"L'exploration Tara : en route vers le Grand Nord" (5/6) : le retour de la France dans le Grand Nord

Le 24 avril 2025 a marqué une étape cruciale pour la Tara polar station, amarrée au ponton de la découverte à Lorient, en Bretagne, lors de son baptême officiel devant une assemblée de curieux et d'officiers. Décrit comme un navire aux "allures de soucoupe volante", ce bateau atypique a été conçu comme une "vraie station dérivante pour faire la science". Ses dimensions de 26 mètres de long et 16 mètres de large en font un concept "jamais vu". L'astronaute français Thomas Pesquet, parrain de la mission Polaris 1 – la première expédition du bateau en Arctique – se réjouit de pouvoir baptiser ce navire, et retrouve dans ce projet un "parfum d'aventure" et une ambition similaire à l'exploration spatiale, soulignant l'importance d'aller dans un "milieu extrêmement inhospitalier" pour la "recherche scientifique qu'on peut faire uniquement là-bas pour le bénéfice de tous".

Ce projet s'inscrit dans la continuité d'un engagement historique de la France dans l'exploration et la recherche en Arctique, débuté au 20e siècle. L'État a d'ailleurs investi 13 millions d'euros sur les 21 millions d'euros du budget total de la Tara polar station. Parmi les figures emblématiques de cette "mémoire polaire hexagonale" figure Jean-Baptiste Charcot, médecin, sportif et officier de marine. En 1934, son navire, le "Pourquoi pas ?" appareillait de Saint-Servant pour le Groenland, emmenant à son bord notamment Paul-Émile Victor, ethnologue. Selon Rémy Marion, photographe et guide polaire, Jean-Baptiste Charcot a joué un rôle très important en posant les bases de la recherche scientifique française dans les régions polaires, notamment en météorologie et magnétisme terrestre, avec des données qui "servent toujours de référence". Des scientifiques actuels, comme Marie-Béatrice Forel, continuent ce travail en utilisant les échantillons prélevés par Jean-Baptiste Charcot pour étudier le réchauffement climatique. Paul-Émile Victor lui-même a été "amené dans l'Arctique grâce à Charcot" et a ensuite été l'un des fondateurs des expéditions polaires françaises après-guerre.

Paul-Émile Victor avait une vision prémonitoire de l'Arctique. En 1951, il prédisait que la mer Arctique, bien que petite (à peine cinq fois la Méditerranée), deviendrait la "Méditerranée du monde futur". Cette vision était basée sur le fait que la Russie et l'Amérique, deux "grands pôles de la puissance", se trouvent de part et d'autre de cette mer. Mikaa Mered, chercheur spécialiste de l'Arctique, confirme qu'il existe des correspondances d'un point de vue géopolitique, géostratégique, économique et militaire. Cependant, il souligne une différence majeure : contrairement à la Méditerranée, le cœur de l'océan Arctique n'est pas une zone de navigation facile, rendant les rencontres ou les incursions militaires très complexes.

Le rôle géopolitique et scientifique de la Tara polar station

Bien que la France n'ait pas de territoire autour du pôle Nord, elle entend "toujours y jouer un rôle". Le pays a le statut d'État observateur au Conseil de l'Arctique depuis l'an 2000. Emmanuel Macron a défini une nouvelle stratégie polaire, annonçant en novembre 2023 un investissement d'un milliard d'euros dans la recherche polaire d'ici 2030, avec deux navires pour deux pôles, dont la Tara polar station. Le navire, bien que principalement dédiée à la science, a inévitablement un rôle géopolitique. Sa capacité à dériver dans le cœur de l'océan Arctique pour collecter des données sur le comportement des glaces, des courants et l'évolution météorologique est précieuse, car même les puissances arctiques ne sont pas toutes capables de le faire. Cette connaissance scientifique est essentielle. 

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur des pôles, insiste sur le fait que la science apporte l'"équilibre" et des informations cruciales. Il compare la situation à celle de l'Antarctique, où un traité a dédié le continent à la paix et à la science face aux rivalités. Bien que l'Arctique soit plus complexe en raison de la présence de populations et de pays riverains qui se considèrent "chez eux", la recherche scientifique y est "extrêmement importante" pour mesurer les conséquences du changement climatique, comme l'élévation du niveau de la mer et la transformation du Groenland en "terre verte".

L'Arctique est un "monde fragile et envoûtant", où la banquise s'amenuise "année après année, victime et sentinelle involontaire du changement climatique". Au-delà des défis environnementaux, il y a également des risques potentiels comme l'apparition de virus conservés dans la glace. À l'automne 2025, après avoir navigué au contact de la banquise cet été, la Tara polar station se dirigera vers Reykjavik, en Islande, pour le sommet annuel de l'Assemblée du Cercle Arctique, marquant une nouvelle étape diplomatique et scientifique dans cette région cruciale et en pleine évolution.

"L'exploration Tara : en route vers le Grand Nord", Un podcast de six épisodes en immersion à bord de la Tara polar station avec les journalistes de franceinfo Olivier Emond, Anne Le Gall et Boris Hallier, en partenariat avec la Fondation Tara Océan. À retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

Production : Olivier Emond, Boris Hallier et Anne Le Gall | Réalisation : Marie Plaçais | Coordination : Pauline Pennanec’h | Prise de son : Hélène Langlois, Johanna Gabric, Julien Girard, Marc Garvennes, Corentin Bailly et Benjamin Reyes | Mixage : Raphaël Rasson