: Récit "J'ai fait de la merde en allant voir des trucs sur Daech" : la radicalisation d'un adolescent de 14 ans, interpellé pour "association de malfaiteurs terroristes"
"Yanis" fait partie des quinze adolescents mis en examen en 2023 par le Parquet national antiterroriste. Passionné de chimie, il a été interpellé après avoir prêté allégeance au groupe Etat Islamique. Il a été placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d'un dispositif spécialisé pour les mineurs radicalisés.
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Le sac vissé sur les épaules, Yanis* fixe la route, guettant l'arrivée du car qui doit l'emmener au lycée. Ce mardi 4 avril 2023 débute comme une journée ordinaire. Il est 7 heures, l'adolescent pense arriver à l'heure pour le début des cours. Il ne le sera pas. Il ne remettra même plus jamais les pieds dans son établissement scolaire.
Dix minutes plus tard, ce n'est pas le car qui s'arrête, mais un véhicule duquel jaillissent les agents du groupe d'intervention de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Yanis est plaqué au sol, menotté et emmené au commissariat. Là-bas, on lui annonce qu'il est placé en garde à vue, notamment pour "association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes". Il est transféré au siège de la DGSI le lendemain.
Un adolescent passionné par les réactions chimiques
Pour comprendre comment Yanis est devenu l'un des quinze mineurs mis en examen en 2023 par le Parquet national antiterroriste (Pnat), il faut d'abord plonger dans sa passion pour la chimie, qui l'anime depuis l'enfance. Feux d'artifice, pétards, explosifs... Yanis s'émerveille devant les mélanges qui fument, les poudres qui réagissent.
Sa mère ne s'inquiète pas. Au contraire. Elle l'accompagne dans ses expérimentations, l'aide à concocter ses mélanges dans la cuisine familiale. Pierre Lumbroso, l'avocat de Yanis, souligne la "fusion" qui règne entre eux à cette époque et la satisfaction que la maman ressent en voyant son fils consacrer son temps libre à "créer des pétards qu'il fait sauter dans le jardin de son grand-père", plutôt qu'à son ordinateur.
“Sa mère ne se rendait pas du tout compte du danger.”
Pierre Lumbroso, avocat de Yanisà franceinfo
Au fil du temps, l'ambition et les compétences de Yanis s'étoffent. Soufre, salpêtre, allumeurs de feu d'artifice, télécommande... Entre octobre et mars 2022, pas moins de quatorze commandes sont passées sur Amazon pour 200 euros par mois en moyenne. Les horizons chimiques du garçon s'élargissent sous le regard bienveillant de ses proches.
Des conseils contre un serment d'allégeance
Mais comment le jeune chimiste en herbe s'est-il retrouvé dans le viseur du Pnat ? Une partie de la réponse se trouve dans son ordinateur, protégé par un mot de passe sinistrement évocateur : 11 septembre 2001. Les enquêteurs y retrouveront dix magazines en version PDF d'une revue de propagande jihadiste, une vingtaine de vidéos mettant en scène des exécutions, des tutoriels de fabrication d'explosifs en arabe et une centaine d'enregistrements audio de chants religieux islamiques.
Pourtant, ce ne sont pas ces éléments qui vont déclencher l'enquête, mais une prise de contact suspecte. En mars 2023, Yanis entre en relation avec un membre actif du groupe terroriste Etat islamique (EI) sur Telegram. Il espère obtenir des conseils pour fabriquer des explosifs. Le 17 mars, à la demande de son interlocuteur, Yanis prête allégeance au "calife" du mouvement jihadiste.
"A ce moment-là, dans la tête de Yanis, c'est une monnaie d'échange", avance son avocat. Le garçon met quatre jours avant d'envoyer le fichier vidéo, dans lequel il lit le serment envoyé par son recruteur dans un arabe hésitant. "Il sent intimement que ce qu'il fait est une énorme bêtise, mais il est tellement attiré par son obsession de progresser dans les engins explosifs qu'il y va quand même", analyse Pierre Lumbroso.
Un embrigadement religieux difficile à évaluer
Yanis laisse cependant entrevoir une curiosité morbide. Lorsqu'on lui demande s'il a "un plan", il répond par la négative, mais évoque son envie de "s'entraîner avant de faire sa hijra". Un mot arabe qui peut se traduire par "exil" et qui correspond à un départ pour vivre "en terre d'islam". Son interlocuteur lui propose son aide, mais se rétracte en apprenant que Yanis est mineur, lui disant qu'il doit attendre d'avoir 18 ans. "S'il le faut, je viendrai à pied", rétorque l'adolescent.
Pour les experts, évaluer l'embrigadement religieux de Yanis est complexe. Elevé entre une mère protestante et un père musulman, séparés depuis 2019, il se rapproche de ce dernier en 2022 et adopte sa pratique religieuse. "Le papa n'est pas dans une mosquée avec des visées salafistes ou avec des prédicateurs extrémistes", assure Pierre Lumbroso.
Yanis se rend à la mosquée le vendredi, et se définit comme musulman sunnite pratiquant à partir de 2022. D'après lui, son père en est content, et même fier. La mère de l'adolescent ne voit pas d'un mauvais œil le choix de Yanis. Une de ses sœurs affirmera aux enquêteurs que son frère respectait à la lettre la religion, et qu'il lui a demandé un jour si elle aurait pu "mourir pour Daech".
"Mon fils, terroriste ? C'est impossible"
C'est dans ce contexte que la conversation avec le recruteur prend racine. Elle dure à peine trois semaines, à l'issue desquelles Yanis est interpellé par la DGSI. L'enquête souligne qu'il détient à ce moment-là de quoi confectionner un dispositif de déclenchement à distance. En garde à vue, l'adolescent reconnaît les faits, mais exprime ses regrets : "J'ai fait de la merde en allant voir des trucs sur Daech. C'était par curiosité."
Pendant ses auditions, il multiplie les contradictions. Tantôt, il dénonce les actes du groupe EI et assure qu'en les défendant, il ne serait "pas un bon musulman". Tantôt, il défend l'application de la charia, la loi islamique, et critique la laïcité dans son lycée. Interrogé sur les vidéos de décapitation qu'il a visionnées, il les qualifie de "dingueries". "Pour lui, c'est comme une bobine qu'on déroule. Il avance, sans vraiment comprendre ce qu'on attend de lui à la fin", analyse son avocat.
Auditionnés, les proches de Yanis peinent à imaginer son implication dans une affaire de terrorisme. Ses grands-parents le décrivent comme un jeune homme sans haine envers la société et le qualifient de "garçon extrêmement gentil". Sa mère, abasourdie, oscille entre colère et déni : "Entre un pétard et une bombe, il y a un monde. Je veux bien croire qu'il se soit rapproché de l'islam, mais l'Etat islamique ? Non. Yanis, c'est tout ou rien, mais là, c'est impossible." Le père de l'adolescent est tout aussi catégorique : "Mon fils, terroriste ? C'est impossible."
Seule sa sœur exprime d'abord des doutes, confiant penser qu'il aurait pu aller jusqu'à "mourir pour Daech". Pourtant, elle finit par se rétracter : "Finalement, je ne crois pas que Yanis va se filmer pour dire qu'il va tuer des gens au nom [du groupe] Etat islamique. Il déteste qu'on le prenne en photo !"
Eloigné de ses proches, sans internet
L'adolescent est déféré devant un juge d'instruction. Avant sa présentation aux magistrats, une équipe de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) rédige un "recueil de renseignements socio-éducatifs" pour identifier ses vulnérabilités et son environnement.
Dans ce document, Yanis est décrit comme mature, capable de réfléchir à sa situation et de comprendre les raisons de son interpellation. L'équipe de la PJJ propose son placement sous contrôle judiciaire, dans un dispositif spécialisé pour les mineurs radicalisés, le Dasi, pour une durée de six mois. Ce suivi éducatif et clinique renforcé inclut un éloignement de ses proches, dans un appartement individuel, avec un accompagnement permanent par des éducateurs. Le 6 avril 2023, Yanis est mis en examen et intègre dans la foulée le Dasi.
"C'était génial pour tout ce qui n'était pas scolaire", résume son avocat, qui mentionne notamment les sorties au cinéma, au théâtre, ou les échanges avec des psychologues, imams modérés et sociologues. Toutefois, isolé de ses proches et d'autres jeunes, sans internet ni sorties quotidiennes, l'ennui s'installait parfois. Surtout, d'un point de vue scolaire, la frustration s'est fait sentir : "Un prof, trois heures par semaine, ce n'était pas suffisant", regrette Pierre Lumbroso. "A chaque fois que je voyais Yanis à cette période, il me disait qu'il était très embêté parce qu'il était en train de rater ses études."
Un avenir judiciaire incertain
Depuis septembre, Yanis vit une transition délicate. Après un passage dans un centre éducatif fermé, il a réintégré son domicile familial et un lycée. Sa mère évoque une dépression passagère. Aujourd'hui, l'adolescent exprime des remords envers sa famille et parvient à parler de ce qui s'est passé. "L'école lui fait du bien, mais il a peur du jugement des autres", note son avocat.
Quant à son avenir judiciaire, le flou demeure. Cour d'assises des mineurs, tribunal pour enfants ou encore tribunal statuant en matière criminelle... La juridiction devant laquelle il devra répondre de ses actes n'a pas encore été désignée. "Dans sa tête, ce n'est pas à l'ordre du jour", confie son avocat, qui préfère attendre davantage de clarté sur les modalités et la date du procès avant d'en parler au jeune homme.
"Il vit au jour le jour, sans connecter ses actions aux conséquences qu'elles pourraient avoir."
Pierre Lumbroso, avocat de Yanisà franceinfo
Yanis apparaît comme un adolescent perdu, suspendu entre plusieurs réalités. Pierre Lumbroso décrit un jeune introverti, presque effacé, avec une naïveté qui confine à l'enfance. Un premier expert a conclu à l'abolition de son discernement, évoquant des traits schizophréniques. "Ces traits pourraient évoluer vers une schizophrénie à l'âge adulte, mais ne signifient pas qu'il en est atteint", détaille son avocat. Or, l'abolition du discernement au moment des faits rend impossible toute sanction pénale.
Une contre-expertise, réalisée à la demande du juge à l'été 2024, a conclu cette fois à une altération du discernement. Lors de cet entretien, Yanis a qualifié ses actes de "bêtise de jeunesse". Il reconnaît avoir joué avec le feu. Le second expert écarte l'abolition du discernement mais le considère comme altéré, pointant "un trouble de la personnalité, notamment caractérisé par sa difficulté à rendre compte de ses affects et émotions". "Cela veut dire qu'il sera bien jugé et condamné mais que la peine pourrait être réduite", explique son avocat.
Lorsque l'expert a demandé à Yanis si, à son avis, il relevait d'un internement psychiatrique ou de la justice, l'adolescent a répondu qu'il relevait "d'une punition". Cela ne l'empêche pas de se projeter : il veut devenir mécanicien aéronautique.
*Le prénom a été modifié.
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