"Ce n'est ni sa première sortie, ni sa dernière" : comment Bruno Retailleau creuse le fossé avec le macronisme pour préparer son avenir

Le ministre de l'Intérieur estime dans "Valeurs actuelles" que ce courant politique "s'achèvera avec Emmanuel Macron", dans la lignée d'une longue série de piques envers le camp présidentiel qui compliquent les relations au sein du gouvernement.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, au Sénat, à Paris, le 9 juillet 2025. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)
Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, au Sénat, à Paris, le 9 juillet 2025. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)

L'élastique se tend, se tend… mais ne rompt pas encore. Depuis bientôt un an qu'il est au gouvernement, Bruno Retailleau a fait de la critique du camp présidentiel une habitude, comme une ligne politique. Plus largement, aux yeux du ministre de l'Intérieur, devenu patron des Républicains au mois de mai, le macronisme est une impasse. Il "s'achèvera avec Emmanuel Macron, tout simplement", parce qu'il "n'est ni un mouvement politique, ni une idéologie : il repose essentiellement sur un homme", a-t-il une nouvelle fois taclé dans les colonnes de Valeurs actuelles, mardi 22 juillet. "Je ne crois pas au 'en même temps', car il alimente l'impuissance."

Si l'intéressé a nié devant les caméras, mercredi, des informations de plusieurs médias évoquant un échange tendu avec Emmanuel Macron en Conseil des ministres le matin même, sa sortie a suscité de la colère au sein du camp présidentiel, et spécifiquement du parti Renaissance, profondément irrité de voir une figure majeure du gouvernement Bayrou juger aussi férocement leur écurie. "Le macronisme est une idéologie ET un parti politique. Tenter de diviser le socle commun, c'est affaiblir les remparts contre les extrêmes ! Agir ensemble exige du respect mutuel", a répliqué Elisabeth Borne, la ministre de l'Education nationale, sur X. "Il faut qu'on prenne tous des vacances. Ce sont des mots inutiles et blessants quand on est membre d'une coalition gouvernementale et dans un contexte compliqué", a aussi regretté Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, sur RMC.

LR défend un "gouvernement d'assemblage"

Si les macronistes du gouvernement défendent vigoureusement le macronisme, certaines voix ne s'émeuvent même plus de ces sorties. "Bruno Retailleau, on ne le refait pas. Ce n'est ni sa première sortie, ni sa dernière. Il avait dit après son élection chez LR 'on va d'abord se focaliser sur les élections municipales'. Visiblement, il n'y arrive pas", s'amuse un proche du Premier ministre auprès de France Télévisions, tandis qu'un autre macroniste préfère ironiser sur les propos du ministre.

"Prédire la mort du macronisme, c’est déjà reconnaître qu’il existe. On progresse."

Un proche d'Emmanuel Macron

à France Télévisions

Le politologue Bruno Cautrès relève le "tempo" de ces sorties, "qui s'accélère", "plutôt que leur contenu". Selon le chercheur au CNRS et à Sciences Po Paris, Bruno Retailleau "s'adresse à l'électorat de droite traditionnelle, qui a notamment voté pour François Fillon en 2017 et qui se demande ce qui va se passer après 2027". "C'est le symbole d'une difficulté de positionnement entre l'intérieur et l'extérieur du gouvernement", nuance un conseiller ministériel, qui y voit un "problème de communication".

Etrillé par une partie du camp présidentiel, Bruno Retailleau a trouvé du soutien au sein de sa famille politique, Les Républicains. "Ce type de prise de parole, ça sert à faire comprendre aux Français que nous sommes dans un cas de figure d'assemblage entre des partis (...) mais que nous avons chacun nos convictions et que nous ne sommes pas un grand tout", l'a défendu Sophie Primas, mercredi matin sur TF1. La porte-parole du gouvernement assume sans problème ces propos, d'autant plus qu'elle les avait peu ou prou tenus au mois de mai : l'ex-sénatrice LR avait estimé sur Europe 1 que "le macronisme, probablement, trouvera[it] une fin dans les mois qui viennent, avec la fin du deuxième quinquennat du président Macron".

Déjà très critiqués par les macronistes, ces propos intervenaient deux jours après la victoire de Bruno Retailleau face à Laurent Wauquiez dans l'élection à la tête des Républicains, une joute lors de laquelle ses adversaires lui avaient reproché sa participation à un gouvernement macroniste. Comme d'habitude, le Vendéen avait rapidement balayé ces accusations. "Rentrer dans ce gouvernement, ce n'est pas se macroniser, ça n'est pas se dissoudre, ça n'est pas la confusion. (…) Je n'ai pas changé, je suis gaulliste et je ne renonce à aucune de mes valeurs et de mes convictions", avait-il assuré sur Europe 1, en tentant de tenir une ligne de crête entre participation au gouvernement et indépendance revendiquée.

Des incursions sur d'autres terrains que le périmètre de l'Intérieur 

Le ministre avait aussi prévenu de sa volonté de ne pas se limiter à son périmètre de l'Intérieur, dans le but de gagner un "combat culturel" contre la gauche : "J'essaye, par des prises de positions très très claires, de gagner le combat d'idées. J'observe que les lignes bougent, on prépare le terrain pour demain." Quitte à irriter ses collègues du gouvernement, comme lorsqu'il avait appelé, début juillet dans Le Figaro, à "rebâtir un parc nucléaire et stopper le financement des [énergies] renouvelables", dénonçant au passage "les Tartuffe de l'écologie politique".

"C'est dramatique, c'est irresponsable, c'est du populisme le plus basique", avait rétorqué sur franceinfo Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, qui avait dénoncé la stratégie plus globale du locataire de Beauvau, tournée sans l'avouer vers l'électorat du Rassemblement national. "Au fond, peu importe l'intérêt des Français, pourvu qu'on aille récupérer des voix à droite et au-delà."

Bruno Retailleau a aussi fait des relations avec l'Algérie l'un de ses dossiers de prédilection depuis qu'il est en poste, bien qu'il dépende prioritairement du ministère des Affaires étrangères. Il dénonce régulièrement l'attitude d'Alger à propos de son refus d'accepter certains de ses ressortissants expulsés par la France, ou de l'emprisonnement de l'écrivain Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes. "Il faut changer de ton, assumer un rapport de force que le pouvoir algérien a lui-même choisi. J'y suis prêt, depuis le début de cette crise", a-t-il martelé dans Le Figaro, vendredi.

"La diplomatie des bons sentiments a échoué."

Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur

au "Figaro"

Ce tacle, directement adressé à son collègue du Quai d'Orsay, le MoDem Jean-Noël Barrot, a fait réagir ce dernier. "Il n'y a ni diplomatie des bons sentiments, ni diplomatie du ressentiment. Il y a juste la diplomatie", a lâché ce dernier sur X, vendredi, dans une allusion claire à son homologue.

Un départ dans les mois à venir ?

Reste à connaître le plan de route du patron des Républicains : compte-t-il bientôt quitter le gouvernement, pour critiquer encore plus frontalement le macronisme et ses défenseurs, tout en préparant l'élection présidentielle de 2027 ? "Il est hors de question de me laisser lier les mains. Les Français savent parfaitement que notre marge de manœuvre est limitée, mais ils souhaitent qu'on soit utiles. Tant que je suis utile, je continuerai à faire mon devoir", a-t-il prévenu dans Le Figaro, vendredi.

"La question n'est pas de savoir si Retailleau va partir, mais quand", avançait dans la foulée auprès de franceinfo un stratège de l'exécutif. Selon lui, le patron des LR ne présentera pas sa démission à François Bayrou avant d'avoir obtenu des résultats place Beauvau. "Ça peut aller jusqu'à la séquence budgétaire ou les municipales. S'il part avant, il peut dire que c'est lui qui a décidé de sa sortie", avant une possible censure, se projette le conseiller ministériel cité plus haut.

Certains macronistes l'appellent même à quitter le navire dès à présent. "Voilà huit ans que Les Républicains prophétisent la fin du macronisme et huit ans qu'ils perdent les élections les unes après les autres. Si Bruno Retailleau est mal à l'aise avec le président de la République et son mouvement politique, il peut rendre son poste au gouvernement", a lancé mercredi sur X Pieyre-Alexandre Anglade, député Ensemble pour la République.

"Tant que les décisions sont conformes à l'intérêt national, conformes à mes convictions, il n'y a pas de raison que je quitte le gouvernement", a déclaré devant la presse, jeudi, le ministre de l'Intérieur, qui a même annoncé un projet de loi contre les mortiers pour la rentrée. François Bayrou, lui non plus, n'envisagerait pas un départ à court terme de l'homme fort des LR. "Si les ministres font leur job, ça ne pose pas de problème au Premier ministre, balaie l'un des proches du Béarnais. Et Bruno Retailleau est intelligent, il fait son job." Le Vendéen devait s'entretenir avec Emmanuel Macron, jeudi, en milieu de journée, mais la rencontre a finalement été reportée, a appris franceinfo auprès de l'Elysée. Un entretien avec François Bayrou est désormais prévu jeudi soir.

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