"La seule langue que comprend Donald Trump, c'est lorsqu'on rétorque par la force", selon l'économiste Joseph Stiglitz
Le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz est l'invité éco de franceinfo, vendredi 17 janvier, à l'occasion de la sortie de son dernier livre : "Les routes de la liberté".
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"La seule langue que comprend Donald Trump, c'est lorsqu'on rétorque par la force. C'est vraiment quelqu'un qui passe en force", analyse l'économiste américain, Joseph Stiglitz, vendredi 17 janvier, à quelques jours de l'investiture de Donald Trump en tant que 47e président des États-Unis.
Joseph Stiglitz est un ancien chef économiste de la Banque mondiale, prix Nobel d'économie en 2001. Son nouveau livre, Les routes de la liberté, est paru début janvier 2025 aux éditions Les liens qui Libèrent.
franceinfo : Donald Trump sera investi lundi pour un deuxième mandat. Vous êtes un économiste engagé. Vous combattez les néolibéraux et ce que vous appelez leurs alliés de la droite radicale qui, sous couvert de liberté, œuvrent en réalité pour leurs propres intérêts et non pour la collectivité et le bien commun. Visez-vous spécifiquement Donald Trump et ceux qui l'entourent ?
Joseph Stiglitz : Ce dont je parle dans mon livre, c'est principalement des idées qui renvoient à la notion de liberté. Il ne s'agit pas de dénigrer le futur président des États-Unis. Le fait est que ce n'est pas un homme de concepts. Pour autant, il y a ce groupe d'extrémistes, à l'extrême droite donc du parti républicain, le caucus de la liberté, c'est ainsi qu'ils se nomment eux-mêmes et c'est ce qu'ils disent. Ils disent qu'ils se battent pour la liberté, ces gens-là. Et l'une des raisons qui m'ont poussées à écrire ce livre, c'est précisément que, de mon point de vue, ces gens-là sont là pour défendre la liberté des milliardaires, leur liberté de nous exploiter, nous autres. Et je pense qu'il est important d'élargir peut-être la réflexion qu'on peut avoir sur cette notion de liberté, de réfléchir à la manière dont on peut peut-être assurer la plus grande liberté possible pour le plus grand nombre de personnes vivant dans notre société. Or, je pense très fortement que Trump va faire exactement le contraire.
Vous avez toujours dénoncé la politique de dérégulation menée par l'administration Reagan, notamment dans les années 80. Là, Donald Trump nous promet de déréguler plusieurs secteurs de l'économie américaine. Il s'est entouré notamment d'Elon Musk, le très puissant patron de X, Space X, Tesla, qui a beaucoup contribué à le faire élire. Comment ça peut se traduire et qu'est ce que ça peut changer concrètement dans la vie de tous les jours des Américains ?
Je pense que ce qui va changer dans la vie quotidienne des Américains, ce sont en fait beaucoup de choses, mais pas simplement celle des Américains. Dans le monde entier, on va être touchés dans de nombreux pays parce qu'il y a par exemple le sujet de la pollution qui faisait l'objet d'une réglementation. Or, les entreprises, par exemple d'hydrocarbures américaines. Leurs agissements ont des incidences sur la Terre tout entière. Or, Trump dit que le changement climatique n'existe pas. Il veut soutenir les pétroliers, les industries pétrolières. Pour autant, on a eu une crise financière, il n'y a pas si longtemps que cela. Et cette crise, elle était liée précisément à la déréglementation du système financier. Or, lui, maintenant, il propose de re-déréglementer encore une fois. Ce qui veut dire qu'on se dirige probablement vers une nouvelle crise financière qui coûterait des fortunes. Les vertus de l'économie de marché, elles ne peuvent être obtenues que s'il y a de la concurrence. Or, qui dit concurrence dit qu'il faut assurer une réglementation qui garantisse la présence de la concurrence. Or, le marché, par essence, ce qu'il aime, c'est le monopole. Et ces monopoles, on le voit, ont gagné beaucoup de terrain. Ils sont une menace pour notre économie. Ils sont aussi une menace pour notre démocratie. Donc, encore une fois, il faut remettre en place davantage de réglementations. On voit par exemple qu'il y a ce président de cette compagnie pharmaceutique qui a été assassiné, il y a quelques semaines de cela, et on voit l'exaspération des Américains qui se voient obligés d'assumer leurs frais de santé. Vous voyez les entreprises de télécoms, d'internet, de santé, les compagnies aériennes. En fait, tous ces secteurs font l'objet de monopoles. Et ces monopoles, ils s'en servent pour abuser des Américains et pour vraiment leur ruiner la vie.
"Il y a de nouvelles menaces qui sont liées à ces géants du numérique : le fait que notre système d'information et désormais de désinformation est entre les mains de ces gens-là. C'est une nouvelle oligarchie."
Joseph Stiglitzsur franceinfo
Ce qui nous inquiète particulièrement en France et en Europe, c'est le fait que le protectionnisme américain va se renforcer avec des droits de douane qui vont considérablement augmenter. En France, on exporte notamment vers les États-Unis du vin, du fromage. Est-ce qu'on a raison de s'inquiéter et comment doit-on réagir ?
Effectivement, je pense que la France a raison de se faire du souci. Tous les pays du monde, en réalité, ont de quoi se faire du mauvais sang. Mais ce n'est qu'un aspect d'un sujet qui est plus vaste que cela. C'est-à-dire que Trump ne croit pas dans le droit international, il ne croit pas à la suprématie du droit. Il ne pense pas que les États-Unis soient tenus de respecter des engagements que pourtant le pays a pu signer par le passé. C'est vraiment la jungle et c'est une jungle sans la moindre règle internationale qui viendrait simplifier les choses. Donc ça complique beaucoup la vie, ça devient fort précaire et ça va compliquer les choses, certainement. L'Europe doit vraiment répondre en imposant à son tour des droits de douane, des tarifs douaniers, parce que la seule langue que comprend Trump, c'est lorsqu'on rétorque par la force. C'est un "bully", c'est vraiment quelqu'un qui passe en force.
Il y a un sujet qui vous tient particulièrement à cœur et que vous avez commencé à aborder, c'est celui de l'environnement. Donald Trump est un climatosceptique avéré. Il a dit qu'il allait à nouveau sortir des accords de Paris. Est-ce que ça risque de donner un coup de frein à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou est-ce que finalement le mouvement global est lancé ?
C'est-à-dire que ce qu'il a à l'esprit, c'est vraiment très mauvais pour l'environnement. Quand même, pour vous donner une petite note d'optimisme, je dirais que l'évolution technologique est considérable, de sorte que les énergies renouvelables coûtent moins cher que ce n'était le cas.
"Donc, même s'il nous dit tout le temps "drill baby drill", "fore, bébé, fore", l'Américain, après tout, compte ses sous dans son porte-monnaie. Et si les renouvelables deviennent moins cher, c'est quand même une bonne nouvelle."
Joseph Stiglitzsur franceinfo
Par ailleurs, les multinationales savent qu'elles ne peuvent pas avoir un double discours et qu'il faut d'une manière ou d'une autre que quand même elles fassent face à tout ce défi que représente le réchauffement climatique, de sorte que ces entreprises, elles aussi, vont devoir agir comme il se doit. Et enfin, la Californie et bien d'autres États sont vraiment engagés en faveur du climat et contre le changement climatique quand on définit par exemple des normes en Californie. Ensuite, ça donne des idées au reste des États du pays. Donc je suis optimiste, je me dis que ça ne va pas être aussi dramatique et aussi catastrophique que Trump souhaiterait.
Le nouveau Premier ministre français, François Bayrou a décidé de rouvrir le dossier des retraites. Est-ce qu'aujourd'hui, on a raison en France de nous accrocher à notre système de protection sociale ou est-ce que ce sont des débats d'arrière-garde complètement rétrogrades ?
Je dirais que l'espérance de vie a changé et que pour cette raison-là, probablement, il faut réorganiser le régime des retraites, à la fois pour des raisons économiques et sociales. Pour ceux qui le peuvent, il faudrait travailler peut-être plus longtemps. Voyez, il y a des gens qui ont des emplois quand même très difficiles et qui, arrivés à l'âge de 60 ans, sont épuisés. Donc, il y a des gens qui peuvent tout à fait travailler jusqu'à 80 ans, d'autres 70, d'autres 65. Et puis il y a des gens qui doivent partir à 60 ans. Donc, je dirais que le régime de retraite a été conçu il y a des décennies. Il a besoin d'être revisité pour correspondre aux circonstances de notre vie moderne.
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