Luxe, secret et montagnes de billets : l'exil doré du dictateur syrien déchu Bachar al-Assad à Moscou, six mois après la chute du régime
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Le "boucher de Damas" a dû fuir son palais, son pouvoir et son pays le 8 décembre. Voici à quoi ressemble son nouveau quotidien dans un pays (encore) ami.
Les jours de ciel clair, quand l'horizon est dégagé, la vue est imprenable sur Moscou. Les eaux de la Moskova serpentent au pied de luxueux appartements. En s'approchant des immenses baies vitrées, Bachar al-Assad peut aussi deviner, au loin, les bâtiments en briques de la place Rouge, et peut-être même le Kremlin. C'est ici, dans l'une des grandes tours futuristes du complexe Ville des Capitales, que le dictateur syrien semble avoir posé ses valises le 8 décembre, après avoir été chassé du pouvoir par les rebelles islamistes du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Interrogé par franceinfo sur cette possibilité, l'un des gérants de ce complexe immobilier a botté en touche : "Je ne suis pas en mesure de dévoiler ce type d'informations."
Dans ce quartier d'affaires, situé dans l'ouest de la capitale russe, la famille Assad a pour voisins des multinationales, des hôtels, des oligarques ou encore des influenceurs célèbres. Sur les photos des intérieurs que franceinfo a pu consulter, on peut voir des équipements dernier cri et un mobilier haut de gamme. "Les loyers y sont absolument inabordables, ce ne sont que les gens de la haute société qui y vivent. Malgré leur fuite, les Assad doivent encore avoir quelques moyens", raille auprès de franceinfo une journaliste russe, sous couvert d'anonymat. Actuellement, dans l'un de ces gratte-ciel, un appartement de trois pièces de 119 mètres carrés est à vendre à 1,9 million de dollars (1,7 million d'euros).
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"Bachar al-Assad est un résident sacrément discret, euphémise la journaliste russe. Très peu d'informations filtrent sur sa vie d'exilé. On ne sait rien. Sans parler de le voir au cinéma ou dans un centre commercial, personne ne semble l'avoir croisé. D'ailleurs, même son lieu d'habitation exact n'est pas certain à 100%. La probablité, c'est en effet le quartier Ville des Capitales, puisqu'ils y ont des appartements. Mais d'autres sources pensent plutôt au quartier de Roublevka." Cette banlieue ouest de Moscou est du même standing, avec, à perte de vue, d'immenses demeures de millionnaires. Au point d'avoir hérité d'un surnom : "le Beverly Hills russe".
Des avions remplis de billets entre Damas et Moscou
Malgré un emménagement contraint et forcé à 3 400 kilomètres de Damas, le clan Assad a de quoi voir venir. "Ça fait des années qu'ils transféraient des actifs en Russie. Ils y ont acheté des biens et monté des sociétés", confirme Eyad Hamid, chercheur au Programme de développement juridique syrien, un organisme basé à Londres. Le Financial Times raconte qu'il a fallu un pont aérien d'un an et demi, entre mars 2018 et septembre 2019, pour convoyer 250 millions de dollars (près de 220 millions d'euros) en petites coupures, Deux tonnes de billets de 100 et 500 dollars ont ainsi atterri à Moscou.
Un rapport du département d'Etat américain évaluait en 2022 la fortune des Assad à au moins 2 milliards de dollars (1,75 milliard d'euros). Des fonds acquis à partir "d'activités économiques illicites, telles que la contrebande, le commerce d'armes, le trafic de drogue, la protection et l'extorsion", écrivent les auteurs. Largement de quoi subvenir aux besoins des trois enfants, Hafez, 24 ans, Zein, 21 ans et Karim, 20 ans. Suffisant aussi pour couvrir les frais médicaux engendrés par la leucémie dont souffrirait la mère de famille, Asma.
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En six mois, pourtant, pas la moindre trace du dictateur ou de sa femme. Zéro apparition publique, pas la moindre photo. Sa dernière prise de parole officielle remonte au 16 décembre. Huit jours après sa chute, le président déchu voulait rétablir sa vérité. "Mon départ de Syrie n'était pas planifié et n'a pas non plus eu lieu durant les dernières heures de la bataille, contrairement à certaines allégations", assurait-il alors. "Moscou a exigé (...) une évacuation immédiate vers la Russie le dimanche 8 décembre au soir".
Mais comment expliquer ce soudain silence, venant de la part d'un homme jusque-là habitué à se mettre en scène pendant ses vingt-quatre années de règne meurtrier ? "Le Kremlin lui a sûrement donné l'ordre de se faire petit, imagine Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, qui avait rencontré Bachar al-Assad en 2016. ll est à la fois protégé et surveillé par les services russes. Ses déplacements sont très certainement limités". Peut-être aussi parce que le quartier Ville des Capitales est régulièrement visé par les drones ukrainiens.
C'est donc assigné à résidence que le "boucher de Damas" a assisté aux premiers pas de président d'Ahmed al-Charaa, au saccage de son palais présidentiel à Damas, à la destruction du tombeau de son père, l'ancien président Hafez al-Assad, dans sa ville natale de Qardaha. C'est tout aussi impuissant qu'il s'est informé de la série de massacres qui ont ciblé les Alaouites, la minorité religieuse dont il est issu. Jusqu'à imaginer reprendre le pouvoir un jour ? Le chercheur Eyad Hamid le pense : "C'est un mégalomane arrogant qui s'est convaincu qu'il était la Syrie. Je suis sûr qu'il regarde le pays avancer et se reconstruire sans lui."
Ce qu'il fait le reste de ses journées ? "Je n'en ai aucune idée et je ne cherche pas à le savoir", coupe Ribal al-Assad. Ce cousin de l'ancien dictateur vit à Londres et ne veut pas être mêlé au régime sanglant qui a tué, emprisonné ou torturé des centaines de milliers de Syriens. "J'ai fui la Syrie à l'âge de 9 ans, en 1984, justement à cause des divergences entre mon père et celui de Bachar al-Assad, confie-t-il, ému, à franceinfo. "Après tout ce qu'ils ont provoqué, qu'est-ce qu'ils peuvent faire ? Qu'est-ce qu'ils peuvent dire ? 'On est désolés ?' C'est trop tard."
Aucune rencontre officielle entre Poutine et Assad
Tenter d'approcher le clan Assad à Moscou, c'est se heurter à un mur. Hafez, le fils aîné de Bachar al-Assad, n'a jamais donné suite à nos multiples sollicitations. Mais ses réseaux sociaux donnent un petit aperçu de sa vie en terre russe. Sur une vidéo, que franceinfo a pu authentifier, on voit le jeune homme se promener sur le pont Bolchoï, tout près du Kremlin. C'était le 12 février.
Quatre jours plus tard, le 16, il a posté une photo de lui, devant l'université d'Etat Lomonossov. C'est dans ce prestigieux haut-lieu du savoir russe qu'il a passé sa soutenance de thèse de mathématiques peu avant la chute de son père. Et à part cela ? Rien...
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Le Kremlin n'est pas non plus très bavard sur cet hôte peut-être encombrant. En décembre, Vladimir Poutine avait promis qu'il allait "certainement" parler à Bachar al-Assad, qu'il en avait "l'intention" en tout cas. Six mois après, le président russe n'a pas reçu, du moins officiellement, ce demandeur d'asile un peu spécial. "Il faut comprendre que Poutine n'avait pas forcément envie de l'accueillir, rappelle Fabrice Balanche. Il ne le garde pas par charité, Poutine déteste les losers. Mais mieux valait le voir à Moscou plutôt que pendu à un crochet à Damas. C'est une sorte d'assurance-vie qui est aussi adressée aux autres dirigeants proches de Moscou : 'Si vous devez fuir, la Russie sera là.'"
"Nous le traquerons jusqu'au bout"
Pour autant, il est possible "qu'Assad ne se sente pas en sécurité à Moscou." "Nous le traquerons jusqu'au bout, nous ne le lâcherons jamais, avertit un militant syrien contacté par franceinfo et dont plusieurs membres de la famille ont été tués par l'ancien régime de Damas. Justice sera un jour rendue aux victimes." Dans les couloirs du SNHR, une ONG syrienne de défense des droits de l'homme, on garde aussi l'espoir de le voir un jour dans un tribunal. "Cet espoir ne repose pas uniquement sur un sentiment personnel, mais sur une conviction profonde fondée sur les principes du droit international, des preuves abondamment documentées, et l'exigence inlassable de milliers de victimes et de survivants en quête de justice", assure Fadel Abdulghany, son fondateur.
Depuis décembre, les nouvelles autorités syriennes ont déjà exigé à plusieurs reprises l'extradition de Bachar al-Assad, ce qui ouvrirait la voie à son procès. Au mois de mars, la demande aurait même été faite directement par le président Ahmed al-Charaa à Vladimir Poutine. Pour le moment, le Kremlin n'a pas donné sa réponse. C'est donc encore en homme libre, et à Moscou, que l'ancien tyran devrait célébrer ses 60 ans, le 11 septembre.
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