"Franchement, je m'en serais bien passé" : au procès des soupçons de financement libyen, Nicolas Sarkozy donne sa version de la visite de Mouammar Kadhafi à Paris

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Temps de lecture : 6min
Nicolas Sarkozy arrive au tribunal correctionnel de Paris le 20 janvier 2025. (DANIEL PERRON / AFP)
Nicolas Sarkozy arrive au tribunal correctionnel de Paris le 20 janvier 2025. (DANIEL PERRON / AFP)

L'ancien président était interrogé lundi sur les éventuelles contreparties diplomatiques du pacte de corruption présumé avec le défunt dictateur libyen.

Il a beau avoir été interrogé "50 à 60 heures pendant l'instruction" et "13 ou 14 heures" devant le tribunal, Nicolas Sarkozy assure avoir encore "beaucoup de précisions et de détails" à apporter. Au dixième jour du procès des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, lundi 27 janvier, l'ancien président de la République a été interrogé sur les contreparties diplomatiques du pacte de corruption présumé qu'il aurait conclu avec Mouammar Kadhafi. En particulier, selon l'accusation, le retour sur la scène internationale du dictateur libyen, avec la libération des infirmières bulgares et sa visite à Paris après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle.

Notes à l'appui, l'ex-chef de l'Etat commence par fournir au tribunal une chronologie détaillée de la reprise des relations diplomatiques de la France avec la Libye : "2002", Jacques Chirac, fraîchement réélu, en fait "l'un des axes de sa politique" dans le monde arabe ; "2003", l'ONU, "sur l'impulsion de la France", "lève les sanctions" contre le régime libyen ; "2004", "six rencontres franco-libyennes" ont lieu. "Nous arrivons à l'année 2005, où il y aura cinq rencontres franco-libyennes", poursuit Nicolas Sarkozy, sans revenir sur sa visite à Tripoli le 6 octobre 2005, déjà abordée lors d'un précédent interrogatoire. Le prévenu en "tire deux conclusions" "le retour de la Libye dans la communauté internationale est bien antérieur à [son] action et il ne concerne pas seulement la France mais le monde entier".

"Mon objectif, c'était de sortir de l'épreuve des femmes innocentes"

Les juges s'interrogent sur l'accélération d'un dossier en souffrance depuis des années, après cette visite à l'automne 2005 : le sort de cinq infirmières bulgares et d'un médecin palestinien, emprisonnés et condamnés à mort en Libye depuis 1999 pour avoir prétendument inoculé le virus du sida à des enfants. Nicolas Sarkozy rapporte à la barre que c'est après avoir reçu leurs familles le 26 avril 2007, dans l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, qu'il prend l'engagement, s'il est élu, de les faire libérer. "J'étais sous le choc de cette rencontre, mon objectif, c'était de sortir de l'épreuve des femmes parfaitement innocentes, accusées de choses invraisemblables", plaide-t-il. S'agissant de l'intervention de son ex-épouse Cécilia Attias dans cette libération, Nicolas Sarkozy sort la carte vie privée : son couple était alors au bord du divorce. Le 24 juillet, l'éphémère Première dame escorte les infirmières dans un avion français vers la Bulgarie.

"Il fallait sortir ces malheureuses de cette situation abominable, j'ai pensé que ça pouvait aider et ça a aidé."

Nicolas Sarkozy

devant le tribunal correctionnel de Paris

Les travaux de la commission d'enquête parlementaire sur cette libération, puis les investigations dans ce dossier ont mis en lumière le rôle de la Commission européenne, qui œuvrait depuis plusieurs années pour les faire sortir des geôles libyennes. Que répond Nicolas Sarkozy à ceux qui ont estimé qu'il avait "envoyé Cécilia pour des infirmières déjà libérées" "Force est de constater que ce gros travail de la Commission n'avait pas abouti. Le petit travail, le mien, a abouti à la libération. Disons que c'est un succès commun", balaie l'ancien locataire de l'Elysée, estimant que "le fruit était mûr". Une version corroborée à l'époque par le président de la Commission européenne lui-même, José Manuel Durao Barroso, comme le rapportait Libération.

"Cela a été tendu de la première à la dernière minute"

Nicolas Sarkozy martèle que "sans la libération des infirmières, Monsieur Kadhafi ne serait pas venu à Paris" fin 2007. Soulignant que le dictateur libyen avait également planté sa tente les jours précédents à Lisbonne au Portugal et dans "les jardins royaux" d'Espagne, l'ancien président précise qu'il ne s'agissait "pas d'une visite d'Etat" et que la France n'avait pas "payé" ni "organisé" la sortie en "bateau-mouche", la "visite au Louvre" ou "la chasse à Rambouillet", prises en charge par "la partie libyenne". A l'entendre, cette visite était une corvée, "complexe à gérer car le personnage est ingérable".

"Je viens d'être élu, l'enthousiasme est considérable, j'ai un travail considérable, et je dois supporter deux jours et demi de Kadhafi à Paris, franchement je m'en serais passé."

Nicolas Sarkozy

devant le tribunal correctionnel de Paris

En dépit de cette démonstration, un des trois procureurs du Parquet national financier met les pieds dans le plat : "Est-ce que cette visite est la contrepartie d'un pacte de corruption ? Je suis obligé de vous poser la question." "Indigné", Nicolas Sarkozy s'emporte : "A aucun moment, on ne peut voir cette visite comme celle de deux compères qui se retrouvent après un accord juteux. Cela a été tendu de la première à la dernière minute." Mais ce "chemin de croix" en valait la peine, soutient l'ex-président, car ce "qu'il reste dans l'histoire", "c'est que les infirmières bulgares et le médecin palestinien ont été libérés".

Expliquant ne plus avoir eu de relations avec Mouammar Kadhafi après cette visite controversée, le dictateur libyen étant "le seul" dans le monde arabe à avoir séché son sommet "extraordinaire" de l'Union pour la Méditerranée en 2008, Nicolas Sarkozy répète qu'il n'y a "pas eu le début d'un commencement de la moindre complicité" avec le dictateur libyen. "L'idée qu'il pouvait me tenir se fracasse à la pression que je lui mets pour les infirmières, à la pression que je lui mets sur les droits de l'homme", argue celui qui défend la "realpolitik" et la nécessité de traiter avec "les Etats voyous".

Durant la suite de son mandat, Nicolas Sarkozy assure qu'il "n'entend plus parler de Kadhafi". "Avant 2011, personne ne parle d'un quelconque financement de ma campagne", relève-t-il. C'est la thèse de la défense : le clan Kadhafi se serait vengé de la reconnaissance par Nicolas Sarkozy du Conseil national de transition libyen et de son rôle actif dans l'intervention occidentale. Le tribunal a encore plusieurs semaines devant lui pour explorer cette version.

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