"Cela rend beaucoup de choses totalement incompréhensibles" : en Russie, la censure n'épargne pas les films français

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des spectateurs passent devant des affiches de films dans un cinéma de Moscou, en mars 2022. (NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)
Des spectateurs passent devant des affiches de films dans un cinéma de Moscou, en mars 2022. (NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)

Alors que les œuvres cinématographiques françaises continuent de s'exporter en Russie, elles sont parfois victimes de la censure. Traductions volontairement erronées, scènes coupées, les auteurs ne sont pas toujours au courant et les distributeurs y voient leur intérêt.

C'est un secteur qui échappe aux sanctions et à la diplomatie. Du moins, en apparence. Les films français continuent de s'exporter en Russie : l'an dernier, le pays était même le deuxième marché à l'export, derrière l'Allemagne, pour le cinéma français. Mais une fois arrivés sur le territoire russe, les œuvres françaises, et étrangères d'une façon générale, subissent parfois un étonnant traitement. La censure passe par là et ce que voient les spectateurs locaux n'est pas forcément conforme à l'original. Tout cela, sans que les auteurs ne le sachent forcément, mais au plus grand bénéfice des producteurs.

Ces derniers adorent le cinéma français, et ça ne date pas d'hier : Jean-Paul Belmondo, Alain Delon ou Annie Girardot sont souvent bien connus des Russes les plus âgés. Et l'on peut actuellement voir à Moscou des films tels que "Partir Un jour", film musical d'Amélie Bonnin présenté à Cannes, en version originale. Mais lorsqu'arrive la scène où le personnage interprété par Juliette Armanet déclare à propos de sa grossesse qu'elle "ne veut pas garder l'enfant" évoquant un avortement, le spectateur peut lire en sous-titre "Je ne veux pas de cet enfant parce que j'ai peur". 

Autre extrait : "
Je t'ai dit depuis le début que je ne voulais pas d'enfant et tu étais d'accord avec ça". Le cinéphile lit alors : "J'ai dit dès le début que je ne sais pas quand je veux des enfants". Ce qui n'est absolument pas la même chose.

Des dizaines d'heures de films supprimées

En réalité, tout ce qui concerne l'avortement ou le fait de ne pas vouloir d'enfant est censuré tout au long du film. Ces thèmes sont interdits ou indésirables dans l'espace public russe. Une enquête du média russe en exil Mediazona a récemment montré que plus de 36 heures avaient disparu sur les séries étrangères diffusées par une plateforme très populaire en Russie.

"Il y a un très grand nombre de cas de ce genre. Prenons l'exemple de Game of Thrones, l'une des intrigues principales est l'amour entre Cersei et Jaime Lannister. Tout ce qui touche à l'inceste est censuré dans les versions russes et cela change radicalement le sens de la série et rend beaucoup de choses totalement incompréhensibles", explique le journaliste Mika Golubovsky.

Dans certains cas, des scènes entières sont même coupées. Des épisodes disparaissent même totalement si un personnage ouvertement homosexuel est par exemple trop présent. Les évocations de la politique russe sont également censurées.

Des films vendus plus cher

Le sens des œuvres en est parfois modifié et les auteurs n'ont pas de droit de regard, rélève, pour sa part, Rosalie Brun, la directrice générale de la société des réalisateurs français. "Sur ces pratiques-là en Russie, légalement, je pense qu'ils sont malheureusement dans leur droit. On n'a pas la possibilité de faire respecter le droit moral des auteurs français à ce niveau-là", déplore-t-elle.

"Des réalisateurs peuvent ne même pas être au courant que leur film est diffusé en Russie et en tout cas ne peuvent pas l'empêcher."

Rosalie Brun

à franceinfo

Car ce sont en fait les distributeurs qui ont la main dans ce dossier. Tous ceux que nous avons contactés ne nous ont pas répondu, mais, sous couvert d'anonymat, plusieurs sources nous ont expliqué qu'exporter des films vers la Russie est encore plus rentable depuis le début de la guerre. Les acheteurs russes ont multiplié leurs tarifs par deux, parfois trois ou quatre. Il faut dire que l'Europe a de son côté exclu les biens culturels des sanctions pour maintenir des liens avec la population russe et certains réalisateurs préfèrent que leurs œuvres soient vues en Russie, même censurées, plutôt que pas du tout.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.