"Il va être perçu comme le clone de Macron" : Sébastien Lecornu, un fidèle du président à la recherche d'une voie de passage au Parlement

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président de la République, Emmanuel Macron, et Sébastien Lecornu, alors ministre des Armées, le 14 juillet 2025 lors du défilé militaire à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Le président de la République, Emmanuel Macron, et Sébastien Lecornu, alors ministre des Armées, le 14 juillet 2025 lors du défilé militaire à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le chef de l'Etat a nommé mardi soir l'ex-ministre des Armées à la tête du gouvernement, 24 heures seulement après la chute de François Bayrou. Une décision ultrarapide qui suscite l'ire des oppositions.

Cette fois, c'est la bonne. Après avoir vu Matignon lui passer sous le nez au profit de François Bayrou en décembre dernier, Sébastien Lecornu a décroché, mardi 9 septembre, le poste de Premier ministre. A peine 24 heures après la chute du patron du MoDem, qui a largement perdu le vote de confiance qu'il avait lui-même sollicité à l'Assemblée nationale. Une nomination express pour un Emmanuel Macron plutôt coutumier des remaniements qui s'étirent dans le temps.

"On savait que François Bayrou allait tomber depuis longtemps, il n'y avait donc pas d'excuse pour attendre", glisse un ancien ministre macroniste. "Le président de la République m'a confié la tâche de construire un gouvernement avec une direction claire : la défense de notre indépendance et de notre puissance, le service des Français et la stabilité politique et institutionnelle pour l'unité du pays", a réagi sur X le nouveau Premier ministre.

Il faut dire que l'option Lecornu, fidèle ministre des Armées depuis 2022, présent dans tous les gouvernements depuis 2017, tenait fermement la corde des bookmakers macronistes. "Ça sera Lecornu et ça sera aujourd'hui, il constitue déjà son cabinet", croyait savoir mardi après-midi un conseiller parlementaire. "J'ai échangé hier [lundi] avec lui et, oui, il a un peu plus d'assurance que les fois précédentes, confiait également un ancien compagnon de route de l'ancien maire de Vernon (Eure). Quitte à sauter dans six mois, autant finir Premier ministre plutôt que ministre des Armées, et donc avoir le top du top."

"C'est le choix de l'évidence pour le président", assure, dès l'annonce de la nomination connue, un député Ensemble pour la République (EPR). Venu des Républicains (LR), Sébastien Lecornu s'est imposé au fil des années comme une pièce maîtresse des différents gouvernements d'Emmanuel Macron. D'abord secrétaire d'Etat à la Transition écologique, puis ministre des Collectivités territoriales mais également ministre des Outre-mer, l'ex-président du conseil départemental de l'Eure a été l'un des rouages essentiels de la campagne présidentielle de 2022.

"Le choix du confort"

Depuis le début du second quinquennat d'Emmanuel Macron, il occupe le poste stratégique de ministre des Armées, domaine réservé du président de la République, dont l'importance n'a cessé de croître depuis le retour de la guerre sur le sol européen. "C'est un message très fort envoyé aussi sur le plan européen concernant la détermination de la France à prendre en considération des nouveaux défis militaires, stratégiques et économiques", confie une conseillère d'un ministre démissionnaire.

Sur le plan de la politique intérieure, le profil de Sébastien Lecornu est à double tranchant. "C'est le choix du confort. Emmanuel Macron le connaît très bien et c'est non irritant pour tout le monde car il n'est pas présidentiable, décrypte le constitutionnaliste Benjamin Morel, également secrétaire général du think tank de l'ancien ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer. Mais, je ne suis pas sûr que ce soit le choix de la stabilité. Il va être perçu comme le clone de Macron". 

"Cette nomination va mettre en porte-à-faux les socialistes qui ont poussé l'option Olivier Faure à Matignon. Les insoumis pourraient dire à leur intention : 'Regardez ces sociaux-traîtres qui ont approuvé un mini-Macron et un budget d'austérité'."

Benjamin Morel, constitutionnaliste

à franceinfo

Sébastien Lecornu aura la lourde tâche de négocier avec le parti à la rose, dont la non-censure est la clé de la stabilité à l'Assemblée. "Le fait que Sébastien Lecornu soit proche du président me paraît être un atout majeur car le chef de l'Etat sera prêt à faire des compromis pour qu'il reste", assure un ex-ministre Renaissance. Bien conscient cependant "qu'il faudra un énorme geste" pour embarquer les socialistes, qui "vont faire monter la pression comme ce n'est pas permis"

La promesse d'"un changement de méthode"

Le parti de Jaurès a d'ailleurs réagi mardi soir dans un communiqué cinglant, assurant qu'avec cette nomination "Emmanuel Macron s'obstine dans une voie à laquelle aucun socialiste ne participera". Le président de la République "va chercher un macroniste chimiquement pur et n'imagine rien d'autre", fustige le député PS Hervé Saulignac. "Au moins, le PS a un budget, des propositions de recettes et d'économies, des mesures pour la croissance. Le Premier ministre n'a donc qu'à puiser dedans. La balle est dans son camp", ajoute-t-il.

L'entourage du nouveau chef du gouvernement assure qu'il appellera mercredi, lors de la passation de pouvoir à Matignon, à "un changement de méthode" dans la vie politique. Un changement "tant sur la forme que sur le fond", promet-on, sans que l'on en sache davantage.

"C'est quelqu'un de discret, loyal, fidèle et sobre. Il fera les choses différemment et a déjà entamé ses consultations."

L'entourage de Sébastien Lecornu, Premier ministre

à franceinfo

Le président de la République lui a demandé de "consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d'adopter un budget pour la nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois." La France a jusqu'au 31 décembre pour se doter du budget 2026 et éviter le "remake" de l'an dernier avec la censure de Michel Barnier. Le patron de la grande muette est-il l'homme de la situation pour naviguer dans les eaux troubles de l'Assemblée ? "Il n'est pas clivant. Certes, il revendique un ADN de droite, mais d'une droite sociale, loue une conseillère du précédent gouvernement. Mais il est vrai que sa proximité avec le président n'enverra pas de message de changement."

"Emmanuel Macron se place lui-même sur un siège éjectable"

"La devise d'Emmanuel Macron : on ne change pas une équipe qui perd. Comment un fidèle du président pourrait-il rompre avec la politique qu'il conduit depuis huit ans ?", a ainsi cinglé le patron du RN, Jordan Bardella, sur X, assurant que son parti jugerait Sébastien Lecornu "sur pièces". Sans surprise, La France insoumise a dénoncé, par la voix de sa cheffe de file à l'Assemblée, Mathilde Panot, "une provocation". "Nous le censurerons", a-t-elle promis.

Toutefois, l'alignement entre l'Elysée et Matignon devrait permettre cette fois d'éviter les couacs et les tensions, même si le nouveau Premier ministre pourrait aussi représenter un potentiel handicap pour Emmanuel Macron. "Sébastien Lecornu représente modérément un fusible pour le chef de l'Etat, comme l'a joué Michel Barnier et, dans une moindre mesure, François Bayrou, assure Benjamin Morel. Emmanuel Macron se place ici lui-même sur un siège éjectable. Mais quel autre choix avait-il ?"

Dans l'opinion publique, Sébastien Lecornu "bénéficie d'une notoriété moyenne", livre Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos France. "Je ne pense pas qu'il ait une image très construite, mais le sentiment qu'Emmanuel Macron a recours à la même 'formule' que pour Michel Barnier et François Bayrou autour du socle commun risque de ne pas aider le président dans l'opinion, où il souffre toujours d'une popularité dégradée", poursuit le sondeur. Dans ces conditions, Sébastien Lecornu parviendra-t-il à trouver une voie de passage pour durer ?

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