Israël-Palestine : la cohabitation dans les villes judéo-arabes "est de façade", estime la sociologue Sylvaine Bulle
La chercheuse pointe des problèmes "de pauvreté et de racisme des deux côtés".
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La cohabitation dans les villes judéo-arabes d'Israël, théâtre d'affrontements depuis lundi 10 mai "est de façade", estime jeudi 13 mai sur franceinfo Sylvaine Bulle, professeur de sociologie à l’Université de Paris et spécialiste du conflit israélo-palestinien. Elle souligne des problème de "pauvreté et de racisme des deux côtés".
franceinfo : Que pouvez-vous nous dire de ces villes mixtes touchées par ces émeutes?
Sylvaine Bulle : Les villes qui ont été touchées, Lod ou Bat Yam, sont des villes que l'on appelle mixtes, mais qui sont avant tout très pauvres. Et peut-être, nous ne disons pas assez qu'elles sont pauvres des deux côtés. La communauté juive que l'on appelle Mizrahim est elle-même pauvre. Les dernières enquêtes du ministère de l'Intérieur montrent un niveau de pauvreté assez équivalent entre Juifs et Palestiniens d'Israël. C’est la première chose. En ce qui concerne la violence intercommunautaire. Là aussi c’est quelque chose qui est très bien identifié. La cohabitation dans ces villes mixtes est de façade. Les deux communautés cohabitent avant tout pour des questions économiques, de mobilité, de transports, etc. Mais la coexistence culturelle, sociale est très loin d'être avérée. De ce point de vue-là, on peut parler aussi d'une dégradation structurelle depuis des années. Nous ne découvrons pas le problème, à savoir à la fois une pauvreté, un racisme intérieur des deux côtés. Il est particulièrement flagrant désormais dans les villes mixtes, alors que ça n'était pas le cas. Puis se greffent deux problèmes symétriques : d’un côté, la reconnaissance des Palestiniens d'Israël en matière de droits sociaux. Il y a de véritables problèmes de séparations. De l'autre côté, les Mizharim qui lynchent ou qui sont lynchés à tour de rôle, ont eux-mêmes, pendant des années, été délaissés par le gouvernement et se sont retournés vers la religion, vers l'extrémisme. Puis, peut-être oublions-nous aussi que la jeunesse palestinienne de Lod et de Bat Yam, ne se sent plus du tout israélienne, contrairement à leurs parents.
Pourquoi ?
Leurs parents avaient plus ou moins joué le jeu de l'intégration via des partis politiques arabes, qu’on préfère appeler palestiniens. Notamment dans ces villes (Bat Yam, Lod), parce que je pense que on ne peut pas mettre sur le même plan toutes les villes mixtes d'Israël. La preuve, c'est que Haïfa ne flambe pas, selon moi pour des raisons de culture politique. Mais ils ne se sentent plus Israéliens parce qu'ils ont vu une dégradation sociale. Ils voient qu'ils sont cantonnés, il est vrai, dans leur ville mixtes. On parle de villes mixtes mais sur le terrain ce ne sont pas des villes mixtes. Ils ont aussi des problèmes d’accès aux postes institutionnels. Puis, les relations intercommunautaires sont très, très limitées. Enfin, un facteur absolument essentiel : dans ce désastre, nous avons un vide politique à tous les niveaux, et en particulier au niveau local. Il y a quelques années, il y avait des comités d'urbanisme et des comités de quartiers qui étaient plus ou moins mixtes, avec un véritable engagement de jeunes Palestiniens. Aujourd'hui, nous ne trouvons plus, à ma connaissance, aucune mixité dans la gouvernance locale.
A quoi doit-on s'attendre dans les prochains jours ? Vous avez le député arabe Issawi Fredj qui craint les prémices d'une guerre civile. Vers quoi se dirige-t-on à votre avis ?
Je serais très prudente car le terme de guerre civile renvoie en philosophie politique à la guerre contre tous. Il est vrai qu'il y a un front intérieur qui est ouvert en plus du front extérieur. Je constate que les Israéliens juifs voient de plus en plus une solution militaire pour éteindre le front extérieur. Sur le front intérieur, n'oublions pas qu'il y a quand même une armée qui est toute puissante. L'état d'urgence existe depuis 1948, y compris en Israël. Donc, on peut penser qu'il va y avoir sans doute un retour au calme. Fort heureusement, le port d'arme n'est pas autorisé dans les villes palestiniennes, il l'est à Jérusalem et dans les colonies, mais pas encore dans les villes palestiniennes. Ça va sans doute se calmer mais les dégâts symboliques, politiques, sociaux seront si considérables que cette situation ne va qu'empirer. On peut penser qu'il doit y avoir une espèce de petit mouvement de diplomatie internationale. Mais sur le plan sociologique, il y a bien longtemps que nous n'avons plus besoin de solution diplomatique.
Que faut-il faire alors ?
Nous avons besoin de travailler sur des modèles politiques de justice locale, nationale, régionale, que ce soit des solutions à un Etat, à deux États, une égalité des droits. Et encore faudrait-il savoir de quel droit nous parlons. Est-ce que c'est une égalité en matière de citoyenneté nationale ? Avec qui met-on les Palestiniens des Territoires ? Ce sont ces questions-là qui nous importent, sur lesquelles personne ne réfléchit et surtout pas la diplomatie internationale. Donc, tant que ce problème n'est pas posé, nous risquons d'avoir à nouveau des embrasements. Sur le plan du terrain et de la réalité sociale, politique et ce qui est aussi du devenir de la démocratie israélienne, la situation est beaucoup plus grave et je ne crois pas que la diplomatie et surtout les discours beaucoup trop idéologiques qu'on entend peuvent régler la question de la ségrégation.
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