Motion de censure du PS : "Le RN n'a pas d'intérêt à ce que le gouvernement tombe", estime le politologue Benjamin Morel

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Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Djamel Mazi - Édité par l'agence 6médias
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Les députés examinent une motion de censure déposée par le Parti Socialiste après l'échec du conclave sur les retraites, notamment la promesse non tenue d'un débat au Parlement sur l'âge légal de départ. Le politologue et constitutionnaliste Benjamin Moral était interrogé sur la situation par Djamel Mazi, accompagné de l’éditorialiste politique de franceinfo, Alix Bouilhaguet, dans la "Matinale" du mardi 1er juillet.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.


Djamel Mazi : l’enjeu est de savoir si les socialistes pourront compter ou non sur le vote du Rassemblement national.

Alix Bouilhaguet : A priori non, même s’il faut toujours se méfier du Rassemblement national. Nous l'avons vu hier sur la loi audiovisuelle. On était persuadés que le RN allait voter le texte de Rachida Dati mais ils ne l'ont pas fait pour des raisons un peu obscures qui leur appartiennent. Donc un coup de théâtre peut être toujours envisageable, mais a priori non. Ce qui veut dire que François Bayrou a échoué sur son équation personnelle, qui était de continuer à marginaliser le Rassemblement national. Il avait fait des petits clins d'œil, avait fait preuve de beaucoup de mansuétude au moment où Marine Le Pen avait reçu sa condamnation, et met également la proportionnelle sur la table.

Il établit un vrai lien direct, y compris avec Marine Le Pen. Les 123 députés vont bien lui rendre, en ne votant pas la censure. Cela signifie que tout est ouvert pour la suite, et notamment au moment du budget. Le RN le dit clairement, ce n'est pas son moment aujourd'hui. Le parti se prépare pour l'automne, alors que c'est la huitième motion de censure déposée par la gauche, la huitième que les députés du Rassemblement national ne votent pas.

Le budget en ligne de mire pour le Rassemblement national

François Bayrou, Premier ministre le plus impopulaire de la Ve République, a-t-il quelque chose à craindre aujourd’hui ?

Benjamin Morel : La vie politique est pleine de surprises depuis un an et demi, donc je me garderai de faire de grandes prédictions. A priori, rationnellement, il ne devrait pas tomber. Le RN n'y a pas intérêt, et ce pour deux raisons majeures. D'abord, faire tomber un Premier ministre la veille de l'été, en crise internationale un peu larvée, ce n'est ni dans son intérêt, ni dans sa stratégie aujourd'hui de notabilisation, ou de normalisation. Le deuxième élément est que ce serait plutôt un cadeau fait à la gauche. Souvenez-vous de la dernière motion de censure qui est passée, celle sur Michel Barnier. Le RN et Marine Le Pen, font monter la pression à l'époque. Ils posent des conditions auxquelles Michel Barnier ne répond pas. Donc, souverainement, le Rassemblement national dit : "puisque c'est ainsi, on renverse, on protège nos électeurs".

Dans le cas présent, la motion de censure se fait aux conditions de la gauche, après une demande de la gauche, et si le RN devait la voter, le point irait plutôt à l'autre opposition, à cette gauche qui aujourd'hui est pour le Rassemblement national une concurrente potentielle pour incarner demain l'alternance et l'alternative. Marine Le Pen a sans doute un scénario pour faire tomber le gouvernement qui est plutôt celui du budget. Ce scénario ressemble plutôt à celui de décembre dernier, avec une montée des enchères et, in fine, le couperet qui tombe sur le coup de François Bayrou.

Vous disiez tout à l'heure, Alix, qu'a priori François Bayrou devrait survivre à cette motion de censure et vous dites que ce serait une victoire à la Pyrrhus pour lui ?

Alix Bouilhaguet : Ce serait effectivement une victoire à la Pyrrhus, c'est-à-dire une fausse victoire, avec un constat qui reste globalement celui d'un échec dans tous les paris qu'il avait lancés. Sa volonté première était de marginaliser le parti du Rassemblement national, ce qui n'a pas été le cas puisque son sort se retrouve aujourd'hui entre ses mains. Il avait aussi pour ambition de créer une alliance avec les socialistes, cela n'a pas marché non plus. Certains disent que lui-même n'a jamais voulu établir de vraies discussions sur le fond avec les socialistes, ce qui fait qu'aujourd'hui, les socialistes disent qu’ils n’auront plus jamais aucune indulgence envers François Bayrou et que lui-même doit partir. Le troisième pari qui n'a pas été tenu est celui de la démocratie sociale. Avec ce conclave, l'idée de mettre les partenaires sociaux autour de la table était bonne, mais est quand même un échec, peut-être du fait des partenaires sociaux, mais c'est aussi l'échec personnel de François Bayrou.

Aucune obligation de dissolution en cas de chute du gouvernement

L'ancien Premier ministre Michel Barnier estimait que si François Bayrou était renversé par une motion de censure, Emmanuel Macron devra dissoudre l'Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections législatives. Est-il obligé ?

Benjamin Morel : Juridiquement et constitutionnellement, il n'y est absolument pas obligé. La question est de savoir qui cela arrangerait et si cela permettrait vraiment de sortir de la crise. Cela n’arrangerait probablement pas le Rassemblement national. Il aurait peut-être plus de députés, mais il n'aurait plus Marine Le Pen, qui ne pourrait pas se présenter. La gauche rencontrerait toutes les difficultés à s'unir. Or, il faut bien voir que la plupart des députés, notamment socialistes et écologistes, en cas de dissolution et de non-reconduction du Nouveau Front populaire (NFP), sont sur un siège éjectable. Quant aux députés macronistes, la plupart ont été élus grâce à un bon report des voix de gauche sur eux contre le RN. Personne n'a donc vraiment intérêt à cela aujourd’hui. Quand vous prenez la carte électorale, vous n'aurez pas beaucoup moins de députés à La France insoumise (LFI) parce que les circonscriptions de LFI ont été négociées en 2022 sous la configuration NFP, et sont plutôt des fiefs. De l'autre côté, vous aurez plus de députés RN. Imaginez donc le même hémicycle, mais avec plus de RN, pas beaucoup moins de LFI, et un socle commun qui a fondu, et allez trouver ensuite un gouvernement de cette façon. Si l'Élysée est un peu rationnel, il se dira que ce n'est pas non plus l'idée du siècle. La dissolution ne s'impose donc ni d'un point de vue juridique, ni d'un point de vue politique. Ce serait probablement une grosse sottise.

Peut-on dire que la confiance est rompue entre François Bayrou et la gauche modérée ?

Oui parce que la gauche a un autre agenda. Olivier Faure a été réélu sur une ligne avec plus d'ambiguïté vis-à-vis des insoumis, avec qui le fil n'est pas totalement rompu. Cela signifie qu’il ne rentre pas dans une forme de cohabitation, de coalition ou de discussion avec François Bayrou. Les municipales dans un premier temps font qu'ils ont besoin de se mettre dans l'opposition, et puis encore un peu plus tard, ce sera le cas pour la présidentielle.

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