"Il ne faut pas opposer épargne et consommation, l'épargne finance l'État comme les PME", explique l'économiste Philippe Crevel

Alors que la Banque centrale européenne vient d'abaisser ses taux jeudi, la conjoncture reste incertaine, et les Français épargnent toujours autant. Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, croit qu'un nouveau cycle de croissance peut cependant commencer.

Article rédigé par franceinfo, Camille Revel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'économiste Philippe Crevel, le 31 janvier 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)
L'économiste Philippe Crevel, le 31 janvier 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Avec l’absence de budget, quelles sont les grandes inquiétudes des particuliers et des entreprises ? Tout en abaissant ses prévisions de croissance pour la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a baissé ses taux directeurs de 0,25 point, jeudi 12 décembre, semblant faire en sorte de vouloir relancer la croissance.

Ces dernières années, la BCE a remonté ses taux d'intérêt pour "casser la spirale inflationniste", explique Philippe Crevel, mais aujourd'hui nous entrons "dans un nouveau cycle", avec une baisse continue des taux depuis 2023, qui vise à relancer les investissements, dans les entreprises comme dans l'immobilier.

franceinfo : Quelle lecture avez-vous de la décision de la BCE ?

Philippe Crevel : Avec cette 4e baisse des taux directeurs par la banque centrale, on va avoir en tout une baisse de 1 point par rapport à 2023. Et cette baisse a comme objectif de relancer l'économie européenne qui est en stagnation depuis quasiment un an. Il y a une urgence, c'est vrai, de faire repartir l'économie en abaissant le coût du crédit, pour faciliter l'investissement ou les projets immobiliers. Et donc ça va avoir des conséquences concrètes pour l'ensemble des ménages et pour les entreprises, avec une baisse des taux d'intérêt qui vont être pratiqués par les établissements financiers.

Donc, ça va être moins cher d'emprunter, par exemple si on veut acheter une maison ou un appartement.

Oui dans les prochains mois, les taux d'intérêt qui seront proposés par les banques, tant pour les ménages pour acheter une maison, que pour les entreprises pour faire des investissements, seront plus faibles. Et donc cela va réduire le coût des emprunts. Et ça, c'est une bonne nouvelle pour l'ensemble des acteurs économiques de la France, parce que depuis quelques mois, ça souffre un peu dans de nombreux secteurs d'activité, en particulier dans l'immobilier.

La zone euro n'est pas forcément en grande forme. Est-ce que ces baisses de taux arrivent trop tard avec le recul ? Est-ce qu'il aurait fallu encore plus abaisser les taux d'intérêt à votre avis ?

Il est facile de refaire le match après coup.

"L'objectif de la Banque centrale européenne, c'était en premier lieu de tuer la spirale inflationniste. Ce pari a été gagné et aujourd'hui on baisse les taux dans l'espoir de relancer l'activité."

Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne

à franceinfo

Nous avons eu une inflation très forte en 2022 jusqu'en 2023, qui a atteint 10%. Et donc l'objectif de la remontée des taux d'intérêt, c'était de casser cette spirale. Cela a été obtenu. Aujourd'hui, le taux d'inflation tourne autour de 2,3% au sein de la zone euro. C'est même moins en France. Et donc on peut dire que ce pari a été gagné. Évidemment, il y a des effets négatifs de la hausse des taux d'intérêt : c'est la croissance, l'activité qui a diminué. Donc, aujourd'hui, on passe dans un nouveau cycle, celui de la baisse des taux, avec un espoir de relance de l'activité.

Comment se comportent les Français en ce moment en matière d'épargne, de consommation ?

Les Français, depuis la crise Covid, sont en mode "épargne" et les derniers résultats communiqués par l'Insee indiquaient que le taux d'épargne moyen des Français était de 18% du revenu disponible brut. 

"Aujourd'hui, près d'un cinquième des revenus sont mis de côté. C'est donc 3 points de plus par rapport à 2019."

Philippe Crevel

à franceinfo

La succession de crises - Covid, guerre en Ukraine, inflation et puis la crise politique depuis le mois de juin - incite les Français à épargner et non pas à consommer. Et de l'autre côté, la consommation est plutôt étale, évolue très faiblement et donc ça se ressent sur le PIB de la France, avec une croissance qui devrait être au dernier trimestre nul. Après avoir eu un petit gain non négligeable au 3e trimestre, du fait des Jeux Olympiques, nous payons un petit peu cet "effet jeu" avec une croissance qui devrait être nulle dans le dernier trimestre.

À l'heure actuelle, le taux du livret A est gelé à 3%. Ça va changer dès février prochain, à quoi peut-on s'attendre ?

Le taux du livret A, comme du livret de développement durable, comme celui du livret d'épargne populaire, devrait baisser au 1er février prochain parce que l'inflation a diminué et que les taux d'intérêt diminuent. On devrait revenir de 3% certainement vers 2,25 ou 2,5%. Donc il y aura forcément une baisse pour le taux du livret A et également pour le petit livret d'épargne populaire qui devrait passer de 4 à 3% certainement. Après, c'est évidemment le ministre de l'Économie, quand il sera nommé, qui aura comme mission de choisir ces taux. Si on n'a pas de ministre, peut-être qu'on restera aux taux actuels.

Quel est le produit d'épargne le plus populaire en France, aujourd'hui ?

"En volume, le premier placement reste l'assurance-vie. C'est 1 900 milliards d'euros. Donc c'est bien plus que le livret A, qui tourne autour de 400 milliards d'euros."

Philippe Crevel

à franceinfo

Le premier produit, c'est l'assurance-vie, avec d'ailleurs une collecte qui s'améliore ces derniers mois. Ce qui laisse à penser que les Français ont une vision plus long terme et prennent un peu moins de précautions. Et puis il y a les rendements qui jouent. Les Français savent que le livret A, ça va diminuer et le rendement de l'assurance-vie augmente un petit peu. Donc il y a des arbitrages, ce qui prouve que les Français sont assez regardants et assez malins en matière d'épargne.

On oppose souvent épargne et consommation. Mais vous dites que c'est peut-être un peu stérile comme opposition ?

Oui, parce qu'on a besoin d'épargne. L'épargne, elle ne dort pas. On ne met pas l'argent dans un coffre. L'épargne, elle est utilisée. Ça permet de financer le crédit. Quand on met sur le livret A, derrière c'est le logement social qui en bénéficie. Quand on met sur le livret de développement durable, ça sert aux PME.

"L'assurance-vie, ça sert à financer l'État. Et aujourd'hui, l'État a besoin d'argent, et on n'a pas envie qu'il fasse banqueroute."

Philippe Crevel

à franceinfo

Et d'ailleurs, si la France n'a pas été dégradée aussi fortement qu'on aurait pu l'être par les agences de notation, c'est parce qu'on a un taux d'épargne élevé. Donc cela concourt aux financements de l'État. Et puis le plan d'épargne en actions, ça finance des entreprises comme le plan d'épargne retraite. L'épargne d'aujourd'hui, c'est l'investissement de demain et donc la croissance, l'emploi d'après-demain. Donc pour moi, il ne faut pas opposer l'un et l'autre. Évidemment que, à la date T, s'il y a beaucoup plus d'épargne, il y a moins de consommation. Donc ç'a un effet négatif sur la croissance, mais sur le long terme, c'est beaucoup moins vrai.

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