La décision du Conseil constitutionnel sur l'inéligibilité d'un élu mahorais peut-elle faire jurisprudence pour Marine Le Pen ?

La patronne des députés RN risque cinq ans de prison ferme et cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire dans l'affaire des assistants parlementaires du Front national, dont le jugement doit être rendu lundi.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel - avec AFP
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La cheffe des députés du Rassemblement national Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, le 5 février 2025, à Paris. (ARNAUD CESAR VILETTE / MAXPPP / OLA NEWS)
La cheffe des députés du Rassemblement national Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, le 5 février 2025, à Paris. (ARNAUD CESAR VILETTE / MAXPPP / OLA NEWS)

Le cas d'un élu local mahorais pourrait-il déterminer l'avenir politique de Marine Le Pen ? Le Conseil constitutionnel se prononce, vendredi 28 mars, sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui touche à la question des peines d'inéligibilité avec exécution provisoire. La requête émane de Rachadi Saindou, ex-président de la communauté d'agglomération de Dembéni-Mamoudzou (Mayotte), condamné en juin 2024 pour des faits de détournement de fonds publics, recel et prise illégale d'intérêts à deux ans de prison, dont un avec sursis, et 50 000 euros d'amende.

Malgré un appel, l'élu a été immédiatement déchu de son mandat après avoir été condamné à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire. Une disposition prévue par les articles L230 et L236 du Code électoral que l'élu conteste. Cette règle, estime-t-il, est contraire à la Constitution, car elle porterait atteinte à la séparation des pouvoirs et à la "préservation de la liberté de l'électeur". Dans un avis, le Conseil d'Etat avait jugé que la question valait d'être transmise aux Sages.

Marine Le Pen attentive à la décision des Sages

L'audience du Conseil constitutionnel sur ce sujet, qui a eu lieu le 18 mars, a été très suivie par les médias. Une attention qui ne doit rien au hasard, car cette affaire fait écho à une autre, plus médiatique. La décision des Sages, attendue le 28 mars, interviendra en effet trois jours seulement avant que le tribunal correctionnel de Paris ne rende son jugement dans l'affaire des assistants parlementaires du Front national.

En novembre, le parquet avait requis contre la députée cinq ans de prison ferme et cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire. Le fait que l'accusation réclame une peine d'inéligibilité était attendu, car cette peine est obligatoire en cas de condamnation pour détournement de fonds publics. C'est la demande d'exécution immédiate qui avait surpris et scandalisé au sein du RN, ainsi que chez certains adversaires politiques. Si elle était appliquée, cette condamnation empêcherait Marine Le Pen d'être candidate à la présidentielle de 2027, même si elle faisait appel de la décision des juges, sauf en cas de relaxe avant l'échéance électorale. De quoi pousser les soutiens de la patronne des députés RN à s'intéresser de près à la QPC mahoraise.

La décision des Sages pourrait-elle faire jurisprudence et influencer le cas de Marine Le Pen ? Pour le professeur en droit public à l'université de Toulouse Mathieu Carpentier, la réponse est "non". D'abord, parce que les Sages ne sont pas directement saisis de la question de la conformité à la Constitution de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, telle que définie par l'article 471 du Code de procédure pénale. Les articles de lois visés par la QPC ne concernent que les conseillers municipaux. "Même si le Conseil constitutionnel donne raison au requérant, cela ne concernera [Marine Le Pen] que marginalement", explique le spécialiste à franceinfo, qui a publié une tribune dans Libération à ce sujet.

En effet, en cas de condamnation à une peine d'inéligibilité, même avec exécution provisoire, Marine Le Pen ne serait pas déchue dans l'immédiat de son mandat de députée, car le Conseil constitutionnel, compétent en la matière, ne prononce ce type de sanction qu'une fois les recours épuisés. Le seul effet immédiat d'une telle condamnation serait la perte de son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais. Théoriquement, la décision du Conseil constitutionnel concernant l'élu mahorais ne pourrait donc avoir des conséquences que sur la déchéance de ce mandat d'élue locale. C'est ce qu'explique à franceinfo un cadre du parti : "On pense que cette décision n'aura pas d'impact pour nous, et qu'on ne pourra rien en tirer pour Marine Le Pen et 2027. Elle ne pourra être utilisée ni dans un sens, ni dans un autre". 

Le risque d'une décision "instrumentalisée"

Les soutiens de la cheffe des députés RN espèrent cependant que les Sages profiteront de l'occasion pour se prononcer plus largement sur le principe de la "liberté de l'électeur". Ils estiment que cette liberté devrait toujours primer sur une décision de justice non définitive. La QPC de l'élu mahorais n'a "pas grand-chose à voir avec le cas de Marine Le Pen", reconnaît le constitutionnaliste Benjamin Morel auprès du Figaro. "Toutefois, cela devrait conduire le Conseil constitutionnel à donner son avis sur le cadre de l’application de l’inéligibilité à titre provisoire."

Plusieurs spécialistes estiment également que l'attention médiatique influera forcément sur la décision du tribunal dans le cas de Marine Le Pen, même s'il est possible que les magistrats aient déjà pris leur décision, puisqu'ils délibèrent depuis quatre mois. "Il y a un retentissement de l'affaire, c'est certain", analyse pour franceinfo Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Po Paris. "Vu que le Conseil constitutionnel se prononce à l'égard de principes généraux et transversaux, qui concernent le droit des électeurs, cela peut avoir un impact sur le questionnement des juges."

Un état de fait dénoncé par Mathieu Carpentier : "Il y a un aspect de prophétie autoréalisatrice, avec une décision instrumentalisée par le RN et les défenseurs de la probité en politique, qui alimente une pression médiatique sur la justice." En cas de réponse favorable à la requête de l'élu mahorais, les représentants du parti d'extrême droite se préparent déjà à expliquer que Marine Le Pen doit échapper à l'exécution provisoire de sa peine, oubliant un peu vite que les deux affaires ne portent juridiquement pas sur le même champ d'application.

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