Budget 2026 : "Le coût politique va être très lourd", prévient le politologue Benjamin Morel

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Jean-Baptiste Marteau et Alix Bouilhaguet reçoivent Benjamin Morel, politologue et constitutionnaliste, pour analyser les enjeux et les conséquences d’une majorité éclatée sur le fonctionnement du gouvernement et du Parlement.

Le projet de budget 2026 fait débat alors que les marges de manœuvre du gouvernement restent étroites. Benjamin Morel, politologue et constitutionnaliste, était l’invité du "10 minutes info" sur franceinfo canal 16 pour en discuter aux côtés de Jean-Baptiste Marteau et Alix Bouilhaguet.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : Deux motions pour le prix d’une, pour Sébastien Lecornu. Alix, si l’on fait le compte, cela fait plusieurs heures que nous suivons cette succession de votes. Selon les dernières déclarations, je dirais que Sébastien Lecornu devrait passer… À moins que les frondeurs de chaque camp ne soient plus nombreux que prévu ?

Alix Bouilhaguet : Oui, c’est exactement ça. L’équation repose principalement sur les socialistes, qui sont 69. Il pourrait y avoir une poignée de défections, mais difficile de savoir exactement s’il y en aura entre 1 et 5. Il ne faut pas qu’il y en ait plus. Ensuite, il y a aussi une petite inconnue du côté des Républicains : ils ne devraient pas voter la censure, mais quelques voix dissonantes sont possibles. Enfin, il ne faut pas négliger le bloc central, du côté d’Horizons. Les troupes d’Édouard Philippe ne sont pas totalement favorables à une suspension de la réforme des retraites. On peut donc s’attendre à quelques déperditions ici ou là, d’un côté ou de l’autre, ce qui implique que le résultat se jouera à une quinzaine de voix près.

Jean-Baptiste Marteau : Vous faites ces comptes depuis plusieurs jours, avec tous les spécialistes de l’Assemblée et de la Constitution. Est-ce un premier test pour savoir si cette alliance pourra tenir jusqu’à la fin du quinquennat ?

Benjamin Morel : Oui. Et si, demain, il y a un changement de braquet politique, tout peut basculer très rapidement. Le budget est encore très loin d’être adopté. Si à un moment le Parti Socialiste ou les LR se sentent coincés dans une situation politiquement délicate, la censure pourrait revenir sur la table. En revanche, si nous échappons à la censure aujourd’hui et que rien ne survient dans le mois qui vient, il est probable que nous éviterons également une dissolution. Une dissolution fin novembre priverait le Parlement de la possibilité de voter certaines lois spéciales. Début janvier, cela perturberait les municipales. Les LR et les socialistes n’accepteraient pas cela.

Jean-Baptiste Marteau : La dissolution semble donc très improbable.

Benjamin Morel : Exactement. Nous avons encore un mois d’instabilité gouvernementale qui pourrait théoriquement conduire à une dissolution. Ce n’est pas juridiquement impossible, mais politiquement, cela deviendrait très compliqué.

Jean-Baptiste Marteau : J’ai l’impression que nous n’avons pas encore pleinement mesuré les conséquences de cette annonce : dans les mois qui viennent, nous allons assister à un bouleversement inédit depuis la création de la Ve République dans le fonctionnement du Parlement sans 49.3.

Benjamin Morel : En tout cas, il faudra trouver une majorité pour faire passer le budget. Et cela sera particulièrement complexe en l’absence de majorité absolue. Généralement, pour déterminer si un groupe politique est dans la majorité ou dans l’opposition, on regarde comment il vote le budget. Si les socialistes votent le budget, ils voteront l’ensemble du texte, pas seulement la suspension de la réforme des retraites. Cela inclut la hausse des franchises médicales et diverses mesures introduites par la droite, probablement avec un rôle important des sénateurs. Dans ce cadre, les socialistes ne font pas de petits compromis, ils votent pour l’ensemble. Et, théoriquement, on les classe alors dans la majorité. Leur dilemme stratégique sera donc particulièrement ardu.

Alix Bouilhaguet : En effet, pour les socialistes, il n’y a pas eu de victoire à la Pyrrhus. Ne pas utiliser le 49.3 leur laisse la possibilité de proposer et de débattre, mais finalement, le 49.3 oblige à se positionner et à voter pour l’ensemble du budget, là où ils auraient pu, en temps normal, s’abstenir. Traditionnellement, voter le budget revient à faire partie de la majorité. Ici, ce sera beaucoup plus compliqué.

Jean-Baptiste Marteau : Autrement dit, c’est un changement profond dans les pratiques de la Ve République, que nous allons découvrir progressivement ?

Benjamin Morel : Oui, et il sera difficile d’en tirer quelque chose de simple. D’abord, le budget arrivera à l’Assemblée, et il faudra que socialistes et LR s’accordent. Si l’un des deux groupes vote contre ou s’abstient, il n’y aura pas de budget, car le total RN, LFI, EELV et PC surpassera celui du socle commun. LR et PS devront donc s’entendre au détail près pour voter le budget. Ensuite, le texte part au Sénat, où la droite ne sera pas favorable au même budget. Il sera forcément "détricoté" pour envoyer un signal politique.

Puis intervient la commission mixte paritaire : députés et sénateurs sont réunis. La gauche y est minoritaire, la droite en position de force. Si les sénateurs refusent de donner leur accord, la commission peut échouer, et le gouvernement devra décider de donner le dernier mot à l’Assemblée. Mais que fera Laurent Wauquiez ? Acceptera-t-il de négocier avec Olivier Faure malgré les sénateurs ? Le coût politique sera lourd. Si la CMP échoue, le budget pourrait ne pas passer ; s’il aboutit, il sera probablement très à droite, et Olivier Faure aura du mal à l’accepter.

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