Hydrogène : comment rattraper le retard français ? Réponds un spécialiste

Le démarrage de la filière de l'hydrogène en France semble compliqué mais c'est un retard que nous pouvons "rattraper si on décide d'avoir une approche politique sur ce sujet qui est cohérente, consistante et qui dure, c’est-à-dire qu'on fait des réglementations qui sont simples" explique Pierre-Étienne Franc, spécialiste de l'hydrogène.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Transports publics à l'hydrigène, l'avenir de l'énergie ? Photo d'illustration. (CHRISTINE DUMAS / MAXPPP)
Transports publics à l'hydrigène, l'avenir de l'énergie ? Photo d'illustration. (CHRISTINE DUMAS / MAXPPP)

Est-ce un cas isolé ou le symptôme d'un démarrage compliqué de la filière de l'hydrogène en France ? L'entreprise McPhy, qui annonçait l'ouverture de la plus grande Gigafactory à Belfort, pour fabriquer des électrolyseurs en vue de la production d'hydrogène vert. Moins d'un an après, elle est déjà en vente.

Dernier jour, Ce vendredi 9 mai, pour déposer une offre de reprise devant le tribunal de commerce.

Entretien avec Pierre-Étienne Franc, spécialiste de l'hydrogène, cofondateur du Conseil de l'Hydrogène, à la tête d'un fonds d'investissement spécialisé et auteur de plusieurs ouvrages à ce propos.

franceinfo : Le cas de cette Gigafactory démontre-t-il que la filière de l'hydrogène en France a du mal à se mettre en place ?

Pierre-Étienne Franc : Ce n’est pas un sujet purement français, c'est un sujet européen, mais dans une dynamique qui est souvent un peu critiquée alors qu'elle est quand même très forte globalement. Si on prend le temps revenir sur les problèmes, il y a quelques années, il n'y avait quasiment pas de fabrication d'électrolyseur, il y avait péniblement quelques centaines de mégawatts de lignes de fabrication qui étaient en train d'être construites et on ne savait pas très bien comment ça allait décoller. Entre-temps, l'Europe s'est dotée d'un programme de financement des équipementiers pour faire des électrolyseurs, mais aussi des piles à combustible et des réservoirs. De manière assez remarquable, il y a eu près de 2 milliards sur le territoire français qui ont été mis en dotation pour financer ces centrales de production et des subventions publiques ont été là pour cette première étape. Le problème, c'est que derrière, pour mettre en œuvre et pour déployer ces électrolyseurs, il faut des clients. Et ces clients, ils ne vont pas basculer d'une fourniture d'hydrogène gris ou classique qui est très compétitive, mais qui émet beaucoup de CO2, à du vert, qui est plus cher, en général, sans avoir des réglementations qui l'impose. Et la transposition de toute la politique européenne a pris un temps considérable. Elle n'est toujours pas achevée dans les principaux pays.

Le problème est-il donc au niveau européen, avec le prix de l'hydrogène vert et les réglementations ou est-ce de subventions public ?

C'est un problème de transposition rapide des réglementations qui sont décidées au niveau européen et de mise en œuvre des politiques publiques qui étaient prévues depuis le départ. Il y a aujourd'hui une centaine de sociétés en Europe qui cherchent des financements, on parle de près de 4 milliards d'euros. Sur la France, il y en a pour près de 800 millions de recherche de financements. Tous ces acteurs se sont mis en ordre de bataille pour suivre les conséquences des directives européennes sur la baisse des émissions dans les grandes industries émettrices, tels que les engrais, le raffinage, les transports, la chimie, la pétrochimie, l'acier, se disent "je me prépare".

Acier, chimie, ammoniac : l'industrie est lourde, est-ce pour cela que la demande pour l'hydrogène vert n'est pas là ou est-ce parce que les subventions publiques ne sont pas assez au rendez-vous ?

Il y avait des règles qui avaient été prévues pour que l'ensemble de l'industrie européenne se mette dans un dynamique bas carbone, que ce soit les véhicules mais aussi les productions chimiques, le raffinage, l'ammoniac, l'acier. Un certain nombre de projets sont en cours, par exemple en Suède, un très gros projet d'acier dans lequel on est investisseur de plus de 2 millions de tonnes, qui va décarboner et pour ça, investir 800 mégawatts de production d'hydrogène vert. Mais ces projets ne sont pas encore assez nombreux parce que les outils réglementaires, les protections aux frontières, vous savez, le fameux mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le SIBAM qui permet de protéger les producteurs d'acier contre l'importation d'acier carboné venant de Chine ou de Russie... Ces mécanismes-là ne sont pas encore complètement en place. Il y a donc un décalage entre la préparation des équipementiers et la mise en œuvre des projets. Ce décalage, il faut le soutenir financièrement. Soit ce sont des fonds comme nous le faisons, soit ce sont des politiques publiques qui accompagnent ces équipementiers le temps que les projets arrivent.

Est-ce étonnant, selon vous, que McPhy ait des problèmes de demande aujourd'hui, pendant que la France revoit à la baisse sa stratégie hydrogène pour les 10 ans à venir ?

Ça ne m'étonne pas, mais ça me soucie. De l'autre côté, en Chine, vous avez déjà plus de 500 000 tonnes d'hydrogène fabriqué à base d'électrolyse. Vous avez plus de la moitié de la capacité de fabrication d'électrolyseur qui est en place. Ils ont pris le contrôle de toute la chaîne de production des camions et des bus hydrogène. Ils avancent beaucoup plus vite que nous. Donc on a lancé la dynamique, on a créé les réglementations, on a donné le tempo de ce qu'il fallait faire pour avoir des industries propres. Derrière, la mécanique réglementaire et de financement ne suit pas assez vite. On peut encore rattraper la course.

Le rapport de l'Agence internationale de l'énergie souligne que 40 % de la croissance est aujourd'hui portée par la Chine. Pouvons-nous vraiment rattraper le temps d'avance qu'a pris la Chine ?

Il peut se rattraper si on décide d'avoir une approche politique sur ce sujet qui est cohérente, consistante et qui dure, c’est-à-dire qu'on fait des réglementations qui sont simples, ce qui n'est pas le cas, qui sont rapides dans leur exécution.

Pierre-Étienne Franc

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Il faut que la gouvernance européenne soit beaucoup plus efficace, dans le sens où, si on n'applique pas une réglementation et qu'on ne décarbone pas son process, on est perdant, et au contraire, si on le fait plus vite que les autres, on est gagnant. Je reprends le cas de cette société en Suède, aujourd'hui, ils arrivent à vendre leur acier décarboné avec des primes de plus de 200 euros la tonne. Il y a une demande, quand la réglementation est là et quand des soutiens publics sont là pour accompagner le passage.

Malgré ces freins au développement de la filière, vous investissez quand même dans l'hydrogène vert, notamment en Europe, notamment en France, est-ce que vous pouvez nous donner une idée des projets concrets dans lesquels vous vous investissez aujourd'hui ?

Aujourd'hui, on a déployé près de 600 millions d'euros dans tout un tas de projets, dans une dizaine de sociétés à la fois des développeurs de projets qui sont en train de préparer ces investissements qui permettront de charger des usines de McPhy ou d'autres acteurs de la filière, quelques-uns en France notamment. On parie, également, par exemple, sur le développement des soutiens pour tout ce qui est fuel synthétique, qui sont clés pour l'aéronautique mais aussi pour le maritime. On soutient des sociétés comme ELISE, qui ont des projets en France. On est aussi très investi dans la mobilité hydrogène. On possède le contrôle d'une des principales sociétés de taxi hydrogène au monde et parisiennes qui s'appelle Hysetco. Et parce que pour nous, l'hydrogène apporte des avantages particuliers en complément des solutions électriques, non seulement en termes d'autonomie et de temps de charge, mais aussi de confort d'usage pour l'utilisateur, et enfin cela va nous permettre d'accompagner le renforcement nécessaire du réseau électrique par des compléments d'énergie qui ne sont pas uniquement dépendants du réseau électrique.

On a de vrais enjeux en termes de soutien du réseau électrique et on ne pourra pas tout faire par l'électrique.

Pierre-Étienne Franc

sur franceinfo

Il y a donc un avenir pour l'hydrogène en France ?

Absolument, si vous voulez une souveraineté européenne qui fonctionne, il faut progressivement se déprendre de notre dépendance au pétrole et au gaz et développer plus de renouvelables, plus de nucléaire et plus de vecteurs non électriques qui sont essentiellement basés sur de l'hydrogène. L'oxygène est l'un des facteurs clés de la compétitivité, une souveraineté européenne renouvelée.

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