Robert Badinter entre au Panthéon : droits des homosexuels, conditions de vie des détenus, justice internationale... Cinq combats méconnus de l'ancien garde des Sceaux
/2021/12/14/61b8b997d2d04_pierre-godon.png)
/2025/10/07/pantheonisation-badinter-02-68e5312abd7fa751174232.png)
Pour la plupart d'entre nous, l'ancien ministre de la Justice est associé à l'abolition de la peine de mort en 1981. Mais Robert Badinter a de nombreux autres faits d'armes à son actif.
"Si le Panthéon est fait pour honorer les grands hommes, il y a toute sa place. Robert Badinter faisait partie de ces gens qui rendent intelligents les imbéciles." Le compliment est signé de l'ancien vice-président du Sénat Bernard Frimat, qui l'a côtoyé durant une décennie au palais du Luxembourg. L'ancien garde des Sceaux entre au Panthéon jeudi 9 octobre, un an et demi après sa mort. Au grand homme, la patrie reconnaissante, mais pas uniquement pour l'abolition de la peine de mort, à laquelle il est éternellement associé. Robert Badinter était un homme de combats. Au pluriel. Franceinfo revient sur cinq d'entre eux.
Le plus âpre : la fin de la discrimination pénale des personnes homosexuelles
"C'est une des rares fois où il a fait preuve de sens politique", souligne d'emblée sa biographe Dominique Missika, coautrice avec Maurice Szafran de Robert Badinter. L'Homme juste (Tallandier, 2021). Nommé ministre de la Justice par François Mitterrand, Robert Badinter sait saisir l'élan consécutif à la victoire du candidat socialiste pour faire abroger deux textes discriminant les personnes homosexuelles. Le premier, né sous Vichy, établissait une majorité sexuelle spécifique pour les homosexuels (21 ans contre 15 ans pour les hétérosexuels). Le second, une ordonnance de 1960, créait une circonstance aggravante en cas d'outrage public à la pudeur lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe. D'après les statistiques officielles, 10 242 condamnations pour homosexualité ont été prononcées en France rien qu'entre 1945 et 1978, rapporte l'Assemblée nationale. Et, selon les travaux de l'historien Régis Schlagdenhauffen, le nombre de condamnations pour des délits connexes à l'homosexualité en France sur cette période pourrait atteindre les 50 000.
Du temps où il n'était qu'avocat, Robert Badinter avait embrassé ce combat de la gauche culturelle, notamment via l'ouvrage collectif Liberté, libertés, paru en 1976. "Un plaidoyer pour une libération de la société qui reste très actuel", insiste Régis Schlagdenhauffen.
/2025/10/01/gettyimages-2196390858-68dcec3038879153077128.jpg)
"Il est temps que la France reconnaisse tout ce qu'elle doit aux homosexuels", improvise Robert Badinter à la tribune de l'Assemblée en décembre 1981. Le Palais-Bourbon devient alors un champ de bataille, où la droite freine des quatre fers pour empêcher le texte de passer. "Pouvez-vous supporter l'idée des agissements d'un vieillard lubrique qui sodomise un gamin de 15 ans ?" l'interpelle le député RPR Jean Foyer, garde des Sceaux sous De Gaulle. La réplique de Robert Badinter cingle : "L'image d'un vieillard lubrique sodomisant un enfant de 15 ans, même avec son consentement, est-elle plus supportable que celle d'un vieillard lubrique, pour reprendre votre expression, sodomisant une jeune fille de 15 ans ?" La loi abrogeant le délit d'homosexualité, déposée par le député PS Raymond Forni et rapportée par Gisèle Halimi, est finalement adoptée par l'Assemblée le 27 juillet 1982.
Le plus impopulaire : l'amélioration des conditions de vie des détenus
Robert Badinter n'a pas peur de s'attaquer à un autre sujet peu prisé de l'opinion publique. "Il y a une loi d'airain, soufflait-il à ses biographes Dominique Missika et Maurice Szafran. Dans les démocraties, vous ne pouvez pas faire passer la condition des détenus au-dessus du travailleur le plus défavorisé." Il raconte même avoir donné une consigne à ses proches : parler le moins possible de ce sujet pour pouvoir avancer en toute discrétion.
Lors de ses quatre années place Vendôme, le système carcéral français sort ainsi du XIXe siècle, avec ses cachots insalubres et ses prisonniers en tenue pénale, abolie en 1983. Robert Badinter fait notamment entrer la télé dans les cellules, à l'occasion de la Coupe du monde 1982. "Une mesure qui a beaucoup soulagé les surveillants", précise Dominique Missika. Tout est affaire de symboles. Puisque les détenus français sont "les moins bien traités d'Europe occidentale", il abaisse les standards de la cuisine de son ministère : "Je faisais servir steak grillé et carottes râpées, rien de plus", raconte-t-il à ses biographes.
/2025/10/01/000-app2001101005148-68dcebfa70762200217328.jpg)
Renvoyé dans l'opposition à la suite des législatives de 1986, Robert Badinter ne cesse pas son combat pour autant. Il œuvre à l'élaboration de la loi pénitentiaire en 2009, épaulant Jean-René Lecerf, sénateur du Nord situé de l'autre côté de l'échiquier politique. "C'était dans la continuité de son combat contre la peine de mort, souligne l'élu nordiste. Il ne voulait pas que la prison devienne un ersatz de la peine de mort."
C'est encore Robert Badinter qui fait des pieds et des mains pour que le texte soit inscrit à l'ordre du jour dans un calendrier chargé. Il se bat aussi pour que la réinsertion sociale et la cellule individuelle y figurent comme objectifs. "C'est une grande loi", déclare-t-il face à la ministre de la Justice, Rachida Dati, en séance publique. En guise d'hommage, la médiathèque de la prison de la Santé, à Paris, et une rue menant au centre pénitentiaire de Liancourt, dans l'Oise, portent son nom.
Le plus global : la création d'une justice internationale pérenne
C'est la guerre en ex-Yougoslavie qui va éveiller la fibre internationale d'un Robert Badinter alors président du Conseil constitutionnel. Ainsi naît la Commission d'arbitrage de la Conférence de paix sur la Yougoslavie, en 1991. Appelée "Commission Badinter", elle tente de régler les conflits juridiques entre Etats belligérants, raconte Alain Pellet, ancien président de la Commission du droit international des Nations unies et proche de l'illustre défunt.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) est ensuite créé pour juger les personnes. "En quinze jours, on avait fait les statuts. Cela a été lourd, cela a été coûteux, de nombreux criminels sont passés entre les mailles du filet, mais c'est de là qu'est née la Cour pénale internationale." Une illustration de la méthode Badinter. Quand une cause lui tenait à cœur, il agissait vite. "S'il avait une idée, il fallait tout de suite qu'elle soit réalisée", sourit Alain Pellet.
Ces dernières années, l'ancien garde des Sceaux aurait voulu voir Vladimir Poutine répondre de ses actes devant la justice internationale. Fin 2022, Robert Badinter décide d'écrire un réquisitoire contre le chef d'Etat russe, quelques mois après l'invasion de l'Ukraine. Il en tire un livre, Vladimir Poutine, l'accusation (Fayard, 2023). "Alors qu'il était diminué, il a enchaîné vingt-cinq interviews", raconte son coauteur Alain Pellet. "Il martelait : 'C'est terrible, la guerre en Europe'. L'Europe, c'est surtout ça qui l'intéressait."
Le plus intime : la lutte contre l'antisémitisme et le négationnisme
Robert Badinter a été marqué dans sa chair par l'antisémitisme. Il a passé une partie de son adolescence caché dans un village des Alpes, quand son père et de nombreux membres de sa famille ont été assassinés dans les camps de la mort. Il avait confié au Monde : "Vous savez, sur le mur du mémorial de la Shoah, beaucoup des miens y sont."
L'historien du génocide juif Tal Bruttmann parlait sur France 24 d'une "collision entre l'homme de loi qu'est Badinter et sa vie personnelle puisqu'il a été une victime de la politique antisémite de Vichy et de la Shoah. Il va être en première ligne sur ces sujets-là." Comme en juin 1983, lorsqu'une manifestation de policiers, sous les fenêtres de son ministère, dégénère avec quelques "saluts fascistes, bras tendus" et "cris antisémites", mentionne la biographie de Robert Badinter, inventeur de l'expression "lepénisation des esprits" en 1996, pour dénoncer la progression des thèses du Front national (l'ancien nom du RN) dans le débat public.
/2025/10/01/gettyimages-607390162-68dcea2e02785453990230.jpg)
Le fils de déporté croise aussi le fer avec le négationniste Robert Faurisson. En 1981, il assène ses quatre vérités à l'agrégé de lettres antisémite : "Avec des faussaires, on ne débat pas, on saisit la justice et on les fait condamner." Deuxième algarade en 2007, quand Robert Faurisson attaque en diffamation Robert Badinter, qui l'a de nouveau accusé de falsification dans un documentaire d'Arte. Là encore, l'ex-garde des Sceaux en fait une affaire personnelle : "Que les choses soient claires. Pour moi, jusqu'à la fin de mes jours, et tant que j'aurai un souffle, vous ne serez jamais, vous et vos pareils, que des faussaires de l'histoire et de l'histoire la plus tragique qui soit." A chaque fois, la justice lui donne raison.
Le plus incarné : la défense des victimes d'accidents de la route
"Quand j'ai demandé à mon mari avocat ce qu'il retenait de Robert Badinter, il m'a aussitôt répondu la loi Badinter", sourit Dominique Missika. Effectivement, le célébrissime garde des Sceaux du premier mandat de François Mitterrand n'a donné son nom qu'à un texte, celui protégeant les victimes des accidents de la route, voté en 1985. "Avant, le conducteur pouvait se défendre en invoquant la faute de la victime, si elle traversait en dehors des clous ou en lisant son journal", illustre Christophe Quézel-Ambrunaz, professeur de droit privé à l'université Savoie-Mont-Blanc. Le texte reconnaît par défaut la totalité du préjudice envers la victime, quand les assureurs rivalisaient de manœuvres dilatoires pour faire traîner les procédures et passer le plus tard possible à la caisse.
La mesure ne figurait pas dans les 110 propositions de François Mitterrand, "mais on peut y voir des marqueurs de gauche", estime Christophe Quézel-Ambrunaz, comme l'intitulé de la loi, qui met l'accent sur "l'amélioration de la situation des victimes". Autre symbole : avoir pris le parti des victimes contre les puissants groupes d'assurance. Depuis quarante ans, les articles fondateurs de la loi n'ont pas bougé, au point que la Cour de cassation a même organisé un colloque à l'occasion des 40 ans de ce texte. On peut même préparer les festivités du demi-siècle en 2035, selon le professeur de droit : "Quand les voitures autonomes circuleront en France, il n'y aura pas besoin de changer une virgule."
À regarder
-
Se faire recruter dans l’armée par tirage au sort ?
-
La détresse de Cécile Kohler et Jacques Paris, otages en Iran
-
Bac sans calculette : les conseils de Lucas Maths
-
Menace des drones : la France déploie ses armes
-
Un couple sauvé des eaux au Mexique
-
Ces méthodes spectaculaires contre les courses-poursuites
-
Opération anti-drogue : 400 policiers mobilisés à Grenoble
-
En Turquie, une femme sauvée in extremis devant un tramway
-
14 milliards d'impôts en plus, qui va payer ?
-
Gaza : comment désarmer le Hamas ?
-
Menace sur les réseaux : 100 000 euros pour t*er un juge
-
Cédric Jubillar : 30 ans requis contre l'accusé
-
Impôts, retraites, que prévoit le budget 2026 ?
-
Rihanna, reine des streams sans rien faire
-
Que changera la suspension de la réforme des retraites si elle est votée ?
-
Salaire : êtes-vous prêts à jouer la transparence ?
-
Ici, des collégiens dorment à la rue
-
Nouvelle éruption d'un volcan dans l'est de l'Indonésie
-
Cœur artificiel : l'angoisse des greffés Carmat
-
Pourquoi le vote du budget peut te concerner
-
Le nouveau ministre du Travail rouvre les débats sur les retraites
-
Laurent Nuñez, nouveau ministère de l'Intérieur, se confie sur les attentats de 2015
-
Adèle Exarchopoulos : "Quand le monde se résigne à banaliser la violence... Ce qui reste, c'est le collectif"
-
Un mois après sa mort, le message de Charlie Kirk résonne encore
-
Le rappeur SCH déclare sa flamme à Marcel Pagnol dans un film d'animation consacré au célèbre cinéaste
-
Plan de paix pour Gaza : quatre nouveaux corps d'otages ont été remis à Israël
-
SFR bientôt racheté par ses concurrents ?
-
Musée Chirac : braqué puis cambriolé en 48 heures
-
Otages israéliens : révélations sur leur détention
-
Réforme des retraites : suspendue pour 3,5 millions de Français
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter