Syrie : Bachar Al-Assad doit-il s'inquiéter de l'enquête ouverte à Paris pour "crimes contre l'humanité" ?
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pénale pour "crimes contre l'humanité" le 15 septembre, contre le régime de Bachar Al-Assad.
C'est une première pour la France dans le dossier syrien. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pénale pour "crimes contre l'humanité", le 15 septembre, contre le régime de Bachar Al-Assad. L'enquête se base notamment sur le témoignage de "César", un ex-photographe aux ordres de la police militaire syrienne qui s'est enfui de Syrie en juillet 2013, avec sur lui des dizaines de milliers de photos des atrocités du régime syrien. Que signifie l'ouverture de cette enquête ? Peut-on imaginer la France, un jour, condamner le tyran syrien ? Des experts du droit répondent.
Pourquoi la France ouvre-t-elle cette enquête ?
Il s'agit pour l'instant d'une simple enquête préliminaire, déclenchée à partir de l'article 40 du code de procédure pénale. "Cet article indique que toute autorité qui a la connaissance d'un crime doit saisir le procureur de la République", résume Laurent Neyret, professeur de droit et coauteur du "Que sais-je ?" sur Le Crime contre l'humanité (PUF).
Si la France se saisit du dossier, c'est aussi pour pallier les insuffisances de la justice internationale, selon les avocats et juristes interrogés par francetv info. Un double veto de la Russie et de la Chine, alliées de Bachar Al-Assad, au Conseil de sécurité de l'ONU, empêche en effet la Cour pénale internationale de se saisir du dossier. Reste à déterminer pourquoi la France ouvre cette enquête maintenant, et en fait l'annonce le jour où la Russie bombarde les "terroristes" en Syrie.
"Cette enquête, ce n'est pas que du droit, c'est surtout de la politique", estime Laurent Neyret. La France souhaite ainsi montrer au monde qu'il ne faut pas rester inactif face à des comportements jugés criminels, pour les actes les plus graves. Le professeur de droit y voit aussi un message adressé "aux bourreaux du régime syrien". "La justice française envoie un signal, pour dire que la France ne sera pas un territoire où il serait bon de se réfugier, en cas de chute du régime."
Dans quels cas la France a-t-elle le droit de juger des "crimes contre l'humanité" ?
Les crimes contre l'humanité ne se jugent pas seulement à La Haye, ou dans des tribunaux ad hoc. La France, comme de nombreux autres pays, a le droit de juger les crimes les plus graves, touchés d'imprescriptibilité. Elle peut le faire dans deux cas : soit quand une victime est française (article 113-7 du Code pénal), soit quand un bourreau présumé vit en France (article 689-11 du Code de procédure pénale).
L'avocat William Bourdon a ainsi pu défendre des parties civiles à un procès de la dictature chilienne, qui s'est tenu à Paris en décembre 2010. "Le juge national français est aussi un juge qui travaille pour le compte de l'humanité, développe l'avocat. Toutefois, si demain la Cour pénale internationale devait être saisie, la justice française se dessaisirait sûrement de l'enquête en cours, au titre de la subsidiarité [principe de délégation des pouvoirs] des juridictions".
Un procès de Bachar Al-Assad peut-il avoir lieu en France ?
C'est encore beaucoup trop tôt pour le dire. L'enquête est confiée à l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCHGCG), rattaché au ministère de l'Intérieur. Suivant ses conclusions, une information judiciaire pourrait être ouverte, avec la désignation d'un juge d'instruction et, à terme, l'organisation éventuelle d'un procès. "On n'en est même pas à l'étape 1, on n'en est qu'à l'étape 0", souligne la juriste Céline Bardet, spécialisée dans les questions de crimes de guerre.
"Les éléments dont la justice dispose sont très forts. Il y a ces photos, authentifiées par l'ONU, et les milliers de témoignages recueillis à travers le monde entier, rappelle la juriste. En l'absence de bourreaux identifiés sur le sol français, la justice devra trouver parmi les victimes, sur les photos de "César", une ou des victimes françaises. "C'est un travail un peu fou ! Je ne sais pas bien comment ils pourraient arriver à le déterminer, avance Céline Bardet. Et, l'autre question, c'est contre qui porter plainte ? On va mettre en accusation Bachar Al-Assad à Paris ? Je n'y crois pas une seconde."
Bachar Al-Assad a-t-il du souci à se faire ?
En l'état, l'enquête ne représente pas encore de danger pour le dictateur syrien. "Si j'étais Bachar Al-Assad, je n'appellerais pas mon avocat pour ça, poursuit Céline Bardet, qui rappelle qu'une commission d'enquête de l'ONU existe déjà, et "ne le dérange pas plus que cela". "Assad aurait dû se faire du souci si le photographe avait été quelqu'un de haut placé, qui aurait pu livrer des informations compromettantes et très précises sur le régime. Il ne semble pas que ce soit le cas."
Laurent Neyret évoque un obstacle juridique. "Admettons qu'il soit jugé par défaut [anciennement "par contumace"], encore faut-il parvenir à lever son immunité présidentielle. Ce ne sera pas simple." En clair, tant que le régime d'Assad est en place, le chef de l'Etat peut dormir sur ses deux oreilles. "Il est certain qu'Assad a déjà imaginé un point de sortie, depuis des années, selon William Bourdon. En cas de chute de son régime, il pourra trouver refuge dans un pays complice, comme Ben Ali en Egypte."
L'Etat islamique pourrait-il être visé par une enquête similaire ?
Pour l'instant, l'enquête préliminaire ne vise que des crimes commis par le régime, mais de nombreuses affaires sont déjà ouvertes à Paris, visant des exactions perpétrées notamment par des jihadistes français. "Si la CPI était saisie, elle le serait pour l'ensemble des crimes commis par l'ensemble des protagonistes", selon William Bourdon.
Céline Bardet souligne que l'arrivée de réfugiés sur le sol européen pourrait accélérer les choses. "Certaines personnes ont été victimes de crimes atroces, comme les viols de guerre, ou témoins des exactions. L'enquête ouverte nous permet aussi de communiquer au procureur les informations que l'on recueille sur le terrain, et, le cas échéant, de nous porter partie civile si des suspects devaient être jugés." Mais le temps de la justice est plus long que le temps politique. De telles procédures se comptent en années.
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