"Marseille 1940" et "Les irresponsables"

C’est un épisode méconnu et captivant de la Seconde guerre mondiale que l’on découvre avec cette plongée dans Marseille, en 1940.

"Marseille 1940" de l'Allemand Uwe Wittstock (Grasset)

Marseille, la plus grande ville portuaire de la zone libre où s’entassent des centaines de milliers de réfugiés parmi lesquels – et c’est la raison d’être de ce livre – quelques-uns de plus grands écrivains et artistes de l’époque : Hannah Arendt, Heinrich Mann, André Breton, Walter Benjamin, Max Ernst ou encore Marc Chagall. Ils sont tous là, dans cette ville surpeuplée, au milieu des Français déplacés, des soldats anglais, des troupes coloniales, des exilés espagnols, italiens ou russes.

Tous ces grands noms de la culture européenne espèrent obtenir un visa dans un des consulats de la ville, en priorité le consulat américain. En vérité, c’est un cul-de-sac : en raison des bateaux bloqués au port, s’ils veulent fuir ils devront d’abord rallier Lisbonne, en passant par les Pyrénées.

Ils peuvent pour cela compter sur l’aide d’un héros très discret. Varian Fry est un journaliste américain envoyé à Marseille par une organisation de secours avec pour mission, justement, d’exfiltrer vers les États-Unis les 200 écrivains et artistes les plus menacés. Ce dernier, sitôt arrivé, constitue son réseau : il embauche un Juif allemand – sosie de Cary Grant – qui se procure des faux passeports auprès de la pègre marseillaise ; il se fait financer par une jeune et riche héritière américaine qui s’éprend d’un truand surnommé "Killer Raymond" ; surtout il met au point toute une filière, un réseau de passage vers le Portugal. Ce sont ainsi des centaines de réfugiés qui sont sauvés en quelques mois.

On assiste vraiment, avec ce livre, à cette opération de sauvetage, on est ému, on est surpris sans cesse et on sent le travail de documentation extraordinaire réalisé par Uwe Wittstock.

"Les irresponsables" de Johann Chapoutot (Gallimard)

Johann Chapoutot, éminent spécialiste du nazisme, se demande comment Hitler a pu arriver au pouvoir en 1933, au moment même où son mouvement présentait des signes d’essoufflement et de division.

Oubliez, nous dit-il, l’idée selon laquelle la crise de 1929 avait créé les conditions d’une ascension irrésistible de l’extrême droite plébiscitée par une foule immense de chômeurs.

L'auteur décrit avec minutie l'Allemagne du début des années 1930, une démocratie moribonde où les partis libéraux et conservateurs s’accrochent au pouvoir malgré les échecs tandis qu’un industriel, magnat des médias, inonde le pays d’idées nationalistes et réactionnaires. Un pays que les jeux de pouvoir et les intérêts personnels mènent à l’abyme. Une auscultation éclairante.