: Reportage "On a envie d'y croire parce que ça nous fait du bien" : la communauté juive partagée sur le déplacement de Jordan Bardella en Israël

L'ultime étape de la "dédiabolisation" du parti ? Jordan Bardella s'envole, mardi 25 mars, pour Israël. Le président du RN est invité par le ministre de la Diaspora, qui est membre du Likoud, le parti de Benyamin Netanyahou, à une conférence mondiale consacrée à la lutte contre l'antisémitisme, mercredi et jeudi. L'eurodéputée d'extrême droite Marion Maréchal-Le Pen est elle aussi est invitée. Fait inédit dans l'histoire du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. Mais qu'en pense la communauté juive ? Franceinfo s'est rendu rue des Rosiers à Paris, quartier où la communauté est fortement implantée et où le sujet divise.

À l'image de cet échange entre le gérant d'une pâtisserie, pour qui le RN a changé : "Les idéaux de Jean-Marie Le Pen ne sont peut-être pas les mêmes que sa fille. Marine Le Pen, elle-même, n'avait pas les mêmes discours que son père. Après, voilà, je pense que chaque personne est différente."

Et Juliette, une cliente, stupéfaite : "Marion Maréchal et Jordan Bardella qui s'en vont défendre les juifs en Israël ? Non, mais j'ai l'impression de rêver ! Et c'est la petite-fille de celui qui a dit que la Shoah, 'c'était un détail dans l'Histoire'. La nouvelle me paraît totalement surréaliste. On est en pleine fiction."

"Ça m'écœure, ça me choque."

Michel, petit-fils de juifs tués dans le ghetto de Varsovie

à franceinfo

À la sortie de la boutique, Michel aussi accuse le coup, il vient de visiter le mémorial de la Shoah, situé dans le même quartier à quelques rues de là. Son grand-père a perdu toute sa famille dans le ghetto de Varsovie. "Tous les pétainistes étaient parmi les membres fondateurs du parti de Jean-Marie Le Pen. Ce sont des gens qui ont collaboré, qui ont saisi les biens de mon grand-père, rappelle Michel. Donc que ses héritiers essayent de se ripoliner, un revêtement de façade pour apparaître comme des gens biens, il y a une symbolique. S'ils sont accueillis officiellement, c'est scandaleux, c'est la négation de l'histoire."

"Ils ont été quasiment parfaits", contrairement à LFI

Dans le quartier, certains perçoivent aussi le RN comme étant, aujourd'hui, le seul parti ami d'Israël. "Ces derniers temps, le RN a énormément soutenu Israël et condamné tous les actes antisémites qu'il pouvait y avoir en France, affirme un rabbin. Il ne faut pas fermer la porte à des gens qui se montrent bienveillants. Ils ont été vraiment quasiment parfaits." Pour le religieux, c'est loin d'être le cas de partis comme LFI, dont le discours, notamment sur le conflit israélo-palestinien, peut libérer la parole antisémite. "Peut-être qu'au fond, ils ne le sont pas foncièrement, mais forcément, ça libère cette parole-là. Moi, je le vois. Regardez, j'ai ma casquette sur moi et, ici, j'ai ma kippa. Je suis parti un peu plus loin, j'ai mis ma casquette. Je sais que ça a chauffé ces derniers temps. Il y a des fois des insultes, 'Vive le Hamas', 'la Palestine libre'..., alors qu'on ne fait que traverser la rue. 'C'est un colonisateur', on me l'a balancé, etc. Ce sont des choses qui arrivent."

Les attaques du 7-Octobre ont constitué une bascule définitive dans la tête de Yoni, né en Israël et émigré en France : "Aujourd'hui, vous avez un discours clair, de LFI, quand ils disent qu'ils ne sont pas antisémites. Si j'ai envie de les croire, j'ai envie de leur dire : 'Si ce n'est pas le cas, vous faites très, très mal votre com'. Et j'ai envie de leur dire si Jordan Bardella [et le RN], ils sont antisémites, cachés ou pas, en tout cas, ils font, eux, très bien leur com'. On a envie d'y croire parce que ça nous fait du bien, parce que ça nous rassure, parce qu'on en a besoin."

"On n'est pas naïfs, il y a des vices cachés ou pas, mais il faut bien se baser sur un discours."

Yoni, membre de la communauté juive

à franceinfo

Cette invitation faite à Jordan Bardella et Marion Maréchal Le Pen est d'ailleurs assez pragmatique pour David. "De la part du gouvernement israélien, la menace ne vient plus de l'extrême droite mais de l'extrême gauche, estime-t-il. C'est une vraie question parce qu'il y a tout de même l'histoire de ce parti. Les grands représentants du parti, sauf certains représentants locaux qui sont problématiques, sont absolument incritiquables vis-à-vis d'Israël depuis le 7-Octobre. Mais il n'empêche, les bases du RN restent le FN." "Il faut faire avec, conclut David, l'important dans le contexte actuel, c'est d'avoir des alliés."