Emploi : "La priorité est d'insérer nos jeunes le plus vite possible sur le marché du travail", insiste l'économiste Antoine Bozio
Antoine Bozio, professeur à la Paris School of Economics et membre du Conseil d'analyse économique, revient sur la question du plein-emploi, alors qu'il vient de publier une étude à ce sujet.
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"La priorité est d'insérer nos jeunes le plus vite possible sur le marché du travail", insiste, mardi 4 mars Antoine Bozio, professeur à la Paris School of Economics et membre du Conseil d'analyse économique, un centre de réflexion rattaché à Matignon. C'est l'un des objectifs d'Emmanuel Macron : atteindre le plein-emploi d'ici 2027. On explique souvent que ça signifie un taux de chômage sous les 5%. Antoine Bozio co-publie justement une étude consacrée à cette question, intitulée "Objectif 'plein emploi' : pourquoi et comment ?"
Franceinfo : Vous dites qu'il serait réducteur de parler de plein-emploi en ne pensant qu'au taux de chômage.
Antoine Bozio : En général, quand on pense l'objectif plein-emploi, on pense l'objectif de faire baisser le taux de chômage. Mais le chômage mesure les personnes qui sont à la recherche d'un emploi, c'est-à-dire des personnes qui sont déjà dans une position active de recherche d'emploi. Et donc l'objectif plein-emploi, en fait, c'est quelque chose de plus large, c'est-à-dire de favoriser la participation au marché du travail de tous ceux et toutes celles qui, en réalité, souhaitent participer au marché du travail, même si elles ne sont pas en recherche d'emploi. C'est pour ça que c'est plus large et plus important de penser en termes plus large d'augmentation du taux d'emploi dans l'économie.
Pour cette étude, vous avez comparé l'évolution du marché du travail sur 55 ans dans quatre pays : France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis. Vous constatez que les Français travaillent 100 heures de moins en moyenne que leurs voisins européens, entre 200 et 300 de moins que les Américains. Double question : pourquoi et est-ce grave ?
C'est important de mesurer et de savoir quelle est la quantité de travail qui est fournie dans un pays, parce qu'il y a plein d'externalités positives, fiscales, comme les appellent les économistes : le fait que lorsqu'il y a plus de personnes dans l'emploi, c'est plus facile de financer la protection sociale, de financer les autres dépenses publiques. Donc, il est important de savoir dans quelle mesure on a, ou pas, des réserves à des endroits où on pourrait avoir une augmentation du nombre d'heures travaillées. On a 100 heures de moins par habitant que les pays voisins européens, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Comment s'explique cette différence ? Elle s'explique à 100% par les différentiels de taux d'emploi, ce n'est donc pas le nombre d'heures par emploi qui est plus faible en France que dans ces pays-là. Et 100% de ces différences de taux d'emploi, elle s'explique par les jeunes et les seniors.
Commençons par les plus jeunes. La vraie question à ce moment-là, c'est leur insertion sur le marché de l'emploi.
Absolument. Ce qu'on peut voir dans cette étude, c'est qu'il y a plusieurs raisons. On a essayé de décomposer comment, pourquoi on se retrouve avec des taux d'emploi plus faibles que nos voisins européens. A tout niveau de qualification, on prend un temps plus long pour s'insérer sur le marché du travail en France qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, c'est-à-dire qu'on a moins de chances d'être en emploi déjà lorsqu'on est en fin d'études et qu'on prend plus de temps pour arriver sur le marché de l'emploi. Et on a un plus fort pourcentage de jeunes qui sortent sans formation, sans emploi, ce qu'on appelle avec l'acronyme anglo-saxon les "NEETS", c'est-à-dire qui sont ni en emploi ni en formation. Et ça, c'est aussi un point très important, parce que les moins qualifiés ont encore plus de mal à entrer sur le marché du travail.
Il y a un sujet sur les travailleurs peu qualifiés aussi dans ce que vous décrivez.
Oui, parce qu'ils ont non seulement un effet qui est plus lent sur l'insertion lorsqu'ils sont jeunes, mais en fait qui a un effet durable, c'est-à-dire que leur taux d'emploi, même 10 ou 15 ans après leur fin de sortie du système de formation, est plus faible que les autres Français.
Et pour les seniors ?
Pour les seniors, les nouvelles sont en fait un peu meilleures au sens où lorsqu'on avait fait une étude similaire il y a une quinzaine d'années, le taux d'emploi des seniors était vraiment particulièrement bas en France par rapport à nos pays voisins. Il y a eu une remontée très forte du taux d'emploi, par exemple entre 55 et 59 ans, qui fait qu'aujourd'hui le taux d'emploi de cette tranche d'âge est supérieur en France au taux d'emploi, par exemple, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
Qu'est-ce qui a changé, ce sont les réformes des retraites ?
Il y a à la fois les réformes des retraites. C'est surtout pour cette tranche d'âge, la fin des préretraites. On a mis fin à des dispositifs qui permettaient de partir de façon anticipée. Ça fait mécaniquement augmenter le taux d'emploi dans cette tranche d'âge. Puis ensuite, ce qu'on voit pour les âges un peu plus vieux, entre 60 et 64 ans, c'est une augmentation aussi très forte qui suit vraiment les réformes des retraites et qui va probablement continuer à augmenter, parce que des réformes déjà votées ont des effets qui vont avoir lieu progressivement en termes de hausse du taux d'emploi.
Il y a un discours qu'on entend parfois, voir souvent en politique, c'est : "il faut travailler plus". Avec la question des hausses du nombre d'heures de travail, la réduction des jours de congé, quelle lecture avez-vous de ce discours ?
Parce que quand on pense au nombre d'heures travaillées, justement, on a cette idée que c'est forcément le nombre d'heures travaillées par emploi, mais on a en moyenne des nombres d'heures travaillées qui sont très proches de ceux de la moyenne au Royaume-Uni ou en Allemagne. C'est donc un petit peu une erreur d'objectif de penser que c'est là qu'on aura le plus d'effet en termes d'augmentation de la masse de nombre d'heures dans notre pays. C'est vraiment la façon de penser l'emploi et l'insertion sur le marché du travail des jeunes et la façon dont maintenir les seniors en emploi qui devrait être la priorité des politiques publiques.
Vous avez posé votre diagnostic, vous dites ce qui ne vous semble pas être la bonne solution, mais alors que faut-il faire ? Si c'était vous, que feriez-vous ?
Ce n'est pas si simple, parce que typiquement, ça fait au moins depuis 25 ans qu'on a ce constat de la grande difficulté d'insertion des jeunes sur le marché du travail. C'est probablement lié au fait qu'on n'arrive pas bien à voir la bonne adéquation de notre système de formation avec la facilité que les jeunes ont à la sortie du système de formation à s'insérer sur un emploi. Et donc, la première chose qui me semble évidente à faire, c'est d'arriver déjà à mesurer pour l'ensemble des filières, pour l'ensemble des sorties, quel est vraiment le taux d'insertion, donner cette information aux jeunes pour que, dans leur choix d'orientation, ils puissent s'orienter vers les formations qui favorisent finalement cette insertion la plus rapidement possible.
La France dépense plus que ses voisins en politique de l'emploi, de formation ?
La France dépense relativement beaucoup pour les politiques de l'emploi, mais qui sont sûrement vues comme des politiques justement de lutte contre le chômage, d'insertion des chômeurs. Et peut-être qu'il y a d'autres politiques qui sont en fait des politiques éducatives, des politiques de formation qui en réalité peuvent avoir un effet beaucoup plus direct sur l'augmentation du taux d'emploi.
Vous écrivez aussi dans cette étude que le problème n'est sans doute pas lié à la générosité de l'indemnisation du chômage en France.
Quand on regarde sur la tranche d'âge des 30-54 ans, on a le même taux d'emploi que les Américains, que les Britanniques, que les Allemands. Pourtant, on a des taux de chômage différents qui sont plus élevés en France que dans ces pays-là. Mais, donc, ça ne veut pas dire que lorsqu'on joue sur l'indemnisation du chômage ou sur des mécanismes, on joue uniquement sur cette tranche des chômeurs qui sont en recherche d'emploi. Et on ne joue pas forcément sur les autres marges qui permettent de faire insérer des gens qui sont sortis de la recherche d'emploi sur le marché du travail.
Si on résume, votre recommandation numéro un, quelle est-elle ?
Ma recommandation numéro un, ça serait vraiment de repenser la priorité. La priorité, c'est de faire en sorte d'insérer nos jeunes le plus vite possible sur le marché du travail.
Avec ce nouveau périmètre, est-ce possible d'atteindre l'objectif de plein-emploi d'ici 2027 ?
C'est probablement beaucoup plus facile de le penser de cette façon-là. Parce que si on augmente le taux d'emploi, par exemple pour les seniors et pour les plus jeunes, on va faire mécaniquement augmenter la masse susceptible d'être en emploi, et donc mécaniquement, on aura un effet de baisse du taux de chômage. Mais c'est une façon de repenser les priorités que les décideurs publics doivent prendre en compte.
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