Les États-Unis et nous : 1994, la défense de la langue française par Jacques Toubon

L'anglais s'immisce partout : la chanson, la pub, les sciences... Alors pour contrer l'invasion linguistique, en 1994, le ministre de la Culture érige une loi qui porte son nom : la loi Toubon. De Charles Azanavour à Aya Nakamura, les débats ne sont toujours pas clos.

Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le ministre de la Culture, Jacques Toubon, le 18 janvier 1995. (Georges BENDRIHEM / AFP)
Le ministre de la Culture, Jacques Toubon, le 18 janvier 1995. (Georges BENDRIHEM / AFP)

Tout pourrait partir de la chanson de Charles Aznavour For me formidable. Le chanteur y met en scène un homme qui veut utiliser l'anglais pour séduire. La confusion des mots et le style lourd, répétitif, de celui qui a peu de vocabulaire, tout cela a l'air ridicule. Mais la consternation suscitée par cette chanson s'étend à d’autres domaines et provoque des querelles sans fin, quand partout s'introduisent des mots en anglais. La langue de Shakespeare est encore très présente dans la publicité. "I love La Ciotat", disait une publicité, le "Black Friday" revient chaque année... Et sa présence est souvent considérée comme un indice de l'influence des États-Unis sur notre pays.

Cette dépendance linguistique a déclenché plusieurs réactions très vives. La plus forte remonte au début des années 1990, avec ce projet de loi élaboré par le ministre de la Culture. Nous sommes en pleine cohabitation. Le ministre s'appelle Jacques Toubon. Il appartient à un gouvernement dirigé par Édouard Balladur, et veut faire oublier le grand ministre de la Culture Jack Lang. Son programme de lutte contre l'envahissement du français par les mots anglo-saxons se cristallise dans un projet de loi qu'il dépose au Parlement.

Les publicitaires face à l'Académie française

Jacques Toubon cherche tous les soutiens. Il organise une conférence avec Jacques Chirac, passe à la radio, à la télévision… Très vite, l'opinion se divise. Il y a les "pour", avec un argumentaire oscillant entre bon sens et patriotisme linguistique. Leur plus subtil porte-parole est un académicien adoré du grand public : Jean d'Ormesson. "La langue française est notre bien commun, dit-il dans une émission, et nous voulons la défendre." L'Académie française, justement, prend fait et cause pour cette loi. Elle veut protéger un français menacé par les anglicismes.

Face à elle, l'Académie des sciences réagit vivement. Elle veut défendre les publications dans les revues internationales et la formation à l'anglais, langue des échanges scientifiques. Pour elle, le projet Toubon – entendu comme une obligation pour la fonction publique de publier en français – ferait rétrograder les scientifiques et nuirait à la reconnaissance de leurs découvertes. Le débat se déplace ensuite sur le terrain économique. La publicité, en particulier, est critiquée pour ses affiches en anglais et ses expressions américanisées. Jacques Séguéla défend la profession et attaque le ministre, accusé d'obscurantisme, de rejet de l'ouverture et de la créativité. Jack Lang va dans le même sens.

La loi est adoptée par le Parlement en 1994. Mais ses effets sont limités par le Conseil constitutionnel. Pour Jacques Toubon, c'est une victoire… modeste. Seuls les services publics – et encore, pas tous – seront tenus à l'obligation d’utiliser le français, conformément à la réforme constitutionnelle de 1992 qui avait modifié l'article 2 de la Constitution affirmant que "la langue de la République est le français." Finalement promulguée, la loi Toubon n'a pas entraîné l'éradication des mots d'origine étrangère souhaitée par ses défenseurs. Les publicitaires, les cinéastes, les humoristes et surtout les artistes continuent à jouer avec les langues.

Quand Aya Nakamura reprend "For me formidable"

L'épilogue de cette histoire a lieu trente ans plus tard, en 2024. Autour d'Aya Nakamura et de ses chansons au style et au vocabulaire imagé, le débat sur la pureté de la langue revient. La chanteuse répond en fanfare à ses critiques lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, accompagnée par la musique de la gendarmerie nationale.

En reprenant For me formidable, la chanson de Charles Aznavour, tout en y mêlant ses propres compositions, elle montre que si le débat n’est pas éteint, on peut transmettre les valeurs de notre langue de bien des façons et faire rayonner notre culture aux États-Unis.

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