"Il faut partager le pouvoir", juge Gabriel Attal, avant la rencontre des partis avec Emmanuel Macron

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Article rédigé par France 2 - Édité par l'agence 6Medias
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Quelques heures avant de se rendre à l'Élysée pour s'entretenir avec Emmanuel Macron comme les autres chefs de partis, Gabriel Attal réaffirme dans les "4 Vérités", vendredi 10 octobre, ses prises de position et ses critiques à l'encontre du chef de l'État, sans aller jusqu'à souhaiter son départ.

Alors qu'un nouveau Premier ministre pourrait être nommé dans la soirée, ce vendredi 10 octobre, Emmanuel Macron a annoncé son intention de recevoir les chefs de partis politique, exceptés ceux de La France insoumise et du Rassemblement national. Invité des "4 Vérités", Gabriel Attal, à la tête du groupe Ensemble pour la République, dans l'Hémycicle, y est donc convié. L'ancien Premier ministre compte bien tenir le même discours à l'Élysée que ces derniers jours, où il s'est frontalement opposé aux choix du président : "Je suis constant avec ce que je défends", souligne-t-il.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jeff Wittenberg : On a appris cette nuit que le président de la République allait recevoir tous les chefs de parti et des groupes parlementaires, tous sauf ceux de LFI et du Rassemblement national. Qu'est-ce que vous savez de cette réunion qui va avoir lieu à 14h30 à l'Élysée ? Est-ce que vous attendez que le président vous annonce, ce qu'on attend aujourd'hui, le nom du nouveau Premier ministre ?

Gabriel Attal : Je pense que si le président de la République invite des responsables politiques à l'Élysée, c'est aussi pour les entendre. Je me rendrai évidemment à cette réunion. Je me rends à toutes les réunions auxquelles je suis convié, par qui que ce soit, parce qu'on a plus que jamais besoin de se parler et de chercher à trouver une solution d'apaisement pour le pays dans le contexte actuel.

Mais vous aussi, vous attendez des choses ? Encore une fois, vous souhaitez qu'il vous révèle celui qui va entrer à Matignon à partir de ce soir, s'il tient effectivement son engagement dès 48 heures, comme il l'avait dit ?

Au cours de cette réunion, je dirai ce que je dis depuis plus d'un an maintenant et depuis la dissolution qui n'a donné aucune majorité à l'Assemblée nationale. Je dirai d'abord qu'il faut mettre le "quoi" avant le "qui". Et qu'à trois reprises depuis un an, un Premier ministre a été nommé avant que des partis puissent se mettre d'accord sur le fond, sur un compromis, et donc à chaque fois, ce Premier ministre a été renversé ou a été contraint à démissionner. Non, il faut d'abord se parler et trouver un compromis entre partis politiques, parce que je crains encore une fois qu'en rééditant une méthode qui conduise à nommer un Premier ministre ou une Première ministre avant qu'il y ait eu un compromis sur le fond, ça produise les mêmes effets. Et la deuxième chose que je dirai, c'est évidemment qu'il faut partager le pouvoir et ne pas donner le sentiment de s'acharner à vouloir garder la main sur tout. Parce que je pense que c'est ce qui explique aussi la difficulté d'un certain nombre de partis politiques, de l'opposition, de l'ancienne opposition, à se mettre autour de la table pour parler du fond.

Mais ce compromis, vous ne risquez pas de le trouver dès cet après-midi autour d'une table avec les autres chefs de partis politiques. Donc si je vous suis bien, il faudrait ne pas nommer ce Premier ministre dès ce soir ?

C'est le président de la République, selon nos institutions, qui décide de nommer ou non un Premier ministre. Moi, cette proposition, ça fait très longtemps que je la formule. Je l'ai formulée au moment de la chute du gouvernement de François Bayrou, avant la nomination de Sébastien Lecornu. Je suis constant avec ce que je défends. Beaucoup de travail a été fait ces dernières semaines pour rapprocher un certain nombre de positions, et je crois très profondément que si on sort des questions de personnes, sur le fond, on peut arriver à trouver un compromis.

Vous avez dit hier, dans un déplacement dans la Sarthe, que le président faisait tout à l'envers. C'est un peu l'esprit de ce que vous dites ce matin. Pourquoi vous l'attaquez si fort, le chef de l'État, ces derniers temps ? Vous dites qu'il est le seul responsable de la situation politique dans laquelle nous nous trouvons ?

Moi, je suis lucide et je dis les choses telles que je les ressens aux Français. Je crois que ça a toujours été ce que j'ai fait et je viens de vous dire pourquoi. Je pense que depuis un an, désigner un Premier ministre, a fortiori, un Premier ministre qui est identifié comme étant très proche du président de la République, je pense que ça ne facilite pas la discussion ensuite avec les partis politiques de l'opposition. Je suis constant. Moi, je dis la même chose depuis la dissolution. Je propose une méthode, une méthode qui n'est pas suivie.

"Je me suis toujours opposé à ceux qui appellent à la démission du président de la République"

Mais on voit des images de vous avec le président. Vous aussi, vous avez été un très proche et vous entendez, non pas ce procès, mais en tout cas ces commentaires qui sont faits sur votre attitude aujourd'hui, qui, pour les plus indulgents, parlent d'ingratitude. Et il y a même un ancien ministre, qui a été votre collègue, Éric Dupont-Moretti, qui dit, je le cite, "les rats quittent le navire". Vous entendez ces phrases-là ? Comment y réagissez-vous ?

La fonction de président de la République, je respecte l'homme, mais évidemment, je suis un responsable politique. Je ne vais pas me mettre à faire de la langue de bois et à dire aux Français que je comprends toutes les décisions qui sont prises, que je suis d'accord avec ces décisions, que je pense qu'elles sont bonnes pour le pays, quand ce n'est pas le cas. Encore une fois, c'est une question de lucidité.

Et à ceux qui disent que vous lui devez votre carrière, par exemple, qu'est-ce que vous répondez ?

Évidemment, je n'aurais pas eu l'honneur de servir mon pays au plus haut niveau sans que le président de la République me fasse confiance, mais à chacune des fonctions qui m'ont été confiées, je crois que j'ai dit les choses telles que je les ressentais, y compris d'ailleurs, et j'avais entendu les mêmes commentaires au moment de la dissolution où j'avais critiqué ce choix, pas parce que ça me conduisait à quitter Matignon, j'avais remis ma démission de toute façon, mais parce que tout ce qui se passe depuis, c'est ce que je redoutais au moment de ce choix de dissoudre. À l'époque, déjà, on m'avait dit, on m'avait reproché de dire les choses telles que je les ressens.

Est-ce que vous allez aussi loin qu'Édouard Philippe, autre ancien Premier ministre du Président, qui dit qu'Emmanuel Macron, lui, doit partir en 2026 et organiser une présidentielle anticipée une fois que le budget sera voté ?

Non, je me suis toujours opposé à ceux qui appellent à la démission du président de la République. Ça fait un moment que La France insoumise et Le Rassemblement national appellent à la démission du président de la République. Je m'y suis toujours opposé, parce qu'indépendamment de l'homme, Emmanuel Macron, j'appelle à une pratique plus saine de nos institutions. Donc je ne peux pas défendre l'idée qu'on affaiblirait nos institutions en contraignant un président de la République à démissionner. Demain, s'il y a ce précédent, tous les présidents de la République qui se succéderont pourront être poussés, contraints à la démission. Tous les maires dans nos communes pourront se faire contraindre à la démission. Et puis, j'ajoute, j'étais en Ukraine il y a quelques semaines. Ils ont évidemment besoin de continuer à avoir le soutien de la France, de l'Europe. Si, comme c'est proposé par Édouard Philippe, le président de la République annonçait que dans cinq ou six mois, il démissionne, dès aujourd'hui, la voix du président de la République et donc la voix de la France porterait moins à l'international. Or, on a plus que jamais besoin que la voix de la France porte. Voilà, moi je le dis, il faut de l'apaisement. Il y a le sentiment d'une forme de crise de nerfs généralisée dans la vie politique française en ce moment. Certains font sauter un gouvernement avec un tweet parce qu'ils ne sont pas contents d'un ministre. Certains appellent à la démission du président de la République.

Donc, vous le critiquez d'avoir pris cette option ?

Je prends des positions politiques. Vous m'interrogez sur une position politique. Je vous réponds. Ce que je dis, c'est qu'on a besoin d'apaisement. Et moi, je pense que l'apaisement, c'est d'abord de se mettre autour de la table et de parler du fond.

Si je vous comprends bien, vous demandez au président de rester, mais de changer de méthode. Ça, vous l'avez expliqué. Si ce soir, par exemple, il nomme un Premier ministre de gauche, est-ce que vous dites, "Banco, nous allons soutenir ce Premier ministre" ?

Vous voyez bien que cette question, elle revient à poser la même question, la même méthode que celle qui a été employée depuis un an. C'est quand même une hypothèse très proche.

"Je propose qu'on change de système de retraite"

Mais qu'est-ce que vous ferez ?

Je vais vous dire, je ferai toujours tout pour que la France avance. Parce que la France, elle a besoin d'un budget. Parce que nos chefs d'entreprise, ils ont besoin de savoir s'ils pourront investir, s'ils pourront embaucher l'année prochaine. Parce que les Français ont besoin de savoir de quelles aides ils pourront bénéficier l'année prochaine pour isoler leur logement. Parce qu'il y a des jeunes couples qui veulent pouvoir acheter un logement, leur résidence. Ils voient les taux qui s'envolent tant qu'on n'a pas de budget. Ils ne peuvent pas emprunter.

Donc, le Premier ministre de gauche pourrait le faire. Par exemple, en suspendant la réforme des retraites, une réforme à laquelle vous avez contribué aussi, est-ce que vous, vous y seriez prêt à cette concession qui est majeure ?

D'abord, on voit que ce débat sur les retraites empoisonne la vie politique française, et c'est bien qu'il y a urgence à changer de système. Moi, je propose qu'on change de système de retraite, on a un système qui est à bout de souffle, qui ne tient plus...

Et donc qu'on réforme cette réforme actuelle qu'on a suspendue ?

Je propose un système par points, un système libre, on enlève l'âge légal, uniquement une durée de cotisation, et un système qui intègre une part de capitalisation. C'est la proposition que je formule, mais cela fait plusieurs mois maintenant...

Donc on met de côté celle-ci ?

Est-ce qu'on va pouvoir changer ce système avec ce Parlement actuellement d'ici à 2027 ? Évidemment non. D'ici là, il y a probablement des adaptations à faire, des ajustements. Moi, je ne sais pas concrètement ce que ça veut dire une suspension, mais donc vous voyez bien l'urgence d'aller se mettre autour de la table pour en parler. Je n'ai jamais mis de ligne rouge. Je veux que le pays avance. Si le président de la République décide de nommer un Premier ministre ou une Première ministre, quel qu'il soit, je chercherai toujours à être constructif pour qu'on puisse avancer. Parce que les Français, je crois que c'est ce qu'ils attendent. Là, ils nous regardent. Ils regardent ce spectacle. Ils sont, je pense, médusés, sidérés de voir des responsables politiques qui ne parlent que d'eux-mêmes, qui ne parlent que d'affaires de boutiques politiques. Franchement, avançons et recommençons à parler de leurs problèmes, du pouvoir d'achat, de l'accès à la santé, de l'éducation de nos enfants.

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