Rithy Panh, passeur de mémoire
Témoin et survivant du génocide perpétré par le régime de Pol Pot, qui a exterminé deux millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979, Rithy Panh consacre l'essentiel de son œuvre au travail de mémoire.
Le cinéaste cambodgien s'est fait connaître du grand public avec S21, la machine de mort khmère rouge. Dans ce long métrage, récompensé à Cannes en 2003, puis par le prix Albert Londres en 2004, l'auteur confronte trois des sept rescapés de la base S21 (Sécurité 21) à leurs anciens bourreaux.
Témoignages croisés
Le documentaire-choc a nécessité plus de deux ans d’enquête pour retrouver victimes et tortionnaires et les convaincre de se rencontrer à Tuol Sleng, le centre de torture de Phom Penh. Leurs témoignages croisés permettront de reconstituer le fonctionnement quotidien de cette prison, où 17.000 Cambodgiens ont été torturés et exécutés sous la dictature des Khmers rouges.
Les anciens membres du S21 décrivent leur travail non pas avec des mots, mais par des gestes en répétant devant la caméra les mouvements et les déplacements qu'ils faisaient tous les jours. Un travail de mémoire sur les corps pour s’approcher au plus près de la vérité. Car, assure Rithy Panh, «on ne peut pas toucher la vérité absolue. Seuls les morts et les victimes connaissent cette vérité-là».
«Dans mon film, explique-t-il, quelqu'un pleure parce que ça faisait dix ans qu'il n'était pas venu dans ce centre-là et il a craqué. Mais après ça, plus personne ne verse une larme. Ni les victimes, ni les bourreaux.» Le cinéaste préfère se concentrer sur les «actes» et non sur l'«idéologie». Il se «méfie de l'apitoiement, de la complaisance».
L'ancien collège, transformé en centre de torture, est devenu depuis musée du génocide. Une «machine» qui serait à elle seule responsable de la mort de 12.380 personnes, dit le commentaire. «Mais combien d’autres dont on n’a pas trouvé la trace? Combien exécutées ailleurs sur la foi des aveux extorqués à S21?», s’interroge Rithy Panh. Fidèle à ses habitudes dans le traitement de ce sujet, le cinéaste ne livre ni analyse, ni jugement.
Processus de déshumanisation
Près de dix années plus tard, avec Duch, le maître des forges de l’enfer, le réalisateur poursuit sa minutieuse quête de vérité. Devant la caméra de Rithy Panh, Kaing Guek Eav de son vrai nom, ancien directeur de la prison S21, accepte d’affronter son passé et finit par assumer son rôle dans ce processus de déshumanisation.
Dans un long monologue, le vieil homme explique qu’il était sous le contrôle d’une idéologie : la croyance absolue dans le rôle salvateur de la dictature du prolétariat. Un entretien ─ extrait de 300 heures de rush ─ que le réalisateur nourrit dans un montage parallèle d'archives photos ou filmées qui restituent le contexte de l'époque.
De cette confrontation hors du commun naîtra un récit, L’Elimination (Grasset, 2012), qu'il publie avec Christophe Bataille. Il lui a fallu attendre trente ans pour écrire ce livre qui a reçu le prix Essai France Télévisions. Rithy Panh, qui a vu mourir sa famille et a lui-même frôlé la mort, confie : «Je suis déjà mort une fois et j’ai la chance d’avoir une seconde vie, même si la première continue de me hanter… Ceux qui sont morts me donnent la force de me révolter.»
Interné à l'âge de 11 ans
Né en 1964, le jeune Rithy est interné à l'âge de 11 ans dans un camp de travail. En 1979, il se réfugie en Thaïlande puis rejoint la France l’année suivante. Diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) en 1985, le jeune réalisateur se spécialise dans le documentaire.
Outre, S21, la machine khmère rouge (2002) et Duch, le maître des forges de l’enfer (2011), Rithy Panh a également réalisé Site 2 (1989), Bophana, une tragédie cambodgienne (1996), La Terre des âmes errantes (1999) et Le papier ne peut pas envelopper la braise (2007) sur le sort des femmes prostituées au Cambodge.
Il est aussi l’auteur de longs métrages de fiction: Les gens de la Rizière (1994), Un soir après la guerre (1998), Un barrage contre le Pacifique (2009), d’après Marguerite Duras, ou encore Gibier d’élevage (2011). Pour lui, «une fiction, c'est être capable encore de créer, de rêver, d'imaginer» tout ce que le régime de Pol Pot «voulait détruire».
Le centre Bophana
Rithy Panh n’a pas seulement œuvré pour la mémoire du génocide en temps que cinéaste. Il a aussi créé à Phnom Penh, avec Leu Pannakar, le Centre Bophana, qui s’attache à réunir les archives audiovisuelles du Cambodge. L’université Paris VIII, dont il a été fait, en mai 2011, docteur honoris causa, a signé avec ce centre un accord de coopération en 2008.
«Si on ne fait pas un certain travail sur la mémoire, on en arrive vite à ce que les anciens Kmers rouges nient l'évidence. En politique, plus le mensonge est gros, plus ça passe», confie Rithy Panh, infatiguable artisan de la mémoire, la sienne et celle de l'Histoire.
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