Justice fiscale, budget 2026, retraites… Comment Sébastien Lecornu peut répondre à l'ultimatum des syndicats

Le Premier ministre reçoit l'intersyndicale à Matignon mercredi, avec comme objectif d'éviter une seconde journée de mobilisation sociale.

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les leaders de l'intersyndicale manifestent à Paris, le 18 septembre 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Les leaders de l'intersyndicale manifestent à Paris, le 18 septembre 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Comment éviter une nouvelle journée de grève et de manifestations dans les rues ? Sébastien Lecornu reçoit à Matignon les huit centrales composant l'intersyndicale, mercredi 24 septembre, pour évoquer cette brûlante interrogation. Il répond ainsi à leur ultimatum, adressé vendredi par communiqué, donnant au nouveau Premier ministre jusqu'à mercredi pour répondre à leurs revendications. "S'il n'a pas compris que la colère dans le pays est grande et qu'il n'y répond pas, il n'échappera pas à une seconde journée de mobilisation", menace Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Unsa.

La liste des exigences dressée par les représentants des travailleurs est assez longue : abandon de l'ensemble du projet de budget, davantage de justice fiscale, conditionnement des aides publiques aux entreprises en fonction des pratiques sociales et environnementales ou encore abandon du recul de l'âge légal de départ à la retraite.

"On attend des preuves"

Sébastien Lecornu doit-il céder sur tous ces sujets pour espérer faire fléchir les syndicats ? "On a conscience qu'on n'aura pas des réponses à tout, mais il nous faut quelques signes", répond Cyril Chabanier, président de la CFTC, à l'AFP. "La balle est dans le camp du Premier ministre, qui nous a dit qu'il voulait construire des compromis, qu'il était prêt à bouger… On attend des preuves", surenchérit Marylise Léon, patronne de la CFDTLa CGT semble moins conciliante. "Il n'y a pas de possibilité d'enfumage : c'est oui ou non", a lancé sa secrétaire générale, Sophie Binet, vendredi sur France Inter.

Quels pourraient alors être les compromis proposés par le nouveau Premier ministre ? "Pas de son, pas d'image : on ne sait pas ce qu'il pense. On ne sait rien de ce qu'il pourra nous annoncer", confie Dominique Corona à franceinfo "Il y a des contacts avec son cabinet, mais c'est pour toujours nous demander nos lignes rouges. Ils les connaissent", ajoute Denis Gravouil, un des négociateurs de la CGT.

"Ils veulent nous tester, voir ce qui est important pour nous. C'est un jeu du chat et de la souris."

Denis Gravouil, négociateur de la CGT

à franceinfo

Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière, est le dernier responsable syndical à avoir rencontré Sébastien Lecornu lors d'un rendez-vous à Matignon, lundi. "Il m'a dit qu'il fallait passer par une rupture de la politique telle qu'elle a été menée jusqu'à maintenant, mais il ne m'a pas fait d'annonces particulières", rapporte le patron de FO à franceinfo. Il relate un moment de leur entretien, lorsqu'il a lancé au nouveau chef de gouvernement "que la politique de l'offre macroniste ne fonctionne pas". "Elle ne fonctionne peut-être plus", lui a alors répondu le locataire de Matignon "avec un grand sourire", précise Fréderic Souillot.

"L'effort demandé aux hauts patrimoines devra être conséquent"

Sébastien Lecornu pourrait bouger sur la justice fiscale. Les députés Renaissance relayent depuis plusieurs jours l'idée qu'ils seraient prêts à renoncer à leur promesse de ne pas augmenter les impôts pour demander aux plus fortunés de participer à l'effort national. "Il n'est pas question d'exonérer telle ou telle catégorie de la population de l'effort partagé, car les Français ne le comprendraient pas", a ainsi déclaré Yaël Braun-Pivet sur l'antenne de franceinfo lundi.

Les débats au niveau politique se focalisent sur la taxe Zucman, qui n'est pourtant pas mentionnée en tant que telle parmi les revendications de l'intersyndicale. "Je ne suis pas un économiste de haut vol : j'ignore si la taxe Zucman est exactement la mesure à prendre ou pas, mais je sais qu'il faut une meilleure justice fiscale", commente Dominique Corona. La CGT, favorable à la taxe Zucman, a accepté qu'elle ne soit pas citée dans le communiqué de l'intersyndicale, mais Denis Gravouil prévient : "L'effort demandé aux hauts patrimoines devra être conséquent".

Sur le budget 2026, la discussion à proprement parler se fait avec les parlementaires qui voteront le projet de loi de finances du pays et le projet de loi sur les finances de la Sécurité sociale. Mais l'intersyndicale a répété ses lignes rouges et réclame un renoncement au doublement des franchises médicales, à l'année blanche budgétaire, et à la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires.

"Ce que l'on propose, ce n'est pas la mer à boire."

Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Unsa

à franceinfo

De quoi, tout de même, faire boire la tasse à un gouvernement censé réduire le déficit. Un renoncement à la réforme de l'assurance-chômage serait apprécié par l'ensemble des syndicats, qui n'ont pas apprécié le dépôt d'une proposition de loi sur cette réforme par le groupe macroniste à l'Assemblée, deux jours avant la manifestation du 18 septembre. Si Sébastien Lecornu donnait des gages aux syndicats, ce sujet pourrait donc constituer un motif de crispation avec Gabriel Attal.

Vers une suspension de la réforme des retraites ?

Reste la réforme des retraites, sans aucun doute la partie la plus sensible de la discussion. Sébastien Lecornu pourrait-il mettre en pause la réforme Borne ? "On n'écarte rien", répond un cadre du parti Horizons auprès du service politique de France Télévisions. "Pas question. Ça serait un signal terrible donné aux marchés", infirme un proche d'Emmanuel Macron, contacté par le même service.

Qu'en pensent les partenaires sociaux ? Le président de la CFTC, Cyril Chabanier, espère notamment "la traduction dans une loi" des points d'accord décrochés lors du conclave organisé par François Bayrou : pensions réévaluées pour les mères de famille, abaissement de l'âge de décote notamment ou révision des critères de pénibilité. "Pas question de reprendre les mesurettes d'un conclave qui est un échec", gronde Denis Gravouil, de la CGT. Dominique Corona verrait lui d'un bon œil la suspension de la réforme jusqu'en 2027, "la campagne présidentielle permettant de trancher le sujet". "Le problème ce n'est pas 2026, mais 2030 et après", juge Frédéric Souillot, de Force ouvrière "qui craint une surenchère des uns et des autres pendant la campagne". Sur ce sujet comme d'autres, "il faut laisser faire les interlocuteurs sociaux", conclut-il.

Après le relatif succès de celle du 18 septembre, l'enjeu pour Sébastien Lecornu est d'éviter une deuxième journée de manifestation. S'il y parvient, cela ne signifiera pas pour autant qu'il pourra échapper à une censure à l'Assemblée nationale, puisque le Parti socialiste mènera de son côté ses propres négociations avec Matignon. "S'il y a un accord avec les syndicats, ça signifiera que le gouvernement aura fait un pas. Ça sera un signe positif", commente Romain Eskenazi, porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale. "Mais nous, on doit avoir un accord politique avec le bloc central et cela ne concerne pas que les sujets sociaux", ajoute-t-il, citant la question de l'immigration.

Et si le Premier ministre lâche trop aux syndicats, ce sont les Républicains qui menaceront de quitter le socle commun. Pour sa survie politique, Sébastien Lecornu doit jouer les équilibristes. La pression de la rue ne va pas lui faciliter la tâche.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.