Au procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, Alexandre Djouhri euphémise l'exfiltration "tranquillou" de Béchir Saleh

La journée de lundi a été consacrée à l'argentier du régime libyen, jugé en son absence. Pour l'accusation, il ne s'agissait pas d'aider un "ami" de la France mais d'exfiltrer le détenteur de secrets compromettants.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Alexandre Djouhri au tribunal correctionnel de Paris, pour le procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, le 22 janvier 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS / AFP)
Alexandre Djouhri au tribunal correctionnel de Paris, pour le procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, le 22 janvier 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS / AFP)

Le 3 mai 2012, en plein entre-deux-tours de l'élection présidentielle française, un avion privé décolle discrètement de l'aéroport du Bourget (Seine-Saint-Denis). A son bord, un seul passager : l'ex-argentier du régime libyen, Béchir Saleh, visé par une notice rouge d'Interpol.

L'appareil, un Falcon 7X, est affrété par Alexandre Djouhri, un intermédiaire sulfureux proche des réseaux de la droite. Treize ans plus tard, les deux hommes sont jugés dans le procès des soupçons de financement libyen de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy. Béchir Saleh, 79 ans, est en fuite et Alexandre Djouhri, 66 ans, est à la barre, lundi 3 février, pour expliquer comment il a contribué à orchestrer ce départ précipité.

Selon l'accusation, l'argentier de Mouammar Kadhafi a joué un "rôle central" dans le "pacte de corruption" entre l'ancien président et le défunt dictateur car il "connaissait les sommes exactes versées" pour la campagne. Béchir Saleh a ainsi quitté la Libye au moment de la chute du régime fin 2011, via la Tunisie. Alexandre Djouhri était déjà de la partie. Et selon lui, cet exil n'avait rien de hâtif ni d'organisé depuis Paris. "Il a eu le temps de prendre une douche et de voir sa jeune épouse tunisienne", raconte l'ancien caïd. A l'entendre, les deux hommes ont quitté Djerba vers la France "comme deux touristes".

Une rencontre, deux versions

Béchir Saleh circule librement sur le territoire français malgré une notice rouge émise contre lui en mars 2012 par Interpol, à la suite d'une plainte déposée par la Libye pour détournement de fonds. La situation se corse en avril, quand Mediapart publie une note sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, signée par l'ex-chef des services de renseignement extérieur de la Libye, à destination de Béchir Saleh. Candidat à sa réélection, le chef d'Etat dénonce un "faux grossier" mais déclare dans les médias que si l'argentier est "recherché", il sera livré à Interpol. Le temps presse.

Ce 3 mai 2012, Alexandre Djouhri, Bernard Squarcini et Béchir Saleh se rencontrent. Pour les juges, c'est au pied de la tour Eiffel que s'arrange l'exfiltration de ce détenteur de secrets compromettants. Comme l'a expliqué un témoin à la barre plus tôt, l'entourage de François Hollande, au parfum des rumeurs sur le financement libyen de la campagne du rival de droite, est en embuscade.

Droit dans ses bottes, Alexandre Djouhri donne sa version : "Déjà, c'est pas sous la tour Eiffel, on était à l'hôtel Shangri-La, à 700 mètres, bien assis." Ensuite, c'est Béchir Saleh qui, selon lui, a "demandé à partir" pour venir "en aide" au président du Niger, qui redoutait à l'époque un effet de contagion du "conflit libyen". Quant à la présence du patron des renseignements intérieurs, elle s'expliquerait par le fait que le Libyen était "une source" importante dans la "lutte antiterroriste".

"Il m'a dit : 'Je dois partir. Est-ce que tu peux m'organiser le Falcon pour que je puisse décoller ?' J'étais étonné. Il est parti librement, il a présenté ses papiers à la PAF [police aux frontières], il a décollé tranquillou."

Alexandre Djouhri

devant le tribunal correctionnel de Paris

La présidente s'étonne : comment Béchir Saleh peut-il voyager librement alors qu'il est visé par une notice Interpol ? "Il n'y a pas plus de contrôles que cela dans les avions privés", assure, en fin connaisseur, le prévenu, qui soutient qu'il ignorait tout de l'existence de cette notice. Comment expliquer, alors, que Béchir Saleh ait voyagé sous le nom d'Alexandre Djouhri ? "Il ne voulait pas qu'une faction libyenne l'attende à l'arrivée à Niamey", tente l'intermédiaire.

Des "histoires de queue de cerise"

Peu convaincu, le tribunal insiste : "Est-ce qu'à votre avis, Béchir Saleh était détenteur de secrets ?" "Il était détenteur de ses propres secrets", élude Alexandre Djouhri. Le parquet national financier prend le relais : "Est-ce que ce départ n'est pas plutôt lié des pressions par rapport à un financement libyen de la campagne ? Pourquoi le vol n'a-t-il pas été enregistré" par l'aéroport du Bourget ? "C'est peut-être une erreur de leur part", ose l'intéressé, décrochant des rires dans la salle. Egalement interrogé sur les "menaces de mort" qu'il aurait proférées à Béchir Saleh s'il parlait, évoquées par des protagonistes de l'affaire, Alexandre Djouhri se drape dans sa dignité : "C'est une infamie. On ne menace pas son ami et son frère."

Après avoir finalement atterri en Afrique du Sud après le Niger, Béchir Saleh a été victime, en février 2018, d'un "attentat" dont il a réchappé de peu, selon son avocat. Refusant de parler aux juges, il s'était en revanche épanché dans les médias sur l'affaire du financement. Dans la bouche d'Alexandre Djouhri, cette tentative d'assassinat devient un vol à main armée crapuleux. "Ses agresseurs en voulaient à son cash. C'est le chauffeur qui avait rencardé ses cousins, ils étaient au moins sept-huit. Il a eu des petits plombs dans le ventre et ils se sont arrêtés", déroule-t-il.

Aujourd'hui, Béchir Saleh est réfugié dans un pays dont le nom n'a pas été communiqué par son avocat. Eric Moutet a fait savoir au début du procès que son client refusait de venir en France pour des raisons de sécurité. Son "ami" Alexandre Djouhri assure au contraire que c'est parce qu'il se sent "trahi" par la justice française avec "ces histoires de queue de cerise".

"On lui reproche l'achat d'une maison, des pots-de-vin [dans le volet détournement de fonds publics libyens]… Il n'a pas besoin de ça, c'est comme si on accusait Bill Gates de faire la manche !", lâche-t-il avec un sens certain de la formule. L'intermédiaire compte bien d'ailleurs revoir son co-prévenu après le procès, comme il l'indique tranquillement au tribunal : "C‘est mon aîné ! Dans ma culture, on respecte ses aînés." Qu'en pense Nicolas Sarkozy ? L'ancien président sera invité à réagir mercredi.

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