Témoignages "Explosion générale", "série qui ne se finit jamais"... Comment les humoristes se jouent de la crise politique

Article rédigé par Clara Lainé, Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
La crise politique que traverse la France à l'automne 2025 inspire les humoristes. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
La crise politique que traverse la France à l'automne 2025 inspire les humoristes. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Plusieurs humoristes, dont Bertrand Chameroy, Akim Omiri ou Charline Vanhoenacker, racontent comment les rebondissements de la crise politique les inspirent autant qu'ils leur imposent de réécrire leurs sketchs à toute vitesse. Le retour de Sébastien Lecornu à Matignon devrait leur donner encore de la matière.

Charline Vanhoenacker marque une pause au micro, avant de dégainer son ultime punchline. "Moi, je ne vois plus qu'une solution, le retour de Jospin. On a 48 heures pour le rapatrier de l'île de Ré." Eclat de rire dans le studio de France Inter. La chronique de l'humoriste belge, jeudi 9 octobre, fait mouche. Quelques secondes plus tôt, elle venait de raconter "cette folle journée où Olivier Faure [le patron du Parti socialiste] a failli être nommé trois fois à Matignon". La veille, elle s'était amusée à comparer la crise politique à une partie de "chat perché". L'avant-veille, elle rafraîchissait la mémoire aux auditeurs : "Pendant dix ans, vous vous êtes payé la tronche des Belges : 'Hahaha alors, toujours pas de gouvernement ?' Et maintenant ? On vous sert de modèle !"

Charline Vanhoenacker a pris un malin plaisir à souligner les vicissitudes de la vie politique française, les nominations et démissions, les interminables négociations, les portes qui s'ouvrent et celles qui se ferment, les appels du pied et les ballons d'essai... "Aujourd'hui, c'est comme si on était arrivés au bout de la caricature. Il y a une espèce d'explosion générale, analyse l'ancienne journaliste. Ça sent totalement la fin de règne, la fin de cycle."

"On a des rebondissements tout le temps"

La crise politique est une source d'inspiration inépuisable pour les humoristes à la radio, à la télévision, comme sur les réseaux sociaux... "Bonsoir, nos invités souffrent de pathologies handicapantes : comment composer avec au quotidien quand on occupe un poste à responsabilité ? C'est ce que nous allons voir avec eux ce soir. Emmanuel, vous avez 47 ans, vous êtes PDG d'un pays, vous êtes incapable de déléguer. Impulsif, entêté et boulimique de Premiers ministres", a moqué mercredi Bertrand Chameroy, sur le plateau de "C à vous", en pariodant l'émission culte "Ça se discute", présentée à l'époque par Jean-Luc Delarue.

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Sur Instagram, Nicole Ferroni propose une séance de thérapie à Sébastien Lecornu, qu'elle compare à une "touillette". "Le président, il vous prend du bout du doigt, il vous secoue un petit peu pour faire de la mousse médiatique, et après il vous jette".

Hugues Lavigne, lui, s'est glissé dans le costume du responsable des ressources humaines de l'Elysée. Cravate, chemise blanche, lunettes, coup de peigne soigné... Il arbore toute la panoplie. "Mais putain, les contrats à l'Elysée, c'est comme les stories, ça dure 24 heures !", s'agace son personnage en jetant en l'air une pile de dossiers. "On va créer un nouveau contrat. Le CDTD, contrat à durée très déterminée." Résultat : près de 7 millions de vues, en fin de semaine, pour cette vidéo de 33 secondes, tournée dans son appartement du Val-d'Oise. "On a des rebondissements tout le temps, on se croirait dans une série Netflix qui ne se finit jamais", confie le jeune humoriste, pas mécontent de s'être engouffré dans la brèche.

Même les plus hermétiques au monde politique doivent se résoudre à triturer la matière. "J'ai fait une chronique sur Lecornu lundi qui s'appelait 'Pas inspirée par Lecornu' pour faire des vannes sur le fait que je n'avais pas de vannes", explique Marie de Brauer, qui tient une chronique quotidienne dans l'émission "Zoom Zoom Zen", sur France Inter.

"On devrait reverser une partie de nos cachets aux politiques"

Adèle Barbers, elle, n'a pas eu besoin de se forcer. La quadragénaire a passé huit ans dans les arcanes du pouvoir avant de monter sur les planches. Dans son spectacle Maladroite, l'ancienne assistante parlementaire dissèque, scalpel en main, les stratégies de communication des politiques. Le titre est trompeur : la comédienne étudie les éléments de langage avec une précision chirurgicale, transformant les tics verbaux en matière comique. "Je pense qu'on devrait reverser une partie de nos cachets aux politiques", sourit-elle. Jeudi encore, sur l'émission Twitch Backseat de Jean Massiet, elle s'est amusée à analyser l'interview de Sébastien Lecornu face à Léa Salamé. Elle a compté : onze fois le ministre répète qu'il a démissionné. De quoi lui inspirer cette fulgurance : "Ça ne peut qu'être une alerte enlèvement. Il appelle à l'aide. Il a besoin de nous. Macron l'a séquestré !" 

Mais les rebondissements et les revirements sont si nombreux que les humoristes doivent sans cesse renouveler leurs blagues, voire réécrire leurs sketchs. Charline Vanhoenacker faisait partie des près de sept millions de téléspectateurs devant le "20 Heures" de France 2 mercredi soir. "Lorsque l'interview s'est terminée, je n'avais que 20% de ma chronique du lendemain matin qui était écrite, confie-t-elle. Je n'affectionne pas particulièrement ce genre de configuration (...) La condition sine qua non de l'humour, c'est quand même la prise de recul."

Bertrand Chameroy, lui aussi chroniqueur sur France Inter, partage ce vertige : "Je ne peux pas dire qu'on ne manque pas de matière, on n'a qu'à se pencher pour ramasser. Le souci, c'est que ça va tellement vite depuis dimanche qu'un papier prévu pour 7h50 est potentiellement périmé avant sa diffusion." Même la séquence de la dissolution de l'été 2024 lui avait semblé plus paisible. "Il y a des rebondissements toutes les heures, on s'adapte jusqu'à la dernière minute", souffle-t-il.

"Le risque, c'est de tourner en rond"

Si chaque jour apporte son lot de péripéties, le blocage politique, lui, se poursuit et cette situation semble inextricable. "Le risque, c'est de tourner en rond. Les politiques font les mêmes conneries, mais nous, on ne doit pas faire les mêmes sketchs", cingle Romuald Maufras, en pleine tournée de son spectacle Saison 3. L'artiste, suivi par plus de 100 000 personnes sur Instagram, en a fait son credo. Chaque dimanche, il cuisine – littéralement – l'actualité : une main sur la planche à découper, l'autre maniant la punchline.

"Quand on tombe sur le paradoxe, on est content : la vanne est déjà là." Et en ce moment, les paradoxes abondent. "Bon bah Sébastien Lecornu, nouveau fusible… Mais quand t'en es au septième fusible en deux mandats, c'est peut-être qu'il faut changer toute l'installation", lance-t-il face caméra. Ou encore, tout en découpant des carottes : "Le temps qu'il met à chercher un Premier ministre, il est plus long que le mandat du Premier ministre ! Sans déconner, l'hôtel de Matignon, c'est devenu un hôtel tout court !" 

“L'idée, c'est de trouver une blague qui va exprimer le mécontentement général."

Romuald Maufras, humoriste

à franceinfo

Akim Omiri revendique, lui aussi, cet humour cathartique. Sur scène ou derrière le micro de Radio Nova, il transforme la colère en carburant comique. "Quand ce qui se passe est trop absurde, il n'y a pas besoin de créer de sursaut, il y a juste besoin de pointer l'absurdité de la chose", explique-t-il. L'une de ses dernières cibles en date ? Bruno Le Maire, rappelé au gouvernement. Dans l'émission La Riposte, il cingle : "Le Maire, c'est comme si t'as un plombier, il a fait une inondation chez toi, et qu'il revient la semaine d'après en disant : je suis aussi électricien si tu veux. Je peux regarder le tableau électrique avec un pied de biche ?" Pour Akim Omiri, la blague sert de soupape pour évacuer la pression. Ecrire, dit-il, "c'est une manière d'exorciser".

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Le public semble partager ce besoin d'exutoire. Depuis la cale de son théâtre-bateau, La Nouvelle Seine, Jessie Varin guette les rires. Depuis la dissolution, ils sonnent différemment et sont plus nerveux. La programmatrice aguerrie se refuse à être "dans le déni" de ce climat économique et social. Au contraire. "Il faut multiplier les paroles politisées sur les plateaux de stand-up : c'est le dernier espace de liberté totale", plaide-t-elle.

Quelle que soit la tournure que prennent les événements politiques, les humoristes n'ont pas l'intention de changer de registre. Leur barillet à blagues est encore chargé de munitions. "On va encore rester là-dessus, c'est sûr, prédit Bertrand Chameroy. Si Macron prend la parole, par exemple. Donc c'est loin d'être terminé." Les spectateurs du théâtre François-Villon de Vesoul (Haute-Saône) ont beaucoup ri, vendredi, lorsque Hugues Lavigne a rejoué son désormais fameux sketch du "RH de l'Elysée" : "Cherchez un Premier ministre, c'est comme une partie de 'Qui-est-ce' ? Est-ce que c'est une femme ? Est-ce qu'il est chauve ? Est-ce qu'il a déjà été condamné ?"

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