Incarcération de Nicolas Sarkozy : "En prison, vous devenez spectateur de votre vie", décrit l'ancien détenu Grégory Zaoui

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6médias
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Grégory Zaoui, ancien détenu à la prison de la Santé, condamné dans la fraude à la "taxe carbone", était l'invité du 11/13 mardi 21 octobre. Il est venu décrire les conditions de vie des détenus dans le cadre de l'entrée en prison de Nicolas Sarkozy le matin-même.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.


Flore Maréchal : Vous vous êtes retrouvé à la prison de la Santé dans une cellule un peu similaire à celle de Nicolas Sarkozy. Vous parlez d'un grand moment de solitude. C'est quand la porte de prison se referme sur vous finalement qu'on comprend la mesure de ce qui est en train de se passer, de ce que vous allez vivre ?

Grégory Zaoui : Exactement. Quand la porte se ferme et quand on se réveille le matin, surtout, pour moi. Le matin, quand on se réveille en prison, on prend la mesure de là où on est et qu'on a une journée à passer, enfermé, avec toutes les difficultés qu'on peut vivre en prison. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en prison, on a tous les sens qui sont en éveil, puissance 1000.

Parce qu'on est seul avec soi-même ?

Oui, puis on a peur. Moi, je n'ai pas connu de détenu qui n'appréhendait pas ce qui se passait.

Mais peur de quoi ?

De tout. On a peur que ça dure. On ne sait jamais. Et je pense qu'aujourd'hui Nicolas Sarkozy est dans cet état d'esprit parce que rien n'est acquis. On a beau dire que la cour d'appel va se prononcer dans les deux mois qui vont venir. Mais les magistrats sont libres et souverains de décider de suivre le tribunal ou pas. Tout est possible. Et cette problématique-là qu'on a de ne plus maîtriser sa vie, elle ne dépend plus de nous, fait qu'on est complètement dans l'incertitude. C'est d'autant plus difficile quand on est des personnes cérébrales, qui réfléchissons, qui lisons, qui comprenons ce qui se passe. J'ai envie de vous dire, moins on l'est, moins la détention est compliquée.

Vous nous avez apporté deux livrets. Je suis en détention et ce livret sur ce qu'on peut trouver à la cantine pénitentiaire, si on peut l'appeler ainsi. Ce sont des livrets qui vous ont été distribués et qui vous ont accompagnés dans l'incarcération ?

C'est ce qu'on vous remet quand vous arrivez. Tout simplement. C'est un peu le parcours de l'arrivant. On vous explique comment ça va fonctionner. Ils datent un peu. Ils datent de 2020. Je pense qu'il y a eu des mises à jour depuis, mais il n'y a pas grand-chose qui a véritablement changé. C'est exactement ça : les cantines, ce qu'on peut cantiner et les droits qu'on a en détention.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile à vivre ? Vous nous parlez d'une certaine forme de solitude. C'est la rupture du lien social ?

Vous devenez spectateur de votre vie, vous ne maîtrisez absolument plus rien. J'ai passé presque quatre années en détention à la prison de la Santé, deux ans avant qu'elle soit rénovée et un peu moins de deux ans quand elle a été rénovée en 2019. J'ai eu la chance d'avoir une cellule individuelle, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui pour beaucoup de détenus.

C'est le cas pour Nicolas Sarkozy.

Lui, ça va être le cas par rapport à sa personnalité, c'est normal. Mais aujourd'hui, ma cellule à moi que j'avais, elle est triplée. Ils sont trois dedans. Ils ont rajouté un lit superposé. Il y en a un qui dort à même le sol. Donc, ce sont des conditions qui sont difficiles, mais ce ne sont pas les plus difficiles. La prison de Fresnes est beaucoup plus difficile. En revanche, le fait est que vous devenez spectateur de votre vie, que vous voyez votre vie extérieure complètement s'écrouler. Moi, c'est ce qui m'est arrivé. Je pense que pour M. Sarkozy, ça va être différent, et tant mieux pour lui.

Mais on n'en prend pas conscience de tout ça avant d'intégrer la prison ? Pendant tout le jugement, pendant la condamnation. Et puis là, Nicolas Sarkozy n'est pas entré directement en prison, comme d'autres détenus ont pu le faire. Est-ce que ce n'est pas un état d'esprit qu'on aborde déjà dans les semaines ou les mois précédents ? C'est juste que vous dites qu'on ne peut pas l'appréhender tel que ce sera vraiment ?

J'ai vécu la détention de plusieurs manières. Je l'ai vécue à un moment de ma vie où je ne m'y attendais pas, c'est-à-dire un matin, la police venait me chercher à 6 heures du matin, et je l'ai vécue à la fin où je me suis rendu moi-même. C'est-à-dire là, je m'étais préparé psychologiquement. Et j'ai passé une période de cavale à Paris. Et pendant cette période de cavale, j'étais libre physiquement, mais mentalement, j'étais complètement enfermé. Et le jour où j'ai décidé de me rendre, je me suis rendu à la prison de la Santé qui venait d'ouvrir. Là j'étais complètement conditionné. Et là, je devenais enfermé physiquement, mais psychologiquement, pour moi, c'était la fin de mon parcours judiciaire, et j'allais vers la liberté. Donc j'étais libre dans la tête, ce qui peut être un vrai paradoxe.

Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy a intégré sa cellule ce matin, aux environs de 9h30. Ça veut dire qu'il est seul avec lui-même. Il expérimente cette solitude, ses premières heures. C'est l'occasion aussi de réfléchir à ce qu'est sa vie, à se remettre en question, peut-être aussi à réfléchir à la suite ?

C'est le but. Mais j'ai le sentiment, quand je l'entends, à travers ce qu'il dit, à travers ce qu'il a écrit, à travers ce qu'il dit dans les journaux, quand on entend ses avocats, quand on entend son entourage, j'ai l'impression qu'on est très très loin de ça. Et la justice, en fait, elle est là pour ça. Quand on est petit, qu'on fait des bêtises, on se fait taper sur les doigts par nos parents ; quand on grandit, qu'on continue à faire des bêtises, c'est la justice qui prend le relais. C'est un peu le but malheureusement de la justice pénale. Mais j'ai l'impression, et je pense qu'il y a beaucoup de gens qui pensent comme moi, que dans son cas, même en écoutant ses avocats, j'ai l'impression qu'ils n'en sont pas là du tout. Il n'y a pas de prise de conscience.

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