord. Considérer que vous mettez le même chiffre pour tout le monde : vous, comme moi, qui avons commencé assez tard et le jeune qui a commencé à 15 ans, qui était apprenti pâtissier… Le vrai débat, il faut le ramener sur les annuités et il faut le ramener sur les petites retraites et la pénibilité. Donc, je dis qu'il est tout à fait possible de trouver un accord sur ces termes-là.

Quelles sont les pistes ? Il y a deux jours, à votre place, il y avait François Asselin, qui représente les petites et moyennes entreprises. Pour lui, il n'est pas question que ça se traduise par des hausses de cotisations et donc par une augmentation du coût du travail.

On peut imaginer beaucoup de choses.

"Traiter les retraités comme si c'était une entité unique est parfaitement inexact et pas sérieux."

Jean-Hervé Lorenzi

sur franceinfo

Si moi, je suis retraité, j'ai une retraite très convenable alors qu'il y a des femmes notamment qui ont eu des carrières hachées. C'est ça le premier sujet. J'ai une idée que je vous soumets, c'est le minimum vieillesse. Aujourd'hui, une femme qui a une retraite très faible ne peut toucher un minimum vieillesse, d'environ 1 000 euros, qui permet de vivre, qu'à 65 ans. Je ramène cet âge minimum de 65 ans à 60 ans, ça permet de résoudre énormément de sujets.

Donc ça, c'est une mesure de justice sociale. L'avez-vous soumise au gouvernement, qu'en pense-t-il ?

J'espère qu'il en pense du bien.

Ça coûte de l'argent, on en revient à la question du financement : comment financez-vous ces mesures ?

Il ne vous a pas échappé non plus que, en moyenne, alors qu'il y a des toutes petites retraites et des retraites très confortables, la moyenne est quasiment, en revenus, équivalente à peu près à celle des actifs ou légèrement supérieure.

Donc, vous êtes d'accord avec Gilbert Cette, qui est à la tête du Conseil d'orientation des retraites, qui est pour la suppression de l'abattement fiscal de 10% auquel ont droit les retraités. Il dit que ça fera gagner 4 milliards d'euros par an, êtes-vous d'accord ?

Non seulement je suis d'accord, mais je félicite Gilbert Cette d'avoir eu cette idée que nous avons eue en même temps. Évidemment, c'est une piste. Toujours en séparant les petites retraites auxquelles on ne touche pas, ce qui était l'erreur de ne pas mettre en valeur ce problème-là au moment de Barnier, et puis les gens qui vivent tout à fait confortablement, qui sont à 75% propriétaires de leur logement et qui peuvent à la fois voir disparaître cet abattement, qui est absolument insensé puisque c'est pour frais professionnels, donc qui n'a aucun sens. Et deuxième aspect, la CSG qui est spécifique, qu'on peut remonter.

Normalement, tous les films du genre Mission impossible se finissent bien, selon Yvan Ricordeau, le négociateur du premier syndicat de France, la CFDT. Êtes-vous d'accord ? Pensez-vous que cette négociation va bien se terminer et qu'ils vont parvenir à un accord ?

Je pense qu'elle va bien se terminer. Je rappelle que la CFDT était d'accord sur la réforme par points, dont le premier mérite était de supprimer l'âge légal de la retraite. Donc si on concentre tout sur ces 64, 62 ans, on peut revenir à des choses qui soient plus justes, qui prennent en compte les petites retraites et qui en réalité ne reviennent pas plus cher. Il est clair qu'on va travailler un peu plus, mais ça, pas besoin d'être un prix Nobel d'économie pour le savoir.

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