Reportage "Ce genre de drame peut se reproduire" : après les violences confessionnelles en Syrie, le calme revient progressivement dans les villes à majorité druze

Des affrontements confessionnels en début de semaine ont fait plus de 100 morts en Syrie. À Jaramana, en périphérie de Damas, la vie tente de reprendre son cours, mais dans une atmosphère de peur et de méfiance. Les habitants s’accrochent à une normalité encore très incertaine.

Article rédigé par franceinfo
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Des heurts sont survenus à proximité et au sud de Damas notamment à Jaramana entre combattants druzes et groupes armés liés au pouvoir sunnite du président Ahmad al-Chareh. (RAMI ALSAYED / NURPHOTO / VIA AFP)
Des heurts sont survenus à proximité et au sud de Damas notamment à Jaramana entre combattants druzes et groupes armés liés au pouvoir sunnite du président Ahmad al-Chareh. (RAMI ALSAYED / NURPHOTO / VIA AFP)

Après plusieurs jours de tensions à Jaramana, quartier à majorité druze en périphérie de Damas, le calme revient peu à peu. Mais la situation reste fragile : en moins de 72 heures, plus de 100 personnes ont été tuées dans des affrontements entre miliciens druzes et forces progouvernement, principalement issues d’anciens groupes islamistes. 

Les violences, qui ont gagné d'autres zones comme Sahnaya ou même la route vers Soueïda, bastion de la communauté druze, s'inscrivent dans un contexte explosif. À la suite de la diffusion d’un message blasphématoire attribué à un cheikh druze – message dont l’authenticité est contestée –, les tensions confessionnelles ont été attisées par des appels à la haine sur les réseaux sociaux.

"Il faut arrêter cette personne qui a fauté"

À l’entrée de Jaramana, les routes sont rouvertes, les points de contrôle allégés. La circulation reprend, encore timide. Devant sa boutique, Fadi, boucher druze, a rouvert les volets. Assis seul sur une chaise, il regarde la rue vide. "Je suis druze, mais est-ce que c’est à moi de payer pour la faute d’un druze isolé ?, demande-t-il. Il faut arrêter cette personne qui a fauté, et les autorités doivent le juger et ne pas en faire payer le prix à nous tous. "

"Que ce soit Israël ou les États-Unis ou un autre pays, tous pensent à leurs intérêts. Nous n’avons pas cette force de frappe, nous sommes un peuple simple, nous nous levons le matin pour aller chercher un morceau de pain à la maison et ça nous suffit. On ne demande rien d’autre."

Fadi, boucher druze à Jaramana

à franceinfo

Fadi insiste : il ne s'agit pas d'une opposition entre Druzes et nouvelles autorités. Il attend d’elles qu’elles retrouvent les responsables des séditions et des violences. "Le peuple soutient les nouvelles autorités, mais encore faut-il que celles-ci condamnent fermement les groupes violents et fanatiques qui attaquent et égorgent les civils selon leur bon vouloir. Ces milices n'ont aucune légitimité, explique Fadi. Que les autorités viennent nous voir et nous disent qu'ils veulent arrêter le Druze qui a blasphémé le prophète, et je vous garantis que personne ne sera contre ici. Insulter un prophète, Dieu, ou insulter toute religion, ce ne sont pas des choses que nous faisons. Nous sommes avant tout croyants et créés par Dieu et dans la Sunna, personne n’a été créé différemment, nous sommes tous humains, sunnites, chiites, druzes ou alaouites."

Selon plusieurs témoignages et discussions dans le quartier, les heurts auraient été causés par des groupes armés indépendants venus de la Ghouta orientale et d'autres zones encore instables. C'est ce qu'explique Mohamed, un autre habitant de Jaramana, même s'il est difficile de le confirmer à ce stade. "Tant que chacun garde ses armes, d’un camp ou d’un autre, ce genre de drame peut se reproduire, explique-t-il. Même des enfants en possèdent et commencent à s’en débarrasser. Il faut que toutes les armes soient retirées des mains de la population et confiées à une autorité unique." La méfiance n’a pas disparu, mais les habitants s’accrochent à une normalité fragile. Dans les rues, tous espèrent que le calme tiendra davantage qu’un jour.

"Ils nous mettent dans une mauvaise position" 

Face à l’escalade, Israël est intervenu militairement, menant des frappes près de Damas au nom de la "protection des Druzes". Une initiative fermement rejetée par la Syrie, la Turquie, et les dignitaires druzes eux-mêmes, qui dénoncent une instrumentalisation. "La plupart des gens ici considèrent Israël comme une puissance occupante. Donc, on n'attend aucune aide de leur part. Pire, ils nous mettent dans une position où certains vont croire qu'on les soutient alors que ce n'est pas le cas", explique Walid, 32 ans, depuis Damas.

Depuis la chute de Bachar al Assad, Israël multiplie les bombardements et les incursions terrestres en Syrie. Son armée occupe désormais certains villages. Benyamin Nétanyahou dit vouloir établir une zone tampon à sa frontière et le Premier ministre israélien exige aussi la démilitarisation totale du sud de la Syrie où vivent une grande partie des Druzes, comme Ziad, 38 ans : "Israël fait juste ça pour servir ses intérêts. C’est un état terroriste, et ça ne sera pas notre sauveur. Nous n’avons besoin de la protection de personne. On peut se protéger nous-mêmes."

Sur le plateau du Golan, 22 000 Druzes syriens vivent sous occupation depuis 1967. Ziad dit craindre qu’Israël veuille étendre encore son territoire jusqu’à sa ville de Sweida.

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