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L'état d'urgence, un état d'exception né de la Guerre d'Algérie

L'état d'urgence au départ pensé comme une alternative "libérale" à l'état de siège, reste étroitement lié à la Guerre d'Algérie.

Article rédigé par Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (Des militaires en patrouille sur le Vieux Port à Marseille © MaxPPP)
  (Des militaires en patrouille sur le Vieux Port à Marseille © MaxPPP)

2005: l'état d'urgence décrété sans le dire

Retour le lundi 7 novembre 2005. Au Journal télévisé de TF1, le premier ministre Dominique de Villepin vient informer les Français de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence pour faire face aux révoltes de plus en plus violentes dans les banlieues. Mais vous allez l’entendre, le Premier ministre évite soigneusement d’employer l’expression qui fâche…

"Dans ce contexte particulièrement grave, le président de la république a décidé de convoquer demain matin le conseil des ministres, et de mettre en oeuvre les dispositions de la loi de 1955. Partout où c'est nécessaire, les préfets, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, pourront appliquer le couvre-feu pour permettre le retour au calme et le respect de la sécurité des habitants..."
 

 

La simple allusion à "la loi de 1955" n’est évidemment pas fortuite. D’ailleurs, Jacques Chirac avait lui aussi refuser de parler "d’état d’urgence" dans son communiqué, se contentant, lui aussi de "loi de 1955".

L’exécutif souhaitait éviter de dramatiser les enjeux et il est vrai que l’état d’urgence n’avait pas été décrété sur le sol métropolitain depuis la fin de la Guerre d’Algérie.

 

1955: l'état d'urgence, alternative libérale à l'état de siège

Mais ce qui est passionnant, c’est qu’à l’origine, en 1955 donc, quand Pierre Mendes France puis Edgar Faure "inventent" l’état d’urgence, vous allez l’entendre dans la bouche même de ce dernier, il est pensé comme quelque chose de "libéral"

 

"Il est certain que dans des périodes de trouble, il faut pouvoir prendre des décisions plus rapides que ne le permettent l'organisation habituelle des règles administratives. je dois dire que personnellement j'aurais pu me contenter d'appliquer l'état de siège, si l'Assemblée manifestait une préférence pour ce système. Il nous a paru qu'en créant la législation de l'état d'urgence, nous allions dans un sens plus libéral et plus souple".

 

Le contexte en mars 1955, c’est bien évidemment celui de la Guerre d’Algérie. Et pour en finir avec les maquis du FLN dans les Aurès, on considère qu’il faut un état d’exception. L’état de siège, qui aurait transféré de fait le pouvoir à l’armée, la gauche n’en voulait absolument pas. De plus, à l'époque, personne ne veut reconnaître que la guerre d’Algérie est précisément une guerre. Enfin, on pense encore que le FLN peut être rapidement vaincu.

L’état d’urgence ne durera que 3 mois, progressivement étendu aux 3 départements que forme alors l’Algérie française.

1958: l'état d'urgence sur le territoire métropolitain

Trois ans plus tard, la décision prise par le gouvernement Pfmilin le 16 mai 1958 marque un tournant dans l’application de l’état d’urgence. Pierre Pfimlin:

 

Dans la métropole même, des dangers apparaissent pour l'ordre public. Le gouvernement a décidé de déposer, dès demain matin un projet de loi instituant dans la métropole l'état d'urgence qui renforcera les pouvoirs de l'autorité constituée

 

Pour la première fois, l’état d’urgence s’applique sur le territoire métropolitain. Trois jours plus tôt, les partisans de l’Algérie française ont acclamé le général de Gaulle et la crainte d’un coup d’Etat militaire est telle que la gauche, y compris les communistes votent cette fois-ci l’état d’urgence.

Un état d'urgence qui ne durera qu’environ deux semaines, jusqu’à l’arrivée au pouvoir, légale bien sûr, du général de Gaulle.

1961: l'état d'urgence sans passer par le Parlement

 

Le Général de Gaulle qui va modifier profondément l’état d’urgence en donnant le droit au président de la république de le décréter sans  l’accord du Parlement (application vendredi soir avec la déclaration de François Hollande). Du moins pour une durée de 12 jours avant confirmation de l’Assemblée nationale.

Le 23 avril 1961, deux jours après le putsch des généraux à Alger, le général de Gaulle prend la parole :

 

"Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire [...]
Devant le malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l'avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale, j'ai décidé de mettre en oeuvre l'article 16 de notre Constitution. A partir d'aujourd'hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui paraîtront exigées par les circonstances".

 

En s’appuyant sur l’article 16, nouveauté de la Constitution de 1958, le général de Gaulle va, sans passer par l’Assemblée, imposer l’état d’urgence en France d’avril 1961 et ce jusqu'à la fin de mai 1963 !

 

L’état d’urgence décrété par François Hollande sur l’ensemble du territoire est une première depuis cette date, signe de l’extraordinaire importance du moment.

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