"Ce sont des gens éminemment dangereux" : au procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, le rôle des intermédiaires passé au crible
Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE et spécialiste de l'intelligence économique, a expliqué à la barre, mercredi, avoir averti Claude Guéant et Brice Hortefeux de la "dangerosité" de Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri.
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L'un est en fuite au Liban, l'autre a déserté le banc des prévenus cette semaine. Malgré leur absence, Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri ont été au cœur des débats, mercredi 29 janvier, au 11e jour du procès des soupçons de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2007. Le tribunal correctionnel de Paris a entendu un expert du monde interlope des intermédiaires dans les affaires politico-financières : Alain Juillet. Cité comme témoin par l'accusation, cet ancien directeur du renseignement à la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), petit homme alerte de 82 ans, a livré un témoignage embarrassant pour ces entremetteurs, mais surtout pour Claude Guéant et Brice Hortefeux.
Lors de leurs premiers interrogatoires, les deux anciens ministres ont plaidé la "naïveté", "l'imprudence" et "la candeur", jurant leurs grands dieux qu'ils ignoraient les états de service de Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri à l'époque des faits reprochés. Alain Juillet, responsable de l'intelligence économique auprès du Premier ministre entre 2003 à 2009, assure pourtant qu'à cette période, "on accusait" déjà le Franco-Libanais "de beaucoup de choses. Il était considéré comme un intermédiaire limite". Voyant alors Brice Hortefeux s'afficher avec lui sur son yacht, en compagnie de Jean-François Copé, cet ancien du service action de la DGSE le prévient : "Je lui avais dit qu'il avait intérêt à se méfier de Ziad Takeddine."
La "lettre" de Ziad Takieddine
Quant au Franco-Algérien Alexandre Djouhri, le témoin dit avoir "mis en garde Claude Guéant quand il était secrétaire général de l'Elysée". "Il avait des relations très importantes dans le milieu politique français et des entreprises, mais il a commencé dans le milieu, c'était un voyou", souligne Alain Juillet.
"J'ai toujours dit aux hauts responsables que je rencontrais : 'Faites très attention, ce sont des gens éminemment dangereux, ils font tout pour vous tenir'."
Alain Juillet, ancien responsable de l'intelligence économique à Matignondevant le tribunal correctionnel
Ces deux intermédiaires, proches des réseaux de la droite française mais en concurrence, ont chacun de leur côté, selon l'accusation, œuvré pour faire transiter l'argent libyen, avant et après l'élection de Nicolas Sarkozy. Selon Alain Juillet, en 2006, Ziad Takieddine se "balade" en Libye avec "une lettre" de celui qui n'est encore que ministre de l'Intérieur. Nicolas Sarkozy s'y engagerait à faire lever le mandat d'arrêt contre le dirigeant libyen Abdallah Senoussi, condamné en France pour l'attentat du DC10 d'UTA, en échange d'un marché pour la remise en état des avions de chasse libyens. "Ça ne tenait pas debout !", s'exclame le témoin, qui "n'a pas vu la lettre" en question mais a "convoqué Ziad Takieddine pour un déjeuner" afin de lui "dire d'arrêter de se promener avec", au risque sinon d'avoir "de gros malheurs".
"Pourquoi ne pas avoir saisi la justice ?", s'étonne la partie civile. Sur le banc des prévenus, Nicolas Sarkozy acquiesce avec vigueur. Appelé un peu plus tard à la barre, l'ancien président de la République estime que "cette lettre n'a jamais existé". "Ce sont des balivernes, jamais personne ne m'en a parlé et je m'étonne que le haut responsable de l'intelligence économique" n'ait pas fait de "note", tacle-t-il.
"Pas une référence morale"
Le témoignage d'Alain Juillet ne fait pourtant qu'effleurer l'ancien chef de l'Etat, poursuivi, entre autres, pour association de malfaiteurs. Affirmant ignorer la nature des relations entre Ziad Takieddine et Nicolas Sarkozy à l'époque, ce spécialiste du renseignement juge "invraisemblable" la thèse de l'accusation selon laquelle il ait pu promettre, comme contrepartie au financement de sa campagne, l'amnistie d'Abdallah Senoussi. "On parle de l'un des attentats qui [ont] le plus nui à la France, on ne peut pas imaginer une seconde qu'on va le gracier", assène-t-il. Alain Juillet voit là une manœuvre de l'intermédiaire franco-libanais, pour qui Abdallah Senoussi était le "contact" privilégié en Libye : "Il l'avait convaincu qu'il serait gracié."
Est-ce pour parler de cela que Ziad Takieddine a organisé les rencontres officieuses entre Abdallah Senoussi, Claude Guéant et Brice Hortefeux en Libye ? Les deux anciens ministres ont affirmé à la barre avoir été piégés. Alain Juillet, rompu aux opérations extérieures secrètes, se dit sceptique : "Quand vous tombez dans un piège, si vous êtes quelqu'un digne de ce nom, vous allez tout de suite prévenir" qui de droit, "ça réduit l'impact de l'opération".
Le haut fonctionnaire s'aventure sur le terrain sentimental pour analyser l'attitude de Claude Guéant, qui a continué à fréquenter Ziad Takieddine après ce "piège" : "Je l'ai vu basculer" à la mort de sa femme, en 2008.
"Je faisais partie de ceux qui voyaient Claude Guéant comme un grand serviteur de l'Etat, un grand préfet. Est-ce que le rôle des intermédiaires, ça n'a pas été de l'entraîner en profitant de cette faiblesse après la perte de sa femme ?"
Alain Juillet, ex-responsable de l'intelligence économique à Matignondevant le tribunal correctionnel de Paris
Claude Guéant, absent à l'audience en raison de son état de santé, n'a pas pu répondre. Sa défense non plus. Le conseil d'Alexandre Djouhri, en revanche, a bondi après cet exposé peu flatteur : avec "un casier judiciaire vierge" à "bientôt 66 ans", "est-ce qu'on peut le qualifier de très dangereux ?" "Ce n'était pas un homme qui avait beaucoup de sentiments, il voyait ses intérêts avant tout", répond Alain Juillet, estimant qu'il "faut lutter contre les intermédiaires de toutes sortes car c'est profondément malsain". L'avocat d'Alexandre Djouhri dévie sur l'ennemi juré de son client : "Que pensez-vous du fait que l'accusation fasse de Ziad Takieddine son témoin de moralité numéro 1 ?" Le témoin acquiesce, le Franco-Libanais n'est "pas une référence morale". Les deux hommes encourent dix ans de prison, comme la majorité des prévenus de ce procès-fleuve.
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