: Témoignage "C'est extrêmement violent, on est sur un champ de bataille", témoigne un médecin français de retour de Gaza
François Jourdel, chirurgien orthopédique, a passé un mois dans l'enclave palestinienne aux côtés de Médecins sans frontières.
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Un témoignage exceptionnel. Le médecin François Jourdel vient de rentrer de Gaza après avoir passé un mois dans l'enclave palestinienne avec l'ONG Médecins sans frontières (MSF). C'est la seconde fois qu'il intervient dans le territoire, après une première mission en novembre 2023. Il témoigne de l'agravation de la situation dans l'enclave. Mardi 16 septembre, un rapport du Conseil des droits de l’Homme de l'ONU accuse Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza.
Franceinfo : Quel est votre ressenti après être retourné dans la bande de Gaza ?
François Jourdel : On était à l'époque parmi les premières ONG à rentrer dans la bande de Gaza, il venait de se passer quatre semaines de guerre, avec, déjà, le sentiment et l'impression que beaucoup de choses étaient détruites. Là, deux ans après, c'est vraiment un sentiment que tout est rasé, détruit. Sur certaines zones, notamment frontalières avec Israël, c'est un champ de bataille. Il reste plus que quelques pans de murs, c'est extrêmement impressionnant.
Moi qui suis originaire du nord de la France et qui ai visité un peu les vestiges de la guerre 14-18, ça fait penser à Verdun. Donc le premier sentiment qu'on a, c'est que c'est extrêmement violent, que ça s'est énormément dégradé et qu'on est sur un vrai champ de bataille.
Dans quelles conditions avez-vous opéré ?
MSF a créé un hôpital de campagne, c'est un hôpital sous tentes avec plusieurs modules : des modules d'hospitalisation, une pharmacie, de la logistique, des zones pour la 'sanitation'. Tout ça est installé dans la zone de Deir Al Balah, au milieu de la bande de Gaza, à mi-chemin entre Gaza et Rafah. Ça devait être un champ d'oliviers, parce qu'il en reste quelques-uns. Dans notre hôpital de campagne, ce n’est pas un vrai bloc opératoire, mais on a quand même ce qu'il faut en termes d'eau et d'électricité. On a une espèce de salle de pré-anesthésie et un bloc opératoire, qui est un peu climatisé, avec une température très haute, mais dans lequel on peut travailler dans des conditions relativement bonnes.
Ce sont des blessures de guerre que vous soignez ?
Oui, pour l'essentiel ce sont des blessures directement liées à la guerre. 30% des blessures sont liées à des explosions, 30% des plaies par balles directes, environ 20% concernent des brûlures, qui peuvent être liées à des explosions. Il y a aussi des plaies par écrasement. Des gens qui sont ensevelis sous les décombres, avec des jambes ou des membres broyés. Et puis, il y a aussi [dans une moindre mesure] quelques accidents de la route.
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Et ce qui a changé également en deux ans, c'est la faim des patients et des soignants palestiniens aux côtés desquels vous avez exercé ?
Cette souffrance liée à la malnutrition, on la voit sur les corps et les visages de nos collègues palestiniens, qu'on a rencontrés deux ans plus tôt, avec qui on a fait des photos. Ils ont perdu 20 à 30 kilos pour certains, ils sont tout maigres, on sait qu'ils ne l'étaient pas avant. On voit qu'ils ont tous souffert. Et puis les patients qu'on soigne, très souvent, sont dans un tel état d'amaigrissement, voire de cachexie, que faire cicatriser des plaies devient un vrai défi.
Il y a une colère ou une frustration chez le médecin que vous êtes devant l'ampleur du désastre ?
Une frustration, c'est certain. Parce qu'on est submergés par le nombre de blessés et on aimerait avoir plus de temps pour chaque patient. Mais quand on a une liste de quinze patients à opérer par jour, il faut que ça aille vite. De temps en temps, on essaye de se dire 'bon, on va essayer de passer un peu plus de temps', en faisant un lambeau un peu compliqué, pour essayer de couvrir un membre qui est largement exposé. Mais quand les patients ont des fractures ouvertes, des sections nerveuses et qu'il nous faudrait un microscope pour réparer tous les nerfs et qu'il faudrait reprendre la fracture, qui n'est pas bien [réparée], qu'il y a des fragments partout et qu'en plus c'est infecté…
"On a un sentiment de frustration de ne pas pouvoir leur proposer un traitement idéal."
François Jourdel, chirurgien orthopédique de retour de Gazasur franceinfo
Parfois, on est obligé d'aller vite, ou d'amputer tant la fracture est épouvantable et la perspective mauvaise. Comme ça, on essaye de régler le problème plus vite. Donc c'est un vrai dilemme : déjà en France, c'est compliqué de proposer l'amputation, mais là, on sait qu'ils n'auront pas de prothèse de jambe, donc on a du mal à les convaincre que c'est mieux pour eux. Ça donne un sentiment de frustration, de pas faire ce qu'il y a mieux et, encore une fois, de soigner une petite proportion de patients. Parce qu'il y a des blessés de partout, l'hôpital Nasser est submergé. Nous, dans notre hôpital, on ne prend que selon la disponibilité de nos lits. Donc c'est complet, mais on n'est pas submergés comme peut l'être l'hôpital Nasser qui, lui, prend de toute façon tous les patients, même s'ils sont déjà saturés à 300%.
Vous y retournerez si vous le pouvez ?
Oui, parce que les liens se sont encore renforcés par rapport à la première mission. Les témoignages d'affection que j'ai reçus lors de ma deuxième mission m'ont profondément bouleversé. Une infirmière, quand elle a su que je venais à Gaza, m'a dit qu'elle allait venir de Khan Younès pour m'apporter un petit cadeau. Elle a marché deux heures en plein soleil pour m'offrir une petite boîte de biscuits qu'elle avait trouvé au marché et acheté à prix d'or. Et ça, c'est profondément touchant. On a envie de pleurer quand on voit ça. Des témoignages d'affection comme ça, j'en ai eu plein. J'ai eu plein de collègues qui ont voulu m'offrir un petit mug avec mon nom écrit, un petit pendentif aux couleurs de la Palestine, des petites montres, des petits trucs qu'ils ont trouvés ou achetés. Et tout ça m'a été confisqué par Israël, à la frontière, parce qu'il est interdit de ramener des souvenirs.
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