Ces niches fiscales qui viennent de loin

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Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié
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André Malraux, ministre de la Culture en 1962, à l'origine d'une des nombreuses niches fiscales françaises (STAFF / AFP)
André Malraux, ministre de la Culture en 1962, à l'origine d'une des nombreuses niches fiscales françaises (STAFF / AFP)

Cette semaine, le nouveau gouvernement Lecornu "entre dans le dur" avec la préparation de la loi de finances. La question est d’autant plus sensible avec l’abaissement de la note de la France par S&P. Déjà 23 niches fiscales sont dans le collimateur du gouvernement. Des niches fiscales, il y en aurait 486 au total, dont le coût total serait d’environ 85 milliards.

Les exemptions fiscales remontent à loin. Déjà sous l’Ancien Régime, certains statuts permettaient d’échapper à l’impôt de base sur la production agricole : la taille. Les nobles et les ecclésiastiques y échappaient et même les professeurs d’université ! Ces derniers échappaient même aux taxes de la ville de Paris. Je vous rassure ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les profs de fac paient comme tout le monde les impôts locaux. Tout cela s’est arrêté à la Révolution, avec la fin des privilèges.

Il faut attendre le XXe siècle pour que les impôts et les exemptions ou les réductions fiscales se multiplient. Avec la Grande Guerre, le parlement vote ainsi l’impôt sur le revenu en France et un impôt sur le chiffre d’affaire des sociétés. Mais dès le lendemain de la guerre, les entreprises qui investissent dans les régions dévastées obtiennent des avantages fiscaux. L’intention était simple, accélérer la reconstruction de ces régions en ruines. L’Etat devient grâce à l’impôt et à sa place dans l’économie, le grand organisateur de la société.

Les niches se multiplient après 1945

Selon ses priorités, il va créer des niches. La politique familiale lui importe, dès 1945, il met en place le système du quotient familial et les parts fiscales qui permettent d’avantager les familles nombreuses. Cela aurait permis de conforter le baby-boom qui démarre en fait dès 1943 sous l’effet d’une série de mesures, dont certains fiscales établies par Vichy.

Et survient une grande niche. La loi du 4 août1962. Elle est encore utile de nos jours. Elle permet de déduire les dépenses de rénovation d’un immeuble situé dans une zone patrimoniale de ses impôts. Une belle défiscalisation comme on dit. L’idée d’André Malraux, le génial ministre de la Culture du général de Gaulle, était de moderniser les logements tout en sauvant le patrimoine, en lui rendant sa beauté, comme lorsque l’on ravale ses façades. Mais pour les plus anciens habitants de ces quartiers à rénover difficile de quitter leur maison, aussi simple soit-elle.

Il n’empêche, cette idée de rénover et défiscaliser s’est imposée. La loi Malraux et son dispositif progressiste  ont aussi inspiré des niches à vocation sociale, comme la loi Pinel prévue pour 10 ans de 2015 à 2025 pour construire des logements sociaux.

Il y a ensuite la valse des professions qui au gré de leur bonne ou mauvaise santé réclament des soutiens à l’Etat. On manque de pilotes après la guerre. 30 % devraient réveiller les vocations. Et au fil du temps, et au plus près des besoins, les lois de finances accordent des abattements aux tricoteuses du Var 20%, 5 % pour les éclaircisses et 20% pour les polisseurs des pipe de Saint-Claude dans le Jura. Et les musiciens, les journalistes ont des frais, il faut les aider avec un abattement. Et d’autres encore comme les footballeurs, les artistes et les écrivains : leur activité fluctue. Elle peut donc être lissée sur plusieurs années.

On s’adapte à toutes les situations particulières, comme les départements d’outremer qui obtiennent avec la loi Pons un abattement à la construction locative, en 1986.

Chasse aux niches

On finit par atteindre plusieurs centaines de niches fiscales, une expression déjà très employée dans les années 1980. Mais qui commence à faire l’objet de critiques dès les années 1990. On remet en cause ces avantages, car l’Etat commence à manquer d’argent et peine à réduire ses dépenses. Voire les accroit.

La chasse aux niches commence, au moins dans les mots. Car dans les faits, leur nombre augmente encore, jusqu’à nos jours. La petite attaque portée par le gouvernement Lecornu (23 sur 486) n’arrête pas ce processus qui manifeste le désir de l’Etat d’orienter la société mais qui risquent de perpétuer des inégalités face à l’impôt.

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