Crise politique : "la classe politique est parfois éloignée des réalités", indique Jean-Pierre Jouyet

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Article rédigé par franceinfo - Brigitte Boucher - Edité par 6Médias
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Invité de "La Matinale week-end" du dimanche 12 octobre, Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire général de l'Elysée, est revenu sur la crise politique que traverse la France.

Brigitte Boucher : Vous avez écrit L'ombre du général aux éditions Albin Michel. Vous dites dans ce livre avoir eu la chance de servir cinq successeurs du général : Chirac, Sarkozy, Hollande. Au fil des présidentielles et des quinquennats, vous dites que la fonction présidentielle est menacée d'impuissance. Est-ce qu'elle s'est délitée ? Pourquoi et quels parallèles pouvez-vous faire avec la situation actuelle ?

Jean-Pierre Jouyet : Je crois que la fonction présidentielle, la force de vouloir devenir omnipotente, s'est effectivement affaiblie et a perdu en prestige par rapport à ce qu'était le général de Gaulle.


C'est vrai qu'aujourd'hui, la figure du général reste dans toutes les têtes. Est-ce qu'on manque finalement d'un leader fort ?

Je crois que la figure du général reste effectivement dans toutes les têtes et que chacun veut se comporter comme le général, mais ce n'est pas le général qui veut.

Mais par exemple Emmanuel Macron, avez-vous l'impression de retrouver des signes du général de Gaulle ? Est-ce qu'il s'en inspire ?

Les successeurs du général de Gaulle ont cherché à s'en inspirer, notamment sur tout ce qui concerne la politique internationale. Et de ce point de vue là, il y a une continuité de l'esprit gaullien.

Pour autant, on voit bien que si Emmanuel Macron était tout à fait gaullien, il quitterait peut-être le pouvoir. Aujourd'hui, voyant la tension qu'il y a dans le pays, le rejet au fil des élections successives, l'absence de majorité, vous ne croyez pas cela ?

Le général de Gaulle est parti à la suite d'une défaite sur le référendum. Là, il n'y a pas eu, je veux dire, d'échecs à un référendum ou de défaite du président de la République. Et deuxièmement, cela appartient au seul président de la République de le décider.

Mais vous, pensez-vous qu'il devrait partir, vu la situation du pays, par exemple, s'il était le général ?

Je crois qu'il faut faire attention à ne pas créer de précédents, parce que cela affaiblirait encore davantage la fonction présidentielle par rapport à ses successeurs.

Vous pointez dans votre livre aussi la composition des gouvernements. Est-ce que c'est cela aussi qui fait qu'il y a de l'instabilité ou de l'impuissance ?

 Je crois que cela joue effectivement. La composition des gouvernements est liée à la loyauté de ceux qui veulent servir, à leur compétence et également à leur reconnaissance par les Français. Or, dans les derniers gouvernements, vous n'avez pas eu forcément de ministres qui étaient reconnus ou connus des Français.

Il n'y a pas assez de têtes connues, voulez-vous dire, dans le gouvernement ?

Ce que je souligne, c'est qu'il y a moins de 10 ministres qui sont connus au niveau du gouvernement.

 Et ça signifie qu'il y a un affaissement de la classe politique française 

Ça signifie qu'il y a effectivement une sorte de plus grande faiblesse de la classe politique française. Et comme je le dis dans ce livre, vous avez surtout une montée de la défiance populaire à l'égard des responsables politiques et à l'égard de ceux qui gouvernent, qui est beaucoup plus importante qu'auparavant.

À quoi est dû cet affaissement de la classe politique française ? Est-ce que c'est le cumul des mandats ? Est-ce que c'est le fait de ne pas être suffisamment bien payé ? Certains se tournent vers le privé. Ça tient à quoi ?

Je crois que cela tient au fait que la classe politique est parfois éloignée des réalités, éloignée des préoccupations quotidiennes des Français. C'est le premier point. Le second point que je voudrais souligner, c'est que lorsque vous êtes responsable politique, vous n'avez pas le temps, justement, et c'est la situation actuelle compte tenu des remaniements et des changements, de suivre l'application des textes ou des annonces que vous faites. Et ça, les Français s'en rendent compte, notamment dans les milieux ruraux et provinciaux.

On voit bien que tout remonte à 2027, tout remonte à l'élection présidentielle dans ce pays. Et c'est bien aussi ce qui crée de l'instabilité aujourd'hui puisque les ambitions se multiplient. D'ailleurs, Sébastien Lecornu a dit qu'il ne faut pas qu'il y ait des ministres, qu'il y ait des ambitions personnelles pour les prochaines élections. A-t-on perdu le sens de l'intérêt général ?

Je crois que c'est moins effectivement illustré qu'auparavant. Ce sont, vous l'avez souligné, les candidatures qui se multiplient à l'élection présidentielle, ce qu'on ne connaissait pas auparavant. Et là, il y a, de la part des Français, une défiance par rapport à ce qui est le manque d'unité, de stabilité et de vision.

En tout cas aujourd'hui, 57 % des 18-35 ans pensent que la démocratie est préférable à la dictature, ce qui est quand même une faible majorité. Comment expliquez-vous finalement cette tentation vers un régime autoritaire ?

Vous constatez cette tentation dans beaucoup de pays européens et pas seulement en France. Et là, vous avez une montée que l'on ne connaissait pas auparavant d'avoir des régimes autoritaires, mais dans beaucoup de démocraties. Je crois malgré tout que la démocratie, bien évidemment, l'emportera.
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