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Attentats de Paris: que risquent Facebook, Twitter et Google devant un tribunal?

Reynaldo Gonzalez, le pÚre de l'une des victimes des attentats de Paris, a déposé une plainte aux Etats-Unis contre Facebook, Twitter et Google. Il les accuse de soutenir la propagande djihadiste. L'avocat français Antoine Chéron, spécialiste du droit de l'Internet, revient sur la portée juridique d'une telle action. Entretien.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
 
La plainte qui accuse les entreprises du Net de soutenir la propagande djihadiste déposée par le pÚre de Nohemi Gonzalez, seule victime Américaine des attentats du 13 novembre, a-t-elle des chances d'aboutir aux Etats-Unis? 
Cette plainte remet sur le devant de la scĂšne la question Ă©pineuse du rĂŽle jouĂ© par les grands acteurs de l’Internet comme Facebook, Twitter et Youtube dans la propagation de l’idĂ©ologie djihadiste. Cependant, elle est en contradiction avec la libertĂ© d’expression «à l’amĂ©ricaine». Aux Etats-Unis, la libertĂ© d’expression a une portĂ©e trĂšs forte. Elle est consacrĂ©e par le premier amendement de la Constitution amĂ©ricaine et a un pĂ©rimĂštre bien plus large qu’en France et en Europe d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. A titre d’illustration, suite aux attentats de Charlie Hebdo, un journaliste du Washington Post affirmait que «si les Français veulent rendre hommage Ă  ceux tuĂ©s Ă  Charlie Hebdo, ils devraient commencer par abroger les lois qui criminalisent l’insulte, la diffamation, les incitations Ă  la haine, la discrimination ou la violence sur la base d’une religion, race, ethnie, nationalitĂ©, d'un handicap, ou d'une orientation sexuelle». 

En s’attaquant aux rĂ©seaux sociaux, ce pĂšre s’attaque aussi Ă  la libertĂ© d’expression, fut-elle celle des djihadistes. C’est pourquoi son action apparaĂźt plus symbolique que sĂ©rieusement fondĂ©e. MalgrĂ© tout, si elle couronnĂ©e de succĂšs, cela crĂ©era un prĂ©cĂ©dent important aux Etats-Unis, pays de Common Law, oĂč la jurisprudence a force de loi. Cela entraĂźnerait vraisemblablement des actions collectives de la part des ayants droit des victimes d’attentats terroristes, comme celles d’Orlando.

En France, quel serait le fondement lĂ©gal d’une telle action?
Il existe depuis la loi du 13 novembre 2014 un fondement lĂ©gal rĂ©primant spĂ©cifiquement «le fait de provoquer directement Ă  des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes» (article 421-2-5 du Code pĂ©nal). Mais les rĂ©seaux sociaux et Youtube ne diffusent pas «directement» de tels contenus, ils ne se rendent donc jamais coupables d’une telle infraction. Ils ne font que l’hĂ©berger et n’exercent pas un contrĂŽle a priori sur les publications. Ils ont donc une responsabilitĂ© assez limitĂ©e en vertu de l’article 6.I.2 de la loi pour la confiance dans l’économie numĂ©rique (LCEN est le cadre juridique qui prĂ©vaut en France en matiĂšre de numĂ©rique, NDLR) disposant que les hĂ©bergeurs «ne peuvent pas voir leur responsabilitĂ© civile engagĂ©e du fait des activitĂ©s ou des informations stockĂ©es Ă  la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractĂšre illicite ou de faits et circonstances faisant apparaĂźtre ce caractĂšre ou si, dĂšs le moment oĂč elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces donnĂ©es ou en rendre l'accĂšs impossible.»

C’est une transposition littĂ©rale de la directive europĂ©enne 2000/31/CE. Le raisonnement est donc le mĂȘme au niveau des juridictions europĂ©ennes. Ainsi, pour engager leur responsabilitĂ©, il faut prouver que les entreprises ont eu connaissance par elles-mĂȘmes ou suite aux plaintes d’internautes du contenu illicite diffusĂ© sur leur plateforme et qu’elles n’ont pas rĂ©agi promptement pour supprimer ce contenu. En conclusion, on peut lĂ©galement poursuivre Twitter, Facebook et Google mais seulement Ă  la condition d’apporter la preuve de leur inaction, de leur nĂ©gligence face Ă  la publication d’un contenu illicite.

C'est ce que Reynaldo Gonzalez tente de faire. Il accuse les réseaux sociaux d'avoir apporté «en connaissance de cause (...) un soutien matériel clé dans l'ascension de (Daech) et lui (avoir) permis de mener de nombreux attentats y compris celui du 13 novembre»...
La plainte interroge le rĂŽle actif ou passif des rĂ©seaux dans leur propre instrumentalisation. Le pĂšre de la victime a mis en avant qu’en dĂ©cembre 2014, l’Etat islamique avait 70.000 comptes Twitter dont au moins «79 officiels» ce qui gĂ©nĂ©rait «au moins 90 tweets par minute». A cela, Twitter rĂ©plique que depuis mi-2015, 125.000 comptes faisant l’apologie du terrorisme ont Ă©tĂ© supprimĂ©s. Se cantonnant au rĂŽle de simples hĂ©bergeurs passifs, les grands acteurs de l’Internet font tout de mĂȘme preuve d’hypocrisie car, par des procĂ©dĂ©s algorithmiques automatiques, les rĂ©seaux vont jusqu’à suggĂ©rer des contenus illicites aux personnes susceptibles de se radicaliser.

De la mĂȘme maniĂšre, le pĂšre de la victime a joint Ă  sa plainte une capture d’écran montrant que Google a placĂ© une publicitĂ© sur une vidĂ©o Youtube d’un sympathisant de l’Etat islamique. On s’approche de plus en plus d’un rĂŽle Ă©ditorial, mĂȘme si celui-ci est le fruit d’un logiciel. En mettant en place ce type d’algorithme qui ne dĂ©tecte pas a priori les contenus illicites et les traite au mĂȘme niveau que les autres, Google, Facebook et Twitter font de la rĂ©sistance Ă  une autocensure qui serait de mise dans le contexte actuel. Il apparaĂźt en effet nĂ©cessaire de discriminer les publications en violation du principe de la neutralitĂ© du net pour contrer l’utilisation qu’en font les terroristes Ă  des fins de propagande, d’endoctrinement et d’enrĂŽlement Ă  travers le monde. 

Quels sont les enjeux juridiques liĂ©s Ă  la mise Ă  disposition prochainement d'un logiciel capable de dĂ©tecter et de supprimer les contenus violents (il fonctionnera sur le mĂȘme modĂšle que le logiciel sur la pornographie infantile)? Pourra-t-on ainsi lĂ©galement reprocher aux acteurs du Net d’ĂȘtre nĂ©gligents si en dĂ©pit de tout cet attirail, l’on retrouvait encore ces contenus sur leurs plateformes? 
L’hĂ©bergeur ne peut se voir imposer une obligation gĂ©nĂ©rale de surveillance et de filtrage des contenus illicites en vertu de la LCEN, il n’est donc pas tenu Ă  la mise en place d’un tel logiciel. Mais bien entendu, les acteurs de l’Internet sont prĂȘts Ă  l’intĂ©grer Ă  leur systĂšme sur la base du volontariat, cette question ne posera, semble-t-il, aucun problĂšme. La logique reste toujours la mĂȘme: si un logiciel permet de dĂ©tecter a posteriori de leur publication les contenus violents, on imagine qu’un systĂšme de signalisation automatique aux hĂ©bergeurs (Facebook, Twitter, Youtube
) sera installĂ© en parallĂšle. Il sera alors d’autant plus facile de reprocher Ă  ces hĂ©bergeurs de ne pas avoir retirĂ© promptement ce contenu notifiĂ© comme Ă©tant violent.

Par consĂ©quent, la technologie des logiciels de dĂ©tection de contenu ne modifie pas vraiment la responsabilitĂ© des acteurs de l’Internet dĂšs lors qu’ils contrĂŽlent a posteriori les publications des internautes. Mais, dans les faits, les logiciels vont faire augmenter de maniĂšre significative le nombre de notification de contenus manifestement illicites aux hĂ©bergeurs. Ces derniers devront donc adapter leur capacitĂ© Ă  accomplir les opĂ©rations nĂ©cessaires en vue de rendre impossible l’accĂšs et la remise en ligne de ce contenu. Ils devront, par exemple, augmenter les effectifs des modĂ©rateurs. Il faudra Ă©galement qu'une vĂ©ritable collaboration soit Ă©tablie entre les responsables du logiciel et les principaux sites instrumentalisĂ©s pour inciter Ă  la violence. 

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