Les États-Unis et nous : 2003, les frites en travers de la gorge

Derrière l’anecdote des "Freedom Fries" se cache un épisode clé de la géopolitique mondiale. Entre tensions internationales, diplomatiques et guerre en Irak, cette histoire révèle comment un simple changement de nom de frites est devenu le symbole d’un profond désaccord entre la France et les États-Unis au début des années 2000.

Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce son discours devant le Conseil de sécurité de l'ONU le 7 mars 2003 à New York (TIMOTHY A. CLARY / AFP)
L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce son discours devant le Conseil de sécurité de l'ONU le 7 mars 2003 à New York (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Pour comprendre cette histoire de frites, il faut partir de la géopolitique. Depuis plusieurs années, la tension montait entre les États-Unis et l'Irak. Il y avait d'abord eu la première guerre du Golfe en 1991, après l'invasion du Koweït par Saddam Hussein, l'ancien dirigeant irakien. Puis des sanctions économiques ont été prises, toujours à l'encontre de l'Irak accusé d'avoir un programme nucléaire et soupçonné de produire et de cacher des gaz de combat, ainsi que d'autres armes chimiques.

Le 11 septembre 2001, l'attentat contre les deux tours jumelles en plein cœur de New York, a profondément inquiété la population américaine. Après l'invasion de l’Afghanistan, le président George W. Bush décide alors qu'une intervention militaire en Irak est nécessaire pour désarmer un pays qui refuse de baisser les armes et qui est susceptible d'abriter un nouveau foyer terroriste possédant des armes de destruction massive. Le président George W. Bush affirme : "Combien de temps faut-il ? Le monde a dit d’une seule voix, y compris les Français, que Saddam Hussein doit désarmer, et il ne se désarme pas. On dirait la projection d'un mauvais film."

Un débat international s'engage entre les grandes puissances pour savoir quels pays seraient prêts à soutenir l'invasion de l'Irak, pourtant non autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. La France, par l'intermédiaire de son président, Jacques Chirac, annonce sa position : elle souhaite avant tout défendre le droit international et préserver la paix.

"Je pense bien sûr à l'Irak, c'est là un défi majeur. La guerre n'est pas inévitable !"

Jacques Chirac, ancien président de la République française

Le discours historique de Dominique de Villepin

Les Américains, de leur côté, sont prêts à effectuer leur intervention, seuls ou avec quelques alliés, quel que soit le vote de l’ONU.

C'est dans ce climat sur fond de tension que le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, croise le fer à l'ONU avec le secrétaire d'État américain, Colin Powell. Ce dernier accuse l'Europe d’être composée de "vieux pays" ne comprenant pas les enjeux actuels. De vieux pays face à une jeune Amérique, qui, selon lui, doit régler les problèmes du monde.

La réponse de Dominique de Villepin ne se fait pas attendre et restera dans les mémoires : "Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d'un idéal. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix." Il refuse ainsi l’invasion, au nom justement de la sagesse des "vieux". Ce refus français de suivre le leadership américain, et la menace d'un veto français sur une résolution favorable à la guerre, met les autorités américaines en colère, notamment des élus du camp républicain. Ceux-ci cherchent alors des représailles, et une façon de faire passer le message, auprès de leur population, que la France a trahi. C'est ainsi que la foudre s'abat sur les frites.

Les "French Fries" deviennent les "Freedom Fries"

Aux États-Unis, les frites sont appelées les French Fries. Dans ce contexte, elles sont rebaptisées Freedom Fries par un membre du congrès. Plusieurs restaurants suivent alors le mouvement, par patriotisme. Cet épisode exerce encore aujourd'hui une certaine influence : la campagne de propagande menée par les partisans de George W. Bush a fonctionné pendant un temps.

Quelques années plus tard, les Américains reconnaissent cependant que Saddam Hussein ne disposait pas d’armes de destruction massive. Entre-temps, cette intervention a ravagé l’Irak, divisé en trois zones, dont la principale est passée sous influence iranienne. Le pays devient alors le terreau d’une rébellion larvée, menée par d’anciens fidèles du régime de Saddam Hussein. Le remodelage du Moyen-Orient, entamé sur un mensonge, se poursuit encore aujourd’hui, dans un sinistre engrenage de conflits.

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