"C'est très effrayant" : aux Etats-Unis, les fausses alertes à la fusillade se multiplient sur les campus universitaires, installant un climat de peur

Plusieurs facultés américaines ont encore été visées à la rentrée par des appels anonymes. Les auteurs sont rarement identifiés et les étudiants traumatisés par les alertes à répétition.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des membres de l'équipe SWAT du département de police de Chicago patrouillent sur le campus Hyde Park de l'université de Chicago, dans l'Illinois, le 30 novembre 2015. Photo d'illustration. (SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / VIA AFP)
Des membres de l'équipe SWAT du département de police de Chicago patrouillent sur le campus Hyde Park de l'université de Chicago, dans l'Illinois, le 30 novembre 2015. Photo d'illustration. (SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / VIA AFP)

Le phénomène ne cesse de se développer. Si en France on connaît les fausses alertes à la bombe, aux États-Unis les autorités s'inquiètent des fausses alertes… à la fusillade, notamment sur les campus universitaires. C'était fin août. Miracle Harrison, 17 ans, venait de faire sa rentrée en première année de sociologie. "J'étais dans ma chambre quand j'ai reçu un mail de l'administration, qui nous demandait de nous mettre immédiatement à l'abri. Dans mon bâtiment, tout le monde s'est mis à crier : 'Restez à l'intérieur, restez à l'intérieur !' À ce moment-là, j'étais au téléphone avec ma mère, qui était à Chicago, à plus de 1 000 kilomètres d'Atlanta. C'était très effrayant."

Les étudiants se passent le mot : il y a un tireur embusqué dans la bibliothèque du campus. Zion Veale, lui aussi en première année, était à la cafétéria. "Il y avait la police dehors, des hélicoptères dans le ciel. Je m'inquiétais, parce que quand il y a un sniper, il peut tirer n'importe où ! J'avais peur qu'il s'approche ou qu'il entre dans le bâtiment. Dans ces moments-là, je peux te dire que tu pries pour t'en sortir vivant."

Il a fallu deux heures aux autorités pour lever l'alerte, renvoyer les voitures de police au commissariat… Et rassurer les étudiants. Il n'y avait en réalité aucun danger, il s'agissait simplement d'un nouvel acte de "swatting", mot dérivé du nom des SWAT, les unités de police spécialisées mobilisées dans ce genre d'incident.

Zion Veale, étudiant en première année à la Clark University. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Zion Veale, étudiant en première année à la Clark University. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

"Ça arrive tellement souvent"

Ce jour-là, une douzaine d'universités sont ciblées à travers les États-Unis. Toutes de la même façon : par l'appel d'un faux étudiant paniqué au 911, les services de secours. Le jeune homme explique qu'il a vu un tireur, que lui se cache sous un bureau. Dans certains appels, on entend même des coups de feu en fond sonore.

Rien n'est vrai, mais les forces de l'ordre n'ont pas le temps de vérifier et déclencher l'intervention est une nécessité. Trop de fusillades, réelles cette fois, ont lieu sur les campus américains. Une trentaine déjà depuis le début de l'année 2025. "Ça arrive tellement souvent, soupire Miracle. La réalité, c'est qu'on se demande tout le temps quelle sera la prochaine université, le prochain campus. Nous, on a tous le numéro de téléphone personnel du chef de la police. On peut l'appeler n'importe quand, même à 4 heures du matin. Mais moi, ça me brise le cœur de vivre dans une époque comme celle-ci, où on doit prendre ce genre de précautions. Ça ne devrait même pas exister."

Miracle Harrisson, étudiante, devant la bibliothèque où une fusillade est censée avoir eu lieu le 28 août 2025. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Miracle Harrisson, étudiante, devant la bibliothèque où une fusillade est censée avoir eu lieu le 28 août 2025. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

"Les auteurs de ces appels sont des terroristes"

À l'ère des fusillades de masse, ces appels créent un climat de peur, sapent les ressources des forces de l'ordre et peuvent conduire à des erreurs mortelles. En 2017, un policier de Wichita, au Kansas, a abattu un homme alors qu'il répondait à un faux appel d'urgence.

Les actes de swatting individuel existent. Mais cibler une université permet de créer la panique chez une très grande quantité de personnes de façon simultanée. En septembre, à Atlanta, deux hôpitaux ont aussi été visés. Contrairement aux canulars téléphoniques de la génération "boomers", ces appels n'ont rien d'innocent.

"Les auteurs de ces appels sont des terroristes", n'hésite pas à dire Charles Rambo, ancien adjoint du shérif du comté de Fulton. "Leur objectif, c'est de répandre la peur mais c'est aussi de tester le gouvernement. De tester ses capacités, sa résilience. Quel est son temps de réponse ? Son degré de mobilisation ? Comment utiliser ces informations pour attaquer un autre endroit alors que toutes les ressources sont mobilisées sur un point précis ? Nous devons former nos agents pour qu'ils deviennent aussi compétents que les pirates informatiques."

Charles Rambo, ex-adjoint au shérif du comté de Fulton. Il propose une meilleure formation des agents des services de secours. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Charles Rambo, ex-adjoint au shérif du comté de Fulton. Il propose une meilleure formation des agents des services de secours. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

"Pour moi, l'IA est derrière tout ça"

Identifier les faux appelants peut être difficile : l'utilisation de voix artificielle, l'usurpation d'identité ou le masquage d'une adresse IP sont devenus un jeu d'enfant. "Pour moi, l'IA est derrière tout ça, ajoute Zion, élu président des étudiants de première année à l'Université Clark Atlanta pour l'année 2025-2026. Elle est devenue tellement puissante ! Tu peux faire n'importe quoi aujourd'hui avec un téléphone. C'est facile pour un hackeur de passer un faux appel."

Même le FBI, qui a constaté une augmentation des incidents de swatting et qui prend le phénomène très au sérieux, a parfois du mal à remonter la piste de ces hackers qui hantent le dark web et vendent leurs compétences : un coup de fil pour 50 dollars. Le magazine Wired est entré en contact avec l'un de ces pirates criminels, qui assure avoir gagné 100 000 dollars depuis le début de la vague de swatting avec son groupe, Purgatory.

Elizabeth Jaffe, enseignante à la John Marshall Law School. Elle a commencé a travailler sur l'aspect juridique du swatting dès 2016 (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Elizabeth Jaffe, enseignante à la John Marshall Law School. Elle a commencé a travailler sur l'aspect juridique du swatting dès 2016 (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Elizabeth Jaffe, chercheuse et enseignante à la John Marshall Law School, s'est intéressée aux aspects juridiques du swatting dès 2016. Pour elle, la solution vient aussi du droit. "Il faut que les États adoptent des lois contre le swatting, qu'ils poursuivent vraiment les auteurs. Là, ça deviendra dissuasif. Le dernier État à l'avoir fait, c'est la Floride, cette année : un faux signalement sans conséquences graves est devenu un délit passible d'un an de prison et d'une amende jusqu'à 1 000 dollars. Si le faux appel provoque une intervention et entraîne une blessure grave, l'infraction devient un crime punissable de cinq ans de prison. Mais malheureusement, tant qu'il n'y aura pas de sanctions, le swatting va continuer. Donc avant d'en venir à bout, cela risque de prendre du temps."

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