"Je voyais beaucoup de fragilité chez lui" : un documentaire suit Gérald Darmanin pendant 100 jours lorsqu'il était ministre de l'Intérieur
Ce film en trois parties, intitulé " Tempête", revient notamment sur la sécurisation des Jeux olympiques de Paris et l'évasion meurtrière de Mohamed Amra, mais aussi sur la dissolution de l'Assemblée nationale qui coûtera son poste à l'ambitieux élu nordiste.
/2021/12/14/61b8bc6e2ed72_isabelle-live.png)
/2025/07/03/075-thorel-notitle200707-npik8-68665f5c47129664092354.jpg)
En mai 2024, l'effervescence règne à la Place Beauvau. La sécurisation des Jeux olympiques de Paris est au cœur des préoccupations de Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur. Il est encore loin d'imaginer qu'il s'apprête à vivre les mois les plus intenses de sa fonction et les plus incertains de ses ambitions politiques. A cette même période, des violences explosent en Nouvelle-Calédonie, auxquelles s'ajoute l'évasion meurtrière de Mohamed Amra. Moins d'un mois plus tard, Emmanuel Macron annonce la dissolution de l'Assemblée nationale après la défaite de son camp aux élections européennes et la victoire écrasante du Rassemblement national.
Cette période de turbulences est retracée dans un documentaire en trois parties, intitulé Tempête, réalisé par Yann L'Hénoret et diffusé dimanche 6 juillet à 21h05 sur France 5. D'avril à septembre 2024, le réalisateur a suivi Gérald Darmanin avec sa caméra et capté l'ébranlement de ce pilier de l'Etat qu'est le ministère de l'Intérieur. Le réalisateur revient sur certaines séquences de son documentaire pour franceinfo.
Franceinfo : Pourquoi avoir décidé de vous immerger dans le ministère de l'Intérieur ?
Yann L'Hénoret : Lorsqu'on m'a proposé ce sujet sur Gérald Darmanin, j'ai voulu immédiatement le rencontrer pour me décider. Deux jours après, je commençais à tourner : la prise de décision a été très rapide d'un côté comme de l'autre. Cela faisait longtemps que je n'avais pas réalisé un film sur un politique, après celui que j'avais fait sur Emmanuel Macron en 2017, donc cela me plaisait de m'y frotter à nouveau, surtout sur un homme politique dont je ne partage pas les idées, je trouve cela plus intéressant.
Dès le départ, Gérald Darmanin m'a signifié qu'évidemment je ne pourrai pas filmer certaines réunions sensibles. En échange, je lui ai dit que tout ce que je tournerai, je l'utiliserai. Il m'a donné son accord et il a tenu sa promesse alors que les circonstances ont totalement changé.
"Le film devait être initialement axé sur la préparation des Jeux olympiques et finalement cela ne représente que quelques minutes. D'autres événements majeurs ont pris le dessus et ce film est devenu totalement politique."
Yann L'Hénoret, documentaristeà franceinfo
J'ai pu avoir des séquences fortes, car j'ai beaucoup tourné et finalement je n'ai utilisé que 2% de ce que j'ai filmé sur mes 100 jours d'immersion.
Comment avez-vous saisi le moment où Gérald Darmanin apprend l'évasion meurtrière de Mohamed Amra ?
C'est l'un des premiers événements durant ces mois qui relègue au second plan les Jeux de Paris. Ce jour-là, je filme une réunion avec une délégation de gendarmes, comme il y en a souvent à la Place Beauvau. Et à un moment, je sens qu'il y a une agitation, je vois Gérald Darmain prendre son téléphone. Il reçoit un message, probablement d'un préfet, qui lui apprend qu'il y a eu une attaque de fourgon et qu'il y a deux morts et un blessé. Il se retire rapidement et consulte tout son entourage qui se renseigne afin d'avoir le plus d'éléments possibles.
En fait, Gérald Darmanin essaie surtout de savoir s'il y avait une escorte policière avec ce fourgon, car il n'est pas en charge de l'administration pénitentiaire, c'est le ministère de la Justice qui gère cela. Mais il est important qu'il sache s'il y avait des policiers présents au moment de l'attaque, qui auraient failli à leur tâche ou qui seraient blessés, ce sont ses prérogatives. Or, il n'y en avait pas, car, à ce moment-là, la dangerosité de Mohamed Amra n'était pas avérée, c'était un détenu comme un autre et le ministère de la Justice n'avait pas jugé bon de renforcer la sécurité de son transfert.
"Dans cette séquence, durant laquelle il règne un calme incroyable malgré les circonstances, on découvre le fonctionnement du ministère de l'Intérieur, le rôle de chacun et l'ambiance qui y règne."
Yann L'Hénoret, documentaristeà franceinfo
Une autre séquence met en lumière la tension entre Gérald Darmanin et Eric Dupont-Moretti, alors ministre de la Justice, lors d'une réunion de crise sur la Nouvelle-Calédonie. Vous a-t-elle surpris ?
Oui, j'ai été le premier surpris de voir la situation s'envenimer, c'est la première fois que je voyais cela dans un documentaire politique. J'espérais juste qu'aucun des protagonistes ne me regarde afin de continuer à tourner. La réunion a commencé calmement, c'était juste un état des lieux de ce qui se passait dans l'archipel. Puis, Gérald Darmanin s'est énervé, ne comprenant pas qu'après l'interpellation de 200 émeutiers en Nouvelle-Calédonie, aucun n'ait été incarcéré. Il reproche indirectement à Eric Dupont-Moretti l'absence du procureur de la République de ce territoire et pointe le laxisme de la justice alors que deux gendarmes sont morts et que des policiers ont été blessés par balles.
De son côté, Eric Dupont-Moretti rappelle le droit et tente d'expliquer que les personnes arrêtées ne sont pas celles qui ont tiré sur les forces de l'ordre ou sur les militaires. Il n'y a donc pas de charges suffisantes pour être poursuivies. Or, pour Gérald Darmanin, il faut rapidement des coupables. La tension était vraiment palpable, car l'insurrection était très forte à ce moment-là sur ce territoire. Une séquence qui a fait beaucoup réagir lors de la projection du documentaire, et qui m'a beaucoup étonné, c'est l'intervention de Gabriel Attal, alors Premier ministre qui dit : "On ne peut pas faire un exemple ?" Comme si fallait coûte que coûte envoyer quelqu'un en prison, quel que soit le motif.
Gérald Darmanin semble assez peu déstabilisé après l'annonce de la dissolution, avez-vous perçu son trouble ?
En fait, c'est assez étonnant, car on voit qu'il ne peut pas livrer son ressenti, même à ses plus proches collaborateurs et cela même si on sent qu'il est déçu de devoir se présenter à une élection législative anticipée. Pour autant, au fil du temps, on constate une certaine incertitude qui grandit. On ne le sent pas du tout en position de force lorsqu'il attend les résultats du premier et du deuxième tour.
Et le doute monte encore lors de l'attente de la nomination du Premier ministre. Il demande l'avis de ses collaborateurs qui évidemment se sont renseignés, comme on le voit dans la séquence, mais en fait, ils se trompent totalement puisqu'ils lui disent, avec certitude, qu'il restera dans le gouvernement de Michel Barnier et qu'il aura probablement les Affaires étrangères. C'est d'ailleurs à ce moment qu'il dit : "Ça rend fou la politique." Finalement, il n'aura aucun ministère dans le gouvernement Barnier.
"Je voyais beaucoup de fragilité chez lui. Il ne perd pas son humour pour autant, mais il y a une grande fébrilité, comme lorsqu'il est devant sa télévision lors de la passation de pouvoir entre Michel Barnier et Gabriel Attal et qu'il demande à boire un whisky."
Yann L'Hénoret, documentaristeà franceinfo
Ce qui est très troublant, c'est de voir ce ministère qui est tout-puissant au début du film, avec l'organisation du parcours de la flamme olympique qui se passe bien, où tout est sécurisé, où tout est géré, et soudain, on sent que tout part en morceaux. Les pistes sont brouillées. Plus le film avance et plus cette dissolution a des conséquences.
C'est la raison pour laquelle vous filmez ces moments-là en noir et blanc ?
Oui, l'idée était de filmer en couleur la marche normale du ministère et en noir et blanc les conséquences directes de la dissolution : les élections législatives, sa campagne à Tourcoing pour se faire réélire député, l'attente de la nomination du nouveau Premier ministre... Ses préoccupations durant ces moments-là sont palpables, même si ses collaborateurs le rassurent en permanence. D'autant plus qu'il espérait que la réussite de la sécurisation des Jeux olympiques lui soit bénéfique pour la suite de sa carrière et que cela le propulse à une potentielle candidature pour l'élection présidentielle en 2027. A l'époque, c'était un véritable enjeu pour lui.
Le documentaire en trois parties intitulé Tempête, réalisé par Yann L'Hénoret, est diffusé dimanche 6 juillet à 21h05 sur France 5 et sur la plateforme france.tv.
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter