"Un vrai blocage et aucune volonté de compromis" : le nouveau "shutdown" qui paralyse l'administration fédérale américaine est-il parti pour durer ?

Faute d'accord entre les démocrates et les républicains sur le budget, les Etats-Unis sont entrés mercredi dans une situation complexe, avec la mise à l'arrêt d'une partie de l'administration fédérale, une première depuis 2018.

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, s'exprime devant les journalistes au sujet du "shutdown", le 30 septembre 2025 à Washington. (NATHAN POSNER / ANADOLU / AFP)
Le chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, s'exprime devant les journalistes au sujet du "shutdown", le 30 septembre 2025 à Washington. (NATHAN POSNER / ANADOLU / AFP)

Une grande période d'instabilité et d'incertitude s'est ouverte aux Etats-Unis. Faute d'accord entre les élus démocrates et républicains, le pays est entré, mercredi 1er octobre, dans une situation de "shutdown", entraînant la mise à l'arrêt d'une partie de l'administration fédérale. Plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires vont être mis au chômage partiel et de fortes perturbations sont attendues dans l'attente d'une résolution face à l'impasse budgétaire actuelle au Congrès. Le dernier "shutdown" datait de 2018, lors du premier mandat de Donald Trump à la Maison Blanche. Franceinfo décrypte cette situation.

Qu'est-ce qu'un "shutdown" ?

Le "shutdown" est une paralysie budgétaire de l'Etat fédéral américain. Les Etats-Unis sont entrés dans cette situation complexe après l'échec de négociations entre les républicains et l'opposition démocrate au Congrès. Les républicains, qui contrôlent les deux chambres aux Etats-Unis (le Sénat et la Chambre des représentants), n'ont pas obtenu la majorité de 60 sièges sur 100 au Sénat, le seuil nécessaire pour un texte budgétaire dans cette chambre. Ce "shutdown", très impopulaire aux Etats-Unis, entraîne le gel d'une partie de l'administration fédérale.

Pour le moment, les républicains proposent une extension du budget actuel jusqu'à fin novembre. De l'autre côté, les démocrates veulent obtenir le rétablissement de centaines de milliards de dollars pour les dépenses de santé, supprimées par Donald Trump. Ils souhaitent aussi prolonger l'extension de l'Obamacare, qui permet au plus grand nombre de bénéficier d'une assurance maladie. Ce prolongement à destination des travailleurs qui se situent juste au-dessus du seuil de pauvreté doit prendre fin en janvier, rapporte Le Monde.

Quelles vont être les conséquences ?

Ce "shutdown" va entraîner l'arrêt des activités "non essentielles" de l'Etat fédéral, la fermeture ou le ralentissement de certains services publics (parcs nationaux et musées partiellement ou totalement fermés, réduction des contrôles sur l'alimentation ou l'environnement...) et des perturbations pour de nombreux secteurs, notamment les transports. Les fonctionnaires considérés comme "essentiels" − militaires, forces de sécurité, contrôleurs aériens − doivent continuer à venir travailler, mais sans être payés. Pour les agents "non essentiels", la paralysie entraîne du chômage partiel, sans rémunération, jusqu'à ce qu'un budget soit voté. Quelque 750 000 fonctionnaires devraient se retrouver sans travail, selon une estimation du bureau budgétaire du Congrès (CBO).

"Certains seront payés plus tard, mais d'autres, comme les sous-traitants employés par le gouvernement, ne seront jamais payés pendant cette période", prévient auprès de franceinfo l'historienne Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis, qui explique aussi que ce "shutdown" aura des conséquences économiques.

"Dans une situation normale, un 'shutdown' met un coup à l'économie à court terme avant un effet rebond, ce qui implique des légères pertes à moyen et long terme."

Ludivine Gilli, historienne spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

"Mais la situation actuelle est particulière, puisque l'Etat fédéral a déjà souffert de la politique de Trump" qui a réduit drastiquement le nombre de fonctionnaires et entrepris des coupes budgétaires dans le budget américain. "L'effet économique du 'shutdown' va devoir être analysé à l'aune des neuf premiers mois du mandat" du président américain. La publication de statistiques économiques pourrait être retardée, ce qui augmenterait l'incertitude sur les marchés financiers. Selon la compagnie d'assurance NationWide, citée par l'AFP, chaque semaine de paralysie pourrait réduire la croissance annuelle du PIB américain de 0,2 point de pourcentage.

Comment la situation peut-elle se débloquer ?

En théorie, il suffit d'un accord entre les républicains au pouvoir et l'opposition démocrate pour que ce "shutdown" prenne fin. Cela passera par des compromis, ce qui n'a rien d'évident compte tenu de la polarisation politique croissante des Etats-Unis. "La question budgétaire est aussi une question politique et une manière pour les partis dans la majorité ou dans l'opposition d'essayer de gagner des points et d'obtenir des concessions", analyse Ludivine Gilli. "Chacun va essayer de l'utiliser politiquement", prédit Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine, interrogé sur franceinfo.

Les déclarations des deux camps illustrent ce clivage. Les démocrates ont dénoncé le manque de volonté de négociation des républicains. Ils ont aussi regretté l'augmentation du coût de la vie (énergie, santé, droits de douane), tandis que Donald Trump a estimé que ses opposants "veulent tout fermer". Le président des Etats-Unis a également assuré qu'il comptait profiter de ce gel de certaines administrations pour accentuer le limogeage de milliers de fonctionnaires fédéraux, déjà entamé avec la commission Doge dirigée pendant quelques mois par Elon Musk.

"C'est un dilemme perdant-perdant pour les démocrates, estime Ludivine Gilli. S'ils cèdent, ils entérinent les coupes budgétaires de Donald Trump et pourraient décevoir leur électorat. Dans le cas contraire, ils permettraient d'aboutir à la volonté des républicains de bloquer l'Etat fédéral." L'historienne estime en revanche que le président américain pourrait en profiter "dans l'immédiat", mais que les conséquences à long terme pourraient se retourner contre lui, sur le plan économique et dans de l'opinion publique.

Y a-t-il des précédents ?

Donald Trump n'est pas étranger aux "shutdowns" puisque le dernier en date remonte à son premier mandat, lorsque la paralysie s'était étalée de décembre 2018 à janvier 2019. Elle avait duré plus d'un mois (35 jours), ce qui constitue un record. Alors que la perspective d'un "shutdown" avait été proche en mars – les démocrates avaient finalement voté à contrecœur le texte des républicains sur les importantes coupes budgétaires décidées par l'administration Trump –, il est difficile de savoir si cette paralysie s'étendra dans le temps.

"Nous sommes dans une situation de bras de fer, dont l'aboutissement va dépendre de la volonté de chacun. Cela peut se régler en quelques heures comme durer longtemps", prédit Ludivine Gilli. Pour Jérôme Viala-Gaudefroy, ce "shutdown" pourrait dépasser le précédent de 2018 car "il y a un vrai blocage et aucune volonté de compromis" dans les deux camps.

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