"C'était programmé pour échouer" : entre faibles audiences et format très classique, François Bayrou peine à percer sur YouTube

Le Premier ministre a voulu profiter de la trêve parlementaire estivale pour expliquer sa stratégie budgétaire à travers une série de vidéos et podcasts, mais qui peine à séduire le grand public comme la classe politique.

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Dans le sixième épisode de sa série, "FB Direct", le Premier ministre a invité les internautes à lui envoyer leurs questions sur le budget, le 14 août 2025. (Capture d'écran de la chaîne YouTube de François Bayrou)
Dans le sixième épisode de sa série, "FB Direct", le Premier ministre a invité les internautes à lui envoyer leurs questions sur le budget, le 14 août 2025. (Capture d'écran de la chaîne YouTube de François Bayrou)

A partir de combien de vidéos peut-on se dire youtubeur ? En trois semaines, François Bayrou en est déjà au septième épisode de sa série estivale sur le budget. En lançant sa chaîne "FB Direct" le 5 août, le Premier ministre voulait profiter des vacances parlementaires pour convaincre les Français du bien-fondé de sa feuille de route budgétaire. En somme, trouver du soutien dans la population alors que les oppositions menacent de censurer le gouvernement à la rentrée. Mais les audiences ne sont pas au rendez-vous, tandis que le fond comme la forme suscitent des critiques ou de l'indifférence, y compris parmi ses soutiens du bloc central, alors que François Bayrou doit s'exprimer sur les dossiers sensibles de la rentrée lors d'une conférence de presse lundi 25 août à 16 heures.

En sept épisodes de deux à huit minutes, le Premier ministre a déjà installé une routine. Depuis son bureau à Matignon, en chemise et cravate, mais sans veste, il répète inlassablement le message qu'il martèle depuis le printemps : l'urgence de désendetter l'Etat, en réduisant certaines dépenses et en produisant plus.

"Je ne les ai pas regardées…"

"Tous les responsables partent en vacances bien méritées, ce que je ne ferai pas", car "c'est le moment où tout va se jouer", dramatise-t-il dans un premier épisode visionné 135 000 fois depuis sa mise en ligne, le 5 août. Le chef du gouvernement y expose également le concept de sa série : "Le but de cette communication directe que je vous propose, c'est que vous vous forgiez vous-même votre propre opinion." Tout en se disant certain "qu'il n'y a pas d'autre chemin que cet effort supportable et choisi", c'est-à-dire le cap budgétaire qu'il a présenté le 15 juillet, lors d'une conférence de presse.

Le 6 août, pour le deuxième épisode, le cadrage est plus serré et l'arrière-plan a changé, mais le ton est le même. François Bayrou évoque cette fois la nécessité de "produire plus". Le 7 août, c'est depuis un train qu'il plaide cette fois pour plus d'efficacité de l'action publique. Puis la série semble revenir en arrière. De retour dans son bureau le 8 août, il justifie de nouveau sa démarche et en appelle aux Français pour sortir le pays "de l'impasse".

Les vidéos suivantes sont plus espacées : dans la cinquième, il répond aux accusations de passages en force de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Après avoir invité les internautes à lui envoyer leurs questions dans le sixième épisode, il a consacré le septième à répondre aux critiques sur les "privilèges" des élus et a annoncé la création d'une mission pour faire "une absolue transparence" sur le sujet. Cumulés, ces épisodes dépassent à peine le score du premier, chacun enregistrant autour de 20 000 vues. Egalement diffusés en version sonore uniquement, les allocutions du Palois sont disponibles sur plusieurs plateformes de podcasts.

François Bayrou n'a en tout cas pas pu compter sur ses troupes pour augmenter son audience et son nombre d'abonnés sur YouTube, qui plafonne à 8 700. "Je ne les ai pas regardées", confessent plusieurs députés du bloc central à propos des vidéos. "L'idée était bonne, mais ça pêche dans le résultat, ça se répète, c'est de plus en plus court, il ne va pas dans les détails… Quel intérêt le public va pouvoir y trouver ?", soupire un parlementaire du bloc central.

"C'est très bien que François Bayrou utilise YouTube pour faire de la pédagogie", défend au contraire le député MoDem du Finistère Erwan Balanant. "Sur les réseaux sociaux, il y a toujours un temps d'installation", ajoute-t-il au sujet des faibles audiences. Dans l'entourage du Premier ministre, on balaie le maigre nombre de vues enregistrées par les allocutions du centriste. "On savait très bien que l'audience serait comme ça au creux de l'été." 

"L'objectif n’était pas de faire du TikTok, mais de montrer que François Bayrou ne prend pas de vacances et qu’il est obsédé par le budget. En cela, ça a parfaitement réussi."

Un proche du Premier ministre

à franceinfo

Matignon misait sur une actualité estivale plus calme, offrant plus de visibilité aux vidéos de François Bayrou. La situation internationale les a reléguées au second plan, tandis qu'Emmanuel Macron multipliait les déplacements et les prises de parole sur la guerre en Ukraine ainsi que sur l'offensive israélienne et la crise humanitaire dans la bande de Gaza.

Une communication trop "verticale" ?

En parallèle, l'opération de communication directe a montré ses limites. Après le couac du lancement, avec des commentaires désactivés, l'espace de réaction offert aux internautes s'est rempli de messages globalement négatifs et d'appels à la démission. Quant au rythme de publication, il a nettement ralenti : après quatre épisodes publiés en quatre jours, les suivants se sont espacés.

"Le format n'a rien de nouveau, c'est une allocution assez solennelle et verticale d'un Premier ministre qui s'adresse aux Français… C'est même assez ringard", observe Philippe Moreau Chevrolet, communicant et professeur à Sciences Po. "Sur le fond, il ne dit rien de nouveau : le constat sur l'endettement a été entendu et réentendu, il n'y a pas de surprise. Cela ne permet pas de capter l'attention, d'autant qu'il n'y a aucune interaction", poursuit l'expert. Qui souligne par ailleurs que François Bayrou a lancé un podcast sans en reprendre les codes, comme ceux de l'entretien, pratiqué par de nombreux podcasteurs, y compris politiques.

"Des vidéos anxiogènes, parachutées au milieu de l'été à un public pas réceptif, avec un ton professoral et sur des choses que l'on sait déjà… C'était programmé pour échouer."

Philippe Moreau Chevrolet, communicant

à franceinfo

En dépit des critiques, le Palois s'apprête justement à lancer la seconde phase de son feuilleton, en répondant aux questions des Français. Interrogé par franceinfo, Matignon affirme avoir reçu plus de 2 600 messages, par courriel et via Agora, l'application de participation citoyenne de l'Etat. Là encore, l'exercice n'a rien de nouveau en politique, et peut manquer de spontanéité, avec une sélection préalable des sujets abordés.

Mais le chef du gouvernement compte persévérer pour préparer l'examen du budget 2026. "C'est comme dans les médias : si vous faites un sujet chaque jour, même s'il est un peu chiant, à la fin le sujet existe. Tout le monde n'aura pas écouté le contenu, mais les gens en parlent", assume l'entourage du Premier ministre. A ce stade, cette opération de communication ne semble pas avoir porté ses fruits. Une majorité de Français rejettent l'année blanche ou la suppression de deux jours fériés mises sur la table par François Bayrou le 15 juillet, selon un sondage Toluna et Harris Interactive pour RTL paru le 22 août. Il reste quelques semaines au Premier ministre youtubeur pour tenter d'infléchir la tendance, avant l'arrivée du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, en octobre.

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