Affaire Bygmalion : "Personne ne contrôle la réalité de chaque dépense"
Le juge Éric Halphen est familier des scandales politico-financiers. Il décrypte pour francetv info les mécanismes de financement des partis politiques et propose des solutions pour mieux les encadrer.
L'affaire Bygmalion a fait voler en éclats la direction de l'UMP cette semaine. Et a mis en lumière un système de financement supposé frauduleux de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. Le parti d'opposition est accusé d’avoir surfacturé l’organisation de meetings de campagne de l'ancien chef d'Etat à la société de communication Bygmalion. Des prestations souvent fictives dont le montant total s’élève à près de 20 millions d’euros.
Des pratiques qu'Eric Halphen connaît bien. Dans les années 1990, il a été le juge anticorruption en charge de dossiers de financement occulte de la politique tels que celui des HLM de Paris, qui mettait en cause Jacques Chirac. Il y a connu de multiples déboires. Le magistrat est aujourd’hui devenu vice-président du tribunal de grande instance de Paris. Il est aussi le président d’honneur de l’association Anticor, qui milite pour une éthique rigoureuse de la vie politique. Francetv info l'a interrogé sur l'affaire Bygmalion.
Francetv info : Quel regard portez-vous sur cette affaire ?
Éric Halphen : D’abord, il faut rester prudent car il est prématuré de faire le lien entre cette affaire et le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Certes, au vu des sommes évoquées, on peut penser qu’au moins une partie de cet argent était destinée à une opération d’envergure ou à une structure importante, mais on ignore encore précisément de quoi il retourne. En fait, quand j’ai vu émerger cette nouvelle affaire, je me suis dit : "Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ces politiques avec l’argent ?" La politique devrait être quelque chose de noble dont le but est d’améliorer le fonctionnement de la société. Au lieu de cela, on voit qu’à toute époque, et quel que soit le parti, l’argent vient gâcher la confiance et le credo du citoyen dans la politique, avec, au bout du chemin, le ras-le-bol populaire.
Pourquoi les questions d’argent sont-elles encore à ce point l’objet de dissimulations dans la vie politique ?
Prenons l’exemple du financement des campagnes électorales. On a, soi-disant, un contrôle des comptes des candidats lors des législatives ou de la présidentielle. Je sais ce que c'est que de faire campagne [Eric Halphen s'est présenté aux élections législatives dans l'Essonne en 2002]. On établit une liste des dépenses – billets de train, locations de salles, téléphone –, puis on explique avec quel argent, preuves comptables à l’appui, on a payé. Enfin, on envoie le tout à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui n'effectue qu'une vérification formelle. Elle regarde si du point de vue comptable, à une dépense correspond bien un paiement précis puis conclut en vérifiant si le total ne dépasse pas le plafond fixé par la loi. Mais personne ne contrôle la réalité de chaque dépense. Prenons un exemple : si vous avez quatre salles à louer, vous pouvez n’en faire apparaître que trois sur vos comptes de campagne en louant la quatrième avec un de l'argent obtenu éventuellement par l'intermédiaire de fausses factures. À la Commission de contrôle, personne ne s’en apercevra.
Comment rendre les contrôles plus efficaces ?
En mettant en place une structure de contrôle pour suivre un ou des candidats à l’occasion de chaque campagne, ce qui permettrait de vérifier l’intégralité du circuit d’une dépense et sa réalité. On saurait qui paye les meetings, le matériel utilisé, les transports… La question du financement des campagnes présidentielles se pose avec beaucoup d’acuité. Avant les lois des années 1990-2000, on autorisait le financement des campagnes électorales par des personnes morales, c’est-à-dire des sociétés. Pour des raisons liées à la corruption, cette possibilité a été supprimée. En France, les partis politiques et les campagnes sont donc financés par quelques personnes privées, avec un plafond de dépenses, et essentiellement par de l’argent public, donc par l’impôt. Là aussi, les montants sont plafonnés de façon à ce que les citoyens ne payent pas trop ce qui revient, surtout, à n’être que des frais de campagne. Faut-il modifier ce cadre ? De deux choses l'une. Soit, on relève les plafonds de dépenses en mettant en place de nouveaux moyens de financement car on estime que la politique coûte de plus en plus cher. Soit on ne veut absolument pas d’augmentation des dépenses, et là, c’est aux partis politiques de faire attention.
Peut-on considérer les micropartis comme un nouveau moyen pour les politiques de contourner les règles ?
Pour moi, c’est un discours à la mode qui se tient un peu partout dans les médias. A titre personnel, je ne vois pas trop à quoi cela correspond. Je prêterais plus d’attention, en revanche, aux instituts de formation qui gravitent autour des partis politiques ou aux clubs de réflexion qui ont la même fonction. Ces associations sont innombrables et elles drainent toutes de l’argent, y compris celui de personnes morales. C’est un gros moyen de récupérer des fonds. Face à cela, les micropartis ne me semblent pas un sujet aussi important. J’attends qu’on me donne une liste… En fait, la question qui se cache derrière tout cela, est celle du recrutement des hommes et des femmes politiques. Dans la conception française, c’est un métier que l’on exerce de 25 à 75 ans. Nous sommes plusieurs à penser que la politique doit être un passage dans une vie, pendant cinq ou dix ans maximum, ou l'on met au service de la collectivité une expérience acquise. Or, en France, nombre de politiques n’ont jamais travaillé. Si vous regardez les CV des derniers eurodéputés élus, plusieurs sont sans profession. Ils ignorent ce qu’est un salaire. Les politiques, a priori, ne créent pas grand chose mais ils réclament toujours plus.
Les politiques seraient, selon vous, une cohorte de profiteurs et d’inutiles ? N’est-ce pas terriblement réducteur et proche du "tous pourris" ?
Non, ce n’est pas du tout ce que je veux dire. Je regrette seulement que des structures de contrôle n’aient pas été mises en place. Et qu’il y ait des nouveaux élus mis à la tête d’exécutifs locaux, comme les villes ou les conseils généraux, sans avoir été formés, par exemple, aux règles de passation des marchés publics. Ils constituent de fait des proies faciles pour certains esprits qui viennent leur expliquer comment il faut "fonctionner" avec eux. Il m’arrive de regretter le temps où les directions départementales de l’équipement ou les préfectures traitaient les marchés publics. Cela ne signifie pas que tous les fonctionnaires sont honnêtes, mais globalement, cela se passait mieux avant les lois de décentralisation. Les nouveaux maires ne connaissent pas les règles de droit, de la comptabilité publique ni, a fortiori, le monde financier. Or, ils peuvent être amenés à gérer des millions. C’est quand même étonnant !
Vous affirmez qu’il faut tout faire pour réhabiliter l’honnêteté en politique. Est-ce que la récente mise en place de la déclaration de patrimoine pour les élus constitue à vos yeux un progrès ?
C'est un tout petit pas. On en revient toujours au problème du contrôle. Si on demande aux gens de faire une déclaration de patrimoine, mais que personne ne vérifie sa réalité, cela ne sert à rien. Aucune règle n’existe vraiment s’il n’y a pas de contrôle de son application. Et aucune règle n’existe réellement sans sanction. Force est de constater qu’il ne se passe pas grand chose sur ces deux points. Par exemple, l’inéligibilité de longue durée pour les politiques condamnés dans le cadre d'infraction liée à la finance, on ne la voit toujours pas venir. Et pourtant, on nous l’a promise plusieurs fois. Depuis des années, nous réclamons aussi des règles strictes sur le non-cumul des mandats. Aussi bien dans le temps que dans les fonctions, pour justement éviter que ce soit toujours les mêmes personnes qui contrôlent l’ensemble. Là aussi, on ne voit rien venir, malgré les promesses.
La justice ira-t-elle au bout de ses investigations dans le dossier Bygmalion ?
Vous connaissez la formule : "J’ai confiance en la justice de mon pays."
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