Budget 2026 : "C'est un leurre cette histoire de renoncer au 49.3. Monsieur Lecornu aura la planche de rappel avec cette histoire de délai qui lui permettra de passer par ordonnance", estime le député insoumis Éric Coquerel

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Invité de "La Matinale week-end" du dimanche 5 octobre, LE président de la commission des finances à l'Assemblée Éric Coquerel est revenu sur l'annonce du Premier ministre affirmant qu'il n'utilisera pas l'article 49.3.

Député insoumis de Seine-Saint-Denis et président de la commission des finances à l'Assemblée, Éric Coquerel a réagi à l'annonce du Premier ministre affirmant qu'il n'utilisera pas l'article 49.3. Lors de "La Matinale week-end" du dimanche 5 octobre, Éric Coquerel a déclaré : "C'est un leurre cette histoire de renoncer au 49.3. Monsieur Lecornu aura la planche de rappel avec cette histoire de délai qui lui permettra de passer par ordonnance".

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Il y a pas mal de mesures qui ont été annoncées par Sébastien Lecornu ces derniers jours. Des mesures sur le pouvoir d'achat. Il y a des hausses d'impôts pour les plus riches avec la taxe sur le patrimoine financier, plus toutes les taxes de l'année dernière qui seront reconduites. Un geste pour les carrières des femmes aussi pour corriger la réforme des retraites. Vous, en tant qu'homme de gauche, vous dites le compte y est ?

Vous attendiez mon sourire, non ? Non, écoutez, toutes les mesures qui sont annoncées, la plupart d'ailleurs déjà en réalité, baissent encore les recettes, puisqu'on parle de défiscalisation supplémentaire. Alors, non pas restaurer, parce qu'en fait, la prime Macron existe déjà, mais on parle de la prolonger, de la défiscaliser. Donc c'est toujours moins de recettes. C'est toujours une façon de contourner la question et le problème dans ce pays. Le problème dans ce pays, c'est que le travail ne paie pas assez. Les salaires ne sont pas suffisants, j'allais dire, par rapport au revenu du capital. Et là, la manière d'augmenter les salaires, c'est de prendre ce qu'on appelle le salaire socialisé. Hier, c'était les 80 ans de la sécurité sociale. Et les 80 ans de la sécurité sociale, tous ceux qui en réalité proposent pour augmenter le salaire sur la fiche de paye de prendre sur le salaire brut, c'est-à-dire sur le salaire socialisé, en réalité, cassent la sécurité sociale, parce que ces cotisations, c'est ce que les travailleurs en 1946 ont décidé de mettre en commun pour pouvoir assurer la santé, les retraites, etc.

Donc pour augmenter les salaires, il faut produire plus alors ?

Pour augmenter les salaires, il faut partager les richesses.

Il faut bien une politique pour les entreprises pour produire plus.

Aujourd'hui, ce que nous constatons depuis 2017, c'est que le partage de la valeur ajoutée, entre le capital et le travail, se fait de plus en plus au détriment du travail en faveur du capital et pire. Pas n'importe quel capital, c'est le capital non investi qui, après, se transforme en dividende. Donc il faut inverser ça, il faut à nouveau que les salaires, mais aussi, j'allais dire, les revenus des artisans, des commerçants, tous ceux qui produisent des richesses dans ce pays, gagnent mieux leur vie. Mais ça ne peut pas se faire sur ce qui est assis, notamment sur la sécurité sociale. Donc toutes ces mesures ne sont pas bonnes. Ce que je constate, c'est qu'on nous propose une taxe sur les holdings qui ne va rien rapporter puisqu'elle exclut les biens professionnels, qui est le cœur du problème de tout ce type de taxe. Gabriel Zucman, que j'ai invitée à l'Assemblée nationale lundi l'a bien rappelé. L'exclusion des biens professionnels, c'est quelque chose de très français. Ça a été fait en 1980, on a créé l'ISF. Il y a eu un amendement qui a exclu les biens professionnels, on a parlé d'outils de travail. Le bilan, c'est que les milliardaires, en réalité, l'ISF les touche très peu. C'est pour ça que l'ISF finalement n'a pas eu la rentabilité estimée. C'est que tous les ultrariches qui transfèrent, j'allais dire, leur revenu vers du patrimoine qui est souvent des actifs financiers, finalement sont beaucoup moins imposés que la moyenne des Français, moitié moins, et l'ISF les touchait peu. Donc il faut revenir là-dessus.

Mais taxer le patrimoine productif, finalement, n'est-ce pas casser la croissance, casser les entreprises ? Il y a beaucoup d'entreprises qui ne se versent pas de bénéfices, qui ne se versent pas de dividendes et qui ne peuvent pas payer cette taxe.

Ce ne sont pas ces entreprises qui sont concernées.

La taxe Zucman, elle ratisse large.

Les gens concernés, ce sont les gens qui ont plus de 100 millions de patrimoine. Mais ce n'est pas forcément un patrimoine liquide et c'est un patrimoine qui n'est pas professionnel. La grande majorité des chefs d'entreprise de ce pays n'ont pas 100 millions de patrimoine personnel. Ça ne les concerne pas, qu'ils nous écoutent. Le MEDEF a fini par les convaincre qu'ils sont concernés par tout ça. Ils n'ont pas ce patrimoine. La question n'est pas d'aller taxer l'outil de travail de la PME, TPE ou autre. La question, c'est d'aller taxer tous ceux qui ont mis dans leur patrimoine professionnel, en réalité, des actifs financiers qui sont leur enrichissement personnel. Donc les mesures qui sont proposées. Un, continuer à baisser les recettes de l'État. Deux, ne pas régler la question du pouvoir d'achat par l'augmentation des salaires. Trois, en réalité, ne touchent que très peu ce dont souffre notre pays depuis 2017, c'est-à-dire qu'à force de cadeaux fiscaux aux plus riches, on a abaissé les recettes de l'État de 60 milliards, on a créé des déficits. Au moins la moitié des déficits s'expliquent comme ça, et en plus de ça, on n'a pas assez d'argent pour investir, ce qui serait aujourd'hui absolument nécessaire, notamment la bifurcation écologique.

Donc c'est une censure a priori qui se dessine côté LFI ?

Ah, côté LFI, oui, bien sûr.

Vous la déposerez juste après la discussion de politique générale ?

S'il n'y a pas de vote de confiance, on fait une censure. On parle d'économie, mais il y a des hésitations, notamment du côté des groupes de gauche... On imagine vraiment qu'un gouvernement qui a été battu, des gens qui ont été battus en juillet 2024, on va se demander s'il faut les censurer ou pas par rapport au cas d'une politique qu'on connaît économiquement, elle est mauvaise, mais aussi sur d'autres aspects, notamment en matière autoritaire, en matière vis-à-vis de l'immigration, vis-à-vis de déclarations d'un ministre de l'Intérieur qui sont insupportables…

Est-ce que vos alliés de gauche vont vous suivre sur cette censure ?

J'ai cru comprendre que M. Faure l'envisageait plutôt, mais je vais vous dire ce que je crois. Aujourd'hui, il y a un accord global entre Marine Le Pen et la Macronie, et ça les amènera à ne pas censurer ce gouvernement. C'est d'ailleurs ce qui explique que M. Lecornu a retiré l'idée d'un 49.3, parce que depuis quelques jours se dessine un accord pour que le RN laisse en vie la Macronie.

Vous pensez qu'effectivement il y aura des accords sur le budget entre le Socle commun et le RN au cours du mois d'octobre ?

Je pense, oui. Alors déjà, qu'est-ce qui me fait dire ça ? C'est qu'à l'Assemblée, cette semaine, on a assisté quand même à quelque chose de très frappant. Sous couvert de faire entrer des vice-présidents au bureau de l'Assemblée nationale, parce que ça aurait été plus correct au niveau de la représentation démocratique, on a assisté pendant deux jours à un accord global entre le Rassemblement national et la Macronie, qui a permis à la Macronie de récupérer des postes de président de commission qui leur avaient échappé la dernière fois. Ils étaient minoritaires, donc c'est le RN qui leur a permis d'être élus. Donc tout ça, c'est un accord global.

Ils n'ont pas revendiqué le poste de la Commission des Finances.

Vous ne pouvez pas, figurez-vous. Parce que le poste de la Commission des Finances, c'est un poste qui est dans l'opposition. Il aurait fallu que la Macronie non seulement vote, ce qui jusqu'à maintenant n'a pas été fait, sauf l'année dernière, mais en plus vote RN. L'alliance aurait été un peu trop frappante et non assumable pour la Macronie, mais ce qu'ils ont fait, il y a un accord. Je pense que la prolongation, ça sera le budget, mais on va vite le savoir.

C'est étonnant quand même pour un parlementaire, alors qu'on refuse d'utiliser le 49.3, de refuser de débattre.

On va débattre. Qui vous a dit qu'on ne va pas débattre ?

Si vous voulez, censurer directement.

C'est suivant le discours de politique générale, on a les éléments qui sont sur la table. Ils ne changent pas de politique. Ils vont présenter un discours de politique générale. Vous verrez que le Premier ministre, je ne vous le pari, ne va pas parler d'AME, qui est une des marottes du racisme national. Je pense qu'il va envoyer des signaux pour permettre au Rassemblement national de ne pas voter la censure. Mais là, tel qu'aujourd'hui se préfigure le budget, c'est un budget qui ne va pas beaucoup changer de celui de M. Bayrou. C'est un argument pour le censurer. Je vous en ai donné d'autres. Et à mon avis, tout homme de gauche ne peut pas ne pas censurer un gouvernement dans lequel vous avez des ministres de l'Intérieur qui parlent de Français de papier.

Mais souvenez-vous, l'année dernière, quand il y avait ce débat sur le budget, c'est un budget de gauche qui aurait pu sortir s'il n'y avait pas eu le 49.3. Pourquoi ne pas y aller ?

Parce que nous avons eu l'exemple de l'année dernière. L'année dernière, nous savons très bien, nous avons effectivement modifié ce budget.

Mais ça s'est terminé en 49.3.

Mais alors, dans ce qui est présenté aujourd'hui, vous le savez, on a 70 jours pour voter le budget, pas plus. On est en retard, c'est-à-dire qu'il va être transmis à l'Assemblée le 13, donc on va être vraiment aux limites. Le gouvernement, si jamais il ne débouche pas sur l'accord qui, à mon avis, est sous-jacent avec le Rassemblement national, a la possibilité, si les 70 jours sont dépassés, de passer tout ça par ordonnance, c'est-à-dire le budget sera passé sans vote par ordonnance, qui équivaut au 49.3. Et je pense que M. Lecornu sait très bien qu'il a cette planche de rattrapage derrière.

Ça ne tient qu'à vous de tenir les délais et de vous mettre d'accord entre vous.

Bien sûr, ça ne tient qu'à nous. Donc on peut aussi décider qu'on n'abandonne plus, par exemple, le budget pour que ça passe. Parce que passer un budget, à partir du moment où vous avez des délais qui sont extrêmement raccourcis, c'est compliqué. Il y a la question des délais, mais si vous avez deux commissions mixtes paritaires qui n'arrivent pas à conclure, et à la fin, un vote négatif, ils ont la possibilité de passer par ordonnance. C'est un leurre, cette histoire de ne pas faire le 49.3. Monsieur Lecornu aura la planche de rappel avec cette histoire de délai qui lui permettra de passer par ordonnance, et sinon vous verrez, je crains fort que l'accord avec le Rassemblement national se perpétue pendant le budget.

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