CHRONIQUE. Emmanuel Macron et les "Français de préférence"
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 25 février : l'expression "Français de préférence", formule de Louis Aragon reprise par Emmanuel Macron pour saluer la mémoire de Missak Manouchian et de ses 23 camarades de la Résistance, exécutés par les nazis le 21 février 1944.
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"Nul ne semblait vous voir. Français de préférence. Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant. Mais à l'heure du couvre-feu, des doigts errants avaient écrit sous vos photos : morts pour la France." Tels sont en effet les vers par lesquels Louis Aragon rendait hommage à Missak Manouchian et à ses camarades des FTP-MOI, les résistants communistes, étrangers et apatrides, ayant décidé de se battre pour la France.
Que le président de la République choisisse d’employer cette expression possède une immense portée symbolique : c’est la reconnaissance par l’État Français du rôle qu’a joué la Résistance communiste et immigrée lors de la Seconde Guerre mondiale, et du tribut qu’elle a payé.
Au-delà de la dimension symbolique, il faut bien sûr y voir aussi une intention politique. Une entrée au Panthéon s’insère toujours dans un contexte. Elle répond à des enjeux qui questionnent notre société politique. Et, en l’occurrence, le message paraît limpide : au moment où le Rassemblement national enregistre ses meilleurs sondages, où les discours de rejet de l’autre, voire de haine de l’autre, sont si prégnants, le chef de l’État a voulu rappeler que la République française n’a jamais cessé d’être irriguée par toutes celles et tous ceux qui, d’abord étrangers, ont choisi d’y adhérer. En ce sens, la reprise des mots "Français de préférence" me paraît particulièrement appropriée.
C’est une réponse directe à un totem de l’extrême-droite : l’expression "Français de papiers". On la trouve dans la bouche des députés Jean-Philippe Tanguy ou Emmanuelle Ménard, par exemple, mais aussi, avant eux, chez Jean-Marie Le Pen et, encore avant lui, sous la plume de l’ultranationaliste et antisémite Edouard Drumont, au début du XXe siècle. L’idée derrière ces mots, c’est qu’à la différence des prétendus "Français de souche", les Français qui ont acquis la nationalité ou qui sont issus de l’immigration seraient, eux, de faux citoyens. Ils profiteraient de la générosité de l’État, voire conspireraient contre lui. L’expression "Français de préférence" vient rappeler qu’au contraire, de nombreux immigrés choisissent de s’investir au sein de la République française, se reconnaissent dans ses valeurs, voire sont prêts à mourir pour elles, avant même d’avoir été naturalisés.
Une arme dans le débat politique et culturel
Cette expression permet d’opposer une métaphore à une autre, un imaginaire à un autre, et de lutter ainsi contre la tentation du repli xénophobe. D’autant que le choix du mot "préférence" est particulièrement habile. Il répond aussi, dans le même mouvement, à la proposition historique du Rassemblement national : l’idée d’une "préférence nationale". En rhétorique, c’est ce que l’on appelle une stratégie du retournement : s’emparer des mots brandis par l’adversaire, pour les utiliser contre lui.
D’un point de vue argumentatif, c’est donc une belle trouvaille. Du point de vue de la responsabilité politique, en revanche, il me semble qu’on peut s’interroger. Car, tout de même, rappelez-vous : au moment de la loi immigration, ce qu’avait accepté Emmanuel Macron, c’est que des dispositions directement inspirées de la préférence nationale soient inscrites dans le texte. Elles ont, certes, été depuis censurées par le Conseil Constitutionnel. Et, certes, le président de la République a affirmé que de telles mesures ne pouvaient pas être qualifiées de "préférence nationale". Mais il a été contesté, en cela, par de nombreux chercheurs : l’historien Emmanuel Blanchard, le juriste Francis Kessler, l’économiste Antoine Math, le politiste Olivier Esteves, et j’en passe ! En laissant la préférence nationale être votée à l’Assemblée, Emmanuel Macron a apporté du crédit aux théories qu’il prétend combattre.
Il a certes expliqué qu'il ne souhaitait pas ces mesures, qu'il y a été contraint dans le cadre de la négociation avec les députés LR, mais il aurait aussi pu choisir de retirer le texte avant qu’il soit voté, s’il souhaitait tant que cela lutter contre les valeurs du Rassemblement national ! D’autant que ce n’est pas le seul exemple. Cette semaine, Emmanuel Macron a soutenu la proposition de supprimer le droit du sol à Mayotte. Là encore, une position historique du Rassemblement national, qui se voit ainsi légitimée ! Des personnalités aussi différentes que François Héran, professeur au Collège de France, ou Manuel Valls, ancien Premier ministre, se sont exprimées pour expliquer que d’une part, cela n’allait probablement rien changer aux problèmes des Mahorais, puisque de toutes façons, depuis 2018, les enfants nés de parents en situation irrégulière ne peuvent déjà plus obtenir la nationalité française. Mais de surcroît, il s’agit d’un dangereux précédent qui contredit un principe aussi vieux que la République : celui qui veut que l’on ne devienne pas seulement Français par le sang, mais aussi par l’adhésion et par la volonté. Sans droit du sol, les enfants nés de parents étrangers resteront à jamais étrangers.
C’est l’exact contraire de l’idéal porté par Aragon, et affiché en apparence par Emmanuel Macron : celui des "Français de préférence".
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